Le food est partout et devient le moteur pour de nouvelles formes de relations. Décryptage par Arthur Sotto & Zoé Gautier, planneurs stratégiques chez Valtech.
Se nourrir est passé d’un besoin primaire, purement physiologique, à des besoins sociologiques comme l’affirmation de soi, que l’on retrouve dans presque toutes les cultures. Des concepts comme Top Chef, l’Atelier des Chefs ou encore les box spécialisées (Foodiz, My Cookkit, Eat your box) mettent en avant l’aspect Do It Yourself inhérent à la food. Ils témoignent de l’appropriation par tous des codes et conseils des professionnels de la cuisine. Le digital vient renforcer cette glorification de l’amateur au travers de blogs avec un partage de recettes, d’expériences, d’astuces. Des sites spécialisés et des réseaux sociaux comme Yelp, La Fourchette, Foodreporter ou encore Foodspotting permettent également de partager de bonnes adresses et des bons plans. L’internaute devient donc tour à tour consommateur, critique voire, trendsetter. Par ailleurs, la logique des réseaux sociaux comme Instagram et Pinterest, a impulsé une dynamique d’échanges autour de la food, démocratisant notamment le food porn, cette mise en scène presque obscène de plats alléchants. L’individu s’improvise alors artiste en mettant en avant ses « créations » ou ses trouvailles. D’ailleurs, 181.5 millions d’hashtags sur Twitter et Instagram concernent la nourriture (source : foodpornindex.com, 26/02/14). Des marques comme Oreo ou Nespresso embrassent également cette tendance pour véhiculer du brand content et un certain lifestyle. Si le fait de photographier son assiette s’explique en partie par une volonté de personal branding, ce partage n’est pas uniquement motivé par un besoin d’affirmation du « moi » face aux autres. Au contraire, le digital amplifie les interactions et donc le caractère social de la food, ce qui se manifeste dans la vie réelle par plus de collaboration, la création de communautés et un enrichissement des liens.
"Le digital amplifie les interactions et donc le caractère social de la food"
La surveillance de l’alimentation et la provenance des produits sont des attentes fortes des consommateurs qui attestent de l’importance portée à la santé et au bien-être. En matière de food, la consommation collaborative, dont l’un des moteurs est le digital, apparaît comme une réponse pertinente à cette méfiance. C’est par exemple le crowdsourcing qui va dans le sens d’une plus grande transparence avec la mise en commun des informations et connaissances sur le web. Ainsi, des start-up comme ClearKarma, MesGouts, OpenFoodFacts mettent à disposition des informations sur les produits pour faciliter la compréhension des consommateurs. Les internautes peuvent participer en ajoutant eux-mêmes des données comme les ingrédients, la valeur nutritionnelle, la provenance, la qualité... Par ailleurs, le digital renforce le caractère social de la food dans le domaine de l’économie locale. Les récents scandales alimentaires ou encore l’intérêt croissant porté au développement durable ont soulevé l’idée d’une consommation plus responsable et éthique. Par exemple, le locavorisme prône la consommation de nourriture produite dans un rayon de 100 à 250km. En matière de digital, cette démarche se traduit par des initiatives comme Foodette, site où l’on peut commander les ingrédients frais et de qualité, nécessaires à la réalisation d’un menu et les retirer le lendemain dans un commerce de proximité. Des plateformes digitales comme Baladovore (prescription de producteurs locaux par des chefs cuisiniers) et Goodeggs (livraison à domicile de produits frais) s’inscrivent aussi dans cette quête de réintroduction de sens et d’authentique dans la consommation. Si le digital est un vecteur important d’échange(s) en ce qui concerne les questions de santé et d’éthique autour de la food, il permet également de créer du lien pour enrichir « l’expérience culinaire » à tous les niveaux et réintroduire la notion de plaisir.
Dans cette optique, le crowdfunding en matière de food est un phénomène qui prend de l’ampleur. De nombreux domaines (innovation technologique, mode, beauté…) utilisent déjà des plateformes digitales de financement pour mettre en relation les porteurs d’un projet et les personnes souhaitant investir. En terme de food, Foodstart est l’un des acteurs majeurs. Ce site collaboratif donne aux passionnés de cuisine l’opportunité de lancer leur business grâce à l’aide financière des internautes. En contrepartie, la plateforme offre aux contributeurs des réductions et autres avantages afin de valoriser leur engagement. Chacun y trouve donc son compte.
"Déclinaison culinaire du couchsurfing, [le foodsurfing] consiste à aller dîner chez l’habitant"
Le foodsurfing est une autre expression du renforcement du caractère social de la food par le digital. Déclinaison culinaire du couchsurfing, cette tendance consiste à aller diner chez l’habitant, gratuitement ou moyennant une certaine somme. Au cœur de ce concept : faire une découverte culturelle et culinaire mais également rencontrer son hôte. La notion de plaisir et de goût qui sont également des attentes fortes en matière de food sont alors réinvesties, au même titre que le contact humain. Par ailleurs, si le moment du repas est de moins en moins synonyme de partage (déjeuner pris sur le pouce, célibataires, personnes âgées), nombreux sont ceux qui cherchent à éviter la solitude grâce au digital. A ce titre, des plateformes sociales comme COlunching, GrubWithUs, EatWithMe permettent de rassembler des inconnus qui souhaitent développer leur réseau ou tout simplement, ne pas manger seuls.
Appliqué au domaine déjà très « sociable » de la food, le digital enrichit toujours plus les relations sociales entre les individus voire, en crée de nouvelles. Si la nourriture est un fort marqueur social et culturel, le digital donne lieu à de nouvelles formes de « rassemblement » online ou offline, autour de la food. Convivialité, solidarité, sécurité, visibilité, toutes les occasions sont bonnes pour se regrouper et fonder, de manière éphémère ou plus durable, des communautés.
Arthur Sotto & Zoé Gautier, planneurs stratégiques chez Valtech
Extrait du watf / What About The Flavour.