Les pertes et gaspillages alimentaires représentent un enjeu important pour notre société, tant sur les volets économique et social, qu'écologique ou éthique. De fait, « la lutte contre ce phénomène occupe aujourd’hui une place grandissante dans l’espace public et politique. L'année 2014 a d’ailleurs été retenue comme l’année européenne contre le gaspillage alimentaire »...
Le 14 juin 2013, Guillaume Garot, alors ministre délégué à l’Agroalimentaire, présentait le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, à l’ensemble des acteurs de la filière. L’objectif que s’est fixé le gouvernement français est ambitieux : diminuer par deux le gaspillage alimentaire dans notre pays d’ici 2025. Mais que connaît-on réellement de ce phénomène ? Quelle est son ampleur ? Quels sont ses origines, ses déterminants ? Comment les consommateurs le perçoivent-ils ?
Les avis sont unanimes : il s’agit d’un levier pour amener nos systèmes alimentaires vers plus de durabilité et relever des défis, tels que la sécurité alimentaire mondiale, le changement climatique, la préservation des ressources naturelles et des écosystèmes, l’accès à l’alimentation pour les démunis. Cependant, les choses ne sont pas si simples…
De 20 à 70 kg de nourriture jetés par consommateur et par an en France
Les pertes et gaspillages alimentaires regroupent l’ensemble des nourritures qui auraient pu être mangées par l’homme et qui sont finalement jetées ou utilisées autrement (alimentation animale, fertilisants, énergie, etc.). On les retrouve tout au long de la chaîne alimentaire, de l’amont agricole à l’assiette du consommateur. Il existe donc une grande diversité des situations à l’origine des pertes et gaspillages. En outre, aucune définition consensuelle n’est reconnue.
Ce que les consommateurs et les autres acteurs de l’agroalimentaire entendent par pertes et gaspillages alimentaires est très variable. Cette hétérogénéité dans les approches et les méthodes de quantification explique que les estimations disponibles dans la littérature varient. « En France, par exemple, les données font état de 20 à 70 kg de nourriture jetés par consommateur et par an », rapporte Barbara Redlingshöfer. Et de retenir, au niveau mondial, le chiffre d’environ 30 % de pertes et gaspillages tout au long de la chaîne alimentaire, selon des études basées sur quelques collectes de données et estimations, extrapolées par la suite.
Les fruits et légumes en première ligne
En outre, ce chiffre de 30 % recouvre une situation elle-même hétérogène à deux égards. D’une part, les estimations varient selon les catégories de produits : « Les produits périssables, comme les fruits et légumes frais, les racines et tubercules, les viandes et poissons, les céréales (sous forme de pain dans les pays du Nord), sont parmi les plus concernés », précise la chercheuse. Et, d’autre part, les pertes et gaspillages alimentaires ne surviennent pas aux mêmes stades du système alimentaire selon le contexte géographique : « Dans les pays du Sud, les pertes surviennent principalement après la récolte, au cours des premières opérations de transformation, de stockage et de transports (pertes post-récolte). Tandis que, dans les pays du Nord, il s’agit davantage de gaspillages survenant majoritairement aux étapes de distribution, restauration et consommation. » Cela dit, nos connaissances sur les filières sont incomplètes. Cette répartition inégale entre Nord et Sud reste à confirmer.
Une issue à la faim dans le monde ?
Ces différences Nord-Sud et ce gâchis généralisé pose un dilemme moral à l’heure où certaines populations continuent à souffrir de la faim. Cependant, Barbara Redlingshöfer lance un message sans appel : « La faim dans le monde ne sera pas éliminée par de la nourriture récupérée dans le Nord. » Pourquoi ? « Même si les systèmes alimentaires sont de plus en plus connectés à l’échelle mondiale, ils ne fonctionnent pas en vases communicants. De plus, ce n’est pas la disponibilité de la nourriture qui pose problème, mais son accessibilité à des populations qui n’ont pas les moyens de l’acheter. » Les stratégies de réduction des pertes et gaspillages dans les pays du Sud visent alors à créer des richesses le long des filières et à augmenter la capacité de la population à accéder à la nourriture.
La recherche et les associations, acteurs de la lutte Le flou est également encore de mise lorsqu'il s'agit de cerner les différents aspects du gaspillage alimentaire. Les chercheurs manquent de connaissances sur les causes et déterminants du phénomène, sur les jeux d’acteurs et les effets des mesures envisageables pour le réduire… Depuis plusieurs années, l’Inra (Institut national de recherche agronomique) mène donc des travaux de recherche, comme la réflexion stratégique duALIne [1] menée avec le Cirad sur la durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux, qui a permis de mieux comprendre le phénomène des pertes et gaspillages. « Depuis deux ans, l’Inra est également partenaire du projet européen Fusions, qui s’achèvera en 2016, dont l’objectif est d’apporter une définition et un cadre harmonisé de quantification des pertes et gaspillages, et d’identifier des mesures publiques et privées de réduction, en s’appuyant notamment sur des innovations sociales », explique la chercheuse.
Car le changement semble déjà en marche. Des politiques se mettent déjà en place dans de nombreux pays et les initiatives associatives, comme La Brigade des compotes ou le mouvement solidaire Disco Soupe, foisonnent sur le terrain. Une mobilisation qui prouve, non seulement que les actions sont possibles, mais aussi que « dans notre société d’abondance, le fait de jeter de la nourriture apparaît aujourd’hui comme un scandale moral », pointe Barbara Redlingshöfer [2].
[1] Redlingshöfer B et Soyeux A, 2011. Pertes et Gaspillages. In : duALIne - durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux. Questions à la recherche, Esnouf C, Russel M et Bricas N (Coords.), Rapport Inra-Cirad (France), 113-130.
[2] Redlingshöfer B et Soyeux A, 2012. Pertes et gaspillage alimentaires : un gisement déterminant, complexe et multiple pour la durabilité. In : Rio + 20 Comment rechercher un développement durable ? Dossier de l’environnement de l’Inra n° 33, p.73- 87.
(Barbara Redlingshöfer, de la Mission d’anticipation Recherche/Société pour le développement durable (MaR/S) de l’Inra à Paris - Rencontres Fondation Louis-Bonduelle 2014)
Source: http://goo.gl/xfx7I3
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