lundi 15 octobre 2012

Grande (sur-)bouffe : les clefs pour comprendre… et agir !


Pour faire suite au banquet des 5 000, opération de sensibilisation au gaspillage alimentaire imaginée par le britannique Tristram Stuart qui a eu lieu pour la première fois en France, sur le parvis de l'hôtel de ville de Paris, samedi 13 octobre, j'ai un livre à vous recommander : La Grande (Sur-)Bouffe, Pour en finir avec le gaspillage alimentaire (86 p., 5 euros), qui vient d'être publié aux Editions Rue de l'échiquier.
Son auteur, Bruno Lhoste, propose de prendre du recul et d'analyser posément un sujet pour le moins complexe. Et il a accepté de répondre à mes questions. Explications.

Le consommateur ne doit pas être stigmatisé

Bruno Lhoste s'intéresse au sujet du gaspillage alimentaire depuis longtemps, et il est quelque peu agacé, dans cette histoire, par la manière dont on cible en permanence les consommateurs. Pour cause, un vécu personnel et un travail d'analyse des nombreuses études parues sur le sujet.
Pendant ses études, les petits boulots qu'il enchaîne dans des supermarchés lui ont donné l'occasion de jeter des cageots entiers de nourriture. Au début de sa carrière, le jeune diplômé en énergétique a travaillé sur la problématique de la conservationdes récoltes de céréales dans les pays du Sud. Le cabinet de conseil qu'il dirige actuellement (Indiggo, 225 collaborateurs répartis dans huit grandes villes françaises) accompagne aussi les collectivités sur ces questions de gaspillage. Ecrire ce livre était donc logique, mais s'il est publié aujourd'hui, c'est parce que "beaucoup d’études sont parues en 2011 et permettent d’objectiver des chiffres" précise-t-il. Ces données restent encore trop approximatives à son goût, "mais il y a des convergences et il devenait intéressant de faire une synthèse sur le sujet, je veux donner un autre regard sur l’ensemble de la filière, et illustrer la complexité du problème". Objectif réussi, car on ressort de la lecture de son ouvrage avec un regard global sur la question.

Des solutions pour la grande distribution

Quel est le secteur où on gaspille le plus ? "Si on regarde les chiffres, les plus grands gaspillages s'observent au niveau du producteur et du consommateur, les pertes y sont les plus importantes", explique l'auteur, "mais les raisons sont liées à la grande distribution, qui reporte le gaspillage vers l’aval ou l’amont. Les légumes non commercialisés car tordus ou tachés, c’est plus un problème de distributeurs que de producteurs" ajoute-t-il illico. En gros, la grande distribution n'est pas très pro-active, et le sujet la dérange.
Légume tordu global gâchis Canal PlusDans ces conditions, quelles mesures prioritaires pourraient être conseillées aux responsables de supermarché ? Nous pourrions leur proposer de favoriser l'approvisionnement en circuits courts, "une piste mécanique" d'après Bruno Lhoste. Il est aussi nécessaire de s'attaquer à la question des standardset de réhabituer les consommateurs à l’aspect naturel des fruits et légumes. D'ailleurs, "on n'a aucune étude réelle nous expliquant que les gens veulent des légumes tout ronds et brillants. La distribution pourrait avoir un rôle à ce niveau !" précise-t-il.
Autre solution : en cas de stock en surplus, plutôt que d'écouler les produits avec des remises du type "deux pour le prix d'un", il serait préférable de baisser les prix pour que les produits partent plus vite sans pousser les consommateurs à sur-acheter. "On pousse à sur-consommer aujourd'hui et certaines pratiques marketing génèrent beaucoup de gaspillage."
Autre aspect à évoquer : les mesures sanitaires, qui se durcissent à force de scandales alimentaires. "On se rend compte aujourd'hui que nous sommes allés trop loin, ce durcissement régulier des réglementations sanitaires génère beaucoup de gaspillage", déplore le spécialiste.

Des solutions politiques

La complexité du problème est telle qu'il serait maladroit de tomber dans le réductionnisme des solutions, mais des pistes d'actions existent à d'autres niveaux de la filière.
Si on remonte le cours de l'histoire, déjà, on comprend à quel point l'aberration actuelle est récente. Il y a soixante ans, l'Europe était encore en situation de pénurie alimentaire. Pour Bruno Lhoste, les choses sont simples : "Aujourd'hui, nous n'avons pas de politique alimentaire en France, mais une politique agricole, nous avons centré nos efforts sur la politique  de production, pas d’alimentation." Résultat : on a produit beaucoup et on a créé la consommation qui allait avec ; on a perdu la capacité à contrôler les surplus, puis on a laissé le marché faire. "Il est donc nécessaire de mettre en œuvre une politique alimentaire consciente de ses excès, avec des réglementations adéquates", souligne le spécialiste.
Mon amie Isabelle Delannoy, agronome et auteure de plusieurs ouvrages spécialisés sur le développement durable, m'expliquait à ce sujet que nous n'adaptons plus les cultures aux territoires. Vincent Tardieu, journaliste scientifique explique aussi très bien cette évolution dans son dernier livre, Vive l'agro-révolution française ! (Editions Belin, 2012) L'exemple le plus flagrant est celui des élevages porcins situés essentiellement à côté des ports (comme en Bretagne) en raison des quantités de tourteaux de soja à importer pour nourrir les bêtes. Auparavant, notre agriculture reposait sur un système de polycultures et d’élevages, on cultivait des céréales et on élevait des bovins, le tout fonctionnant en circuit fermé. Maintenant, on a des céréaliers et des éleveurs intensifs. "On a cassé des systèmes équilibrés, et c’est pour cela qu’on a des problèmes sanitaires forts, la Bretagne est hors sol", souligne Bruno Lhoste, en recommandant les travaux prospectifs de l'association Solagro surl'utilisation des terres en 2050.
En attendant, l’éducation reste une politique prioritaire pour favoriser la prise de conscience du problème : l'auteur de La Grande (Sur-)Bouffe souhaite d'ailleurs que les consommateurs retrouvent leur autonomie, car "les gens doivent se réapproprier leur alimentation, c'est vital ! Les opérations menées par Tristram Stuart permettent d'initier un mouvement ascendant, et favorisent la prise en compte de la problématique dans un bon état d'esprit". L'action territoriale est clef et les acteurs locaux ont tout intérêt à travailler ensemble pour limiter le gâchis et générer des "boucles vertueuses".
Alors, on s'y met quand ?

++ Canal + diffusera le documentaire Global Gâchis le 17 octobre.

Source: Le Monde (http://goo.gl/yRDSX)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire