samedi 7 juillet 2012

Alimentation : quel rôle pour la politique de la concurrence ? (Les Échos)

Depuis 2004, les prix des matières premières sont devenus plus volatils et, dans l'Union européenne, les prix à la consommation des denrées alimentaires ont augmenté plus vite que l'inflation. Les citoyens se posent légitimement des questions sur les causes de cette évolution et la meilleure façon d'y remédier. Durant cette période, les autorités de concurrence européennes ont redoublé d'efforts dans le secteur de l'alimentation. Le récent rapport du réseau européen de la concurrence (REC), qui rassemble la Commission européenne et les autorités nationales des Vingt-Sept, montre qu'entre 2004 et 2011 ces autorités ont enquêté sur plus de 180 affaires d'ententes, analysé près de 1.300 concentrations et mené plus de 100 actions de suivi des marchés dans ce domaine.

Elles ont notamment été très actives sur les marchés des céréales, des produits laitiers et de la distribution, où une cinquantaine de cartels ont été constatés et sanctionnés à différents niveaux de la chaîne. Beaucoup se situaient aux stades de la transformation et de la fabrication.

L'Autorité de la concurrence en France a été l'une des plus mobilisées. En témoignent les amendes infligées cette année au cartel de la farine. Autre exemple : l'autorité antitrust italienne a sanctionné en 2009 27 des 29 principaux fabricants de pâtes du pays - représentant 90 % de la production nationale -pour avoir coordonné leurs augmentations de prix entre 2006 et 2009. La hausse des prix de vente résultant de ce cartel a été de 36 % ! En Grèce et en Bulgarie, les autorités nationales ont mis fin à des ententes entre des laiteries qui s'étaient concertées sur les prix versés aux agriculteurs. Quant à la Commission, elle a sanctionné quatre cartels dans les secteurs de la bière et des fruits, et elle enquête actuellement sur d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles concernant les crevettes.
Au total, les autorités de la concurrence en Europe ont donc agi dans l'intérêt de tous les acteurs de la chaîne, des agriculteurs aux consommateurs finaux.

Notre analyse du mécanisme concurrentiel dans l'alimentaire nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement de ces marchés. L'évolution des prix est souvent davantage liée aux fondamentaux qu'au manque de concurrence. Ainsi, l'autorité lettonne a montré que le prix du pain dans ce pays reflétait l'évolution du commerce international des matières premières, la hausse du coût des emballages, de l'énergie et de la main-d'oeuvre, la baisse de la consommation et l'existence de surcapacités.
Il est vrai que la concentration a parfois entraîné une augmentation des prix, comme dans les cas du pain vendu en grandes surfaces et de la transformation du lait au Danemark. Bien que nombre de fusions-acquisitions n'aient soulevé aucun problème, l'action des autorités a conduit à modifier ou à abandonner 83 projets de rapprochement, notamment dans les secteurs du commerce de détail, des produits laitiers et de la viande. La Commission vient d'autoriser l'acquisition par Südzucker, premier producteur européen de sucre, d'ED&F Man, deuxième négociant en sucre à l'échelle mondiale, sous réserve de la cession d'une grande raffinerie italienne.

Les autorités de la concurrence en Europe poursuivront donc leurs efforts dans ce secteur qui satisfait les besoins essentiels des citoyens. Les marchés étant la plupart du temps nationaux, les autorités nationales sont évidemment en première ligne. J'ai aussi créé au début de cette année une « task force » sur l'alimentation au sein de la Commission pour continuer à examiner ces questions.
Au-delà du domaine antitrust, des facteurs structurels empêchent un fonctionnement efficient de ces marchés. Dans certains Etats membres, il persiste des entraves injustifiées à la création de magasins de vente au détail.

Le morcellement de l'agriculture, en particulier dans les secteurs des produits laitiers et des fruits et légumes, constitue aussi un obstacle. Pour y remédier, il faudrait encourager la consolidation sous une forme qui respecte les règles européennes de la concurrence. Des producteurs pourraient mettre en commun une partie de leurs activités - comme la planification de la production, le stockage ou le marketing -et réaliser des gains d'efficacité. Certains ont déjà commencé à créer des coopératives ; d'autres pourraient leur emboîter le pas.

Joaquin Almunia est vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé de la Concurrence.

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