lundi 16 juillet 2012

La biodynamie prend de la bouteille


Avec la production à outrance des années 1970, les viticulteurs s'étaient écartés de la terre. Depuis, quelques-uns se sont tournés, pour le plus grand plaisir des palais, vers la culture biodynamique.

Tout le monde connaît l’agriculture biologique. La volonté de revenir à une alimentation saine a poussé les consommateurs vers les coopératives et magasins biologiques. Mêmes les grandes surfaces s’y sont mises. Mais derrière le concept flou de culture biologique, se cache bien souvent une vérité difficile à accepter pour les puristes. Un légume bio peut-être cultivé dans le respect de l’environnement mais produit sous serre pour accélérer la croissance ou cultivé à des milliers de kilomètres de son lieu de commercialisation. De plus, la culture biologique, bien que très encadrée, laisse libre utilisation de produits de synthèse.

Certes qualitative, cette vision de l’agriculture ne convient pas à tout le monde car elle ne prend pas en compte l’unité de production dans sa totalité. Autrement dit, il s’agit d’appliquer un cahier des charges strict sans essayer de comprendre le pourquoi du comment. La culture biologique devient plus une culture d’application de «normes» à respecter alors qu’elle devrait être une prise de conscience et une réflexion au travers de la plante. La qualité provient de l’expérience, de la compréhension, pas de l’application stricte d’un cahier des charges.

De nombreux viticulteurs ont refusé cette contrainte et ont essayé de comprendre les tenants et les aboutissants de leurs travaux dans la vigne. Leur volonté était simple: vivre en harmonie avec la nature, avec leur travail.

L'homéopathie de la terre
En 1924, période faste pour les questions spirituelles, notamment par le développement du courant théosophique, certains d’entre eux ont demandé à l’un des spécialistes de l’époque, Rudolf Steiner [PDF], anthroposophe (anthroposophie signifie «science de l’esprit»), de réaliser une conférence sur les notions agricoles.

Ce dernier donna un cours de plusieurs jours, appelé «Cours aux agriculteurs», expliquant la relation que devait avoir l’agriculteur avec son métier et sa terre. Le but de Steiner a été d’expliquer que toute ferme, tout domaine viticole doit être considéré comme un être vivant afin d’être le plus diversifié et le plus autonome possible pour limiter le maximum d’entrants chimiques.

Sa stratégie était d’utiliser des plantes naturelles ou des éléments naturels que les agriculteurs pouvaient trouver sur leurs exploitations. Chaque plante ou élément était utilisé pour une raison particulière: la prêle pour sa teneur en silice, la bouse de vache comme engrais, le pissenlit comme protecteur… Mais à dose infinitésimale, comme l’homéopathie. D’ailleurs, comme l’homéopathie, la science ne peut expliquer les bienfaits et seul le pragmatisme des paysans fait loi.

Les principes mêmes de l’anthroposophie et sa vision très ésotérique fut un filtre intellectuel pour des agriculteurs en mal de développement rapide. D’abord utilisée dans l’agriculture céréalière et l’élevage, la biodynamie s’endormit faute de passionnés et de patience.

Des vins en accord avec leur vision
Mais dans les années 1990, et avec le développement d’une culture de plus en plus productiviste, les viticulteurs se sont à nouveau tournés vers cette pratique. Elle leur permet de mieux comprendre leur métier, leur relation à la plante et à la terre.

Un viticulteur est par définition un agriculteur qui doit avoir plusieurs cordes à son arc. Eleveur de vignes, producteur de raisins et vinificateur. Ce tryptique est la pierre angulaire de la passion de ces femmes et de ces hommes. Leur métier ne s’arrête pas à la production, il va jusqu’à la transformation du produit, voire à la commercialisation.

De fait, nombre d’entre eux s’interrogeaient sur l’aspect global de leur travail et les méthodes culturales de production quantitativiste qui n’étaient pas en accord avec leur vision du vin. Le vin est un produit de partage, d’échange, de passion et avant tout un aliment d’une grande portée symbolique à défaut d’être indispensable. Ils ne pouvaient donc concevoir la simple vision quantitative mais souhaitaient développer une vision qualitative.

Quelques pionniers ou agriculteurs issus des années 1968, avec l’aide du technicien agricole Pierre Masson, commencèrent à s’intéresser à la biodynamie. Très vite, ils s’aperçurent de l’intérêt qu’ils avaient à utiliser cette méthode culturale.

Des vignes plus vivaces, des raisins plus sucrés et d’un goût plus prononcé, des vins plus en accord avec leur vision.

Aujourd’hui, la biodynamie peut aussi bien s’appliquer dans des propriétés connues et reconnues que dans des propriétés moins ambitieuses. Le seul mot d’ordre est la qualité. Produire des raisins les plus sains possibles, véritable vecteur de la terre qui les a vu naître pour réaliser des vins de terroirs, des vins de haute couture.

Deux parcours en biodynamie
Prenons l’exemple de deux vignerons aux antipodes l’un de l’autre.

Cyril Dubrey, jeune ingénieur agronome, a décidé, un beau jour, d’abandonner la culture conventionnelle au profit de la biodynamie. Ce déclic s’est produit quelques mois après le rachat de sa propriété dans l’appellation Pessac-Léognan dans le bordelais.

En vivant sur place, ses enfants avaient annexé la vigne comme terrain de jeu. Sa formation initiale d’ingénieur agronome le poussait vers une culture conventionnelle utilisant de nombreux produits pour pallier les maladies de la vigne. Ces produits, souvent très nocifs pour l’homme, ne devaient pas être très sains pour ses enfants. De là, il décida de ne plus utiliser de produits nocifs pour lui et sa famille. Faisant fi de l’ensemble de son savoir, il se tourna vers la biodynamie afin d’utiliser des tisanes de plantes, des décoctions et de repenser complètement son rapport au travail et à la vigne.

Aujourd’hui, il est fier de faire visiter sa propriété aux amateurs de vin et de leur expliquer les bienfaits de cette technique. En quelques années, Cyril a réussi à proposer des vins à la fois plus complexes, plus fruités et surtout plus digestes. Des vins qui se boivent avec plaisir, sans lourdeur aucune et dont la fraîcheur et le dynamisme sont identifiables dès les premières fragrances. Mais surtout, il s’est engagé dans une voie plus respectueuse de la terre, de la plante et laisse ses enfants gambader dans ces vignes sans aucune inquiétude. Il propose aujourd’hui des vins qui lui ressemblent, qui expriment leur terroir, qui ont une personnalité. Pas des vins normés, flatteurs mais sans âme.

Car c’est là l’aspect positif de la biodynamie. Dans un monde du vin qui propose des vins lourds, amples et avec des doses de soufre très importante, il devient difficile de terminer une bouteille sans avoir la tête endolorie par une barre au niveau du front. Les produits chimiques et le soufre sont comme des anesthésiants de plaisir.

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