Le géant de la grande distribution veut tourner le dos aux errements du passé. Au prix de 500 à 600 suppressions de postes.
Il était très attendu jeudi matin. Georges Plassat, le nouveau patron de Carrefour, devait détailler sa stratégie pour redresser le numéro deux mondial de la distribution après l'annonce, la veille, de 500 à 600 suppressions de postes administratifs. Mais il n'a fait aucune proposition fracassante lors de la présentation des comptes de l'enseigne pour le premier semestre 2012.
Oubliés, les grands soirs de la grande distribution, "plan reset" et autres Carrefour Planet (nouveau concept d'hypermarchés), moqués pour leur dénomination anglo-saxonne. La stratégie de son prédécesseur en prend un sacré coup, notamment la convergence des enseignes sous la bannière Carrefour, qui a désorienté le client, incapable de comprendre pourquoi le Carrefour City du coin de la rue pratique des prix beaucoup plus élevés que l'hypermarché aux mêmes couleurs. Georges Plassat veut fait table rase des errements du passé pour revenir aux sources : le bon sens de l'épicier, en quelque sorte.
Remotiver le personnel dans les magasins
Alors ill commence par rassurer les inquiets. Les suppressions de postes administratifs présentées aux syndicats en comité central d'entreprise se feront sur la base de départs volontaires, voire grâce à des propositions de reclassement. L'allègement de la structure centrale (7 000 salariés en tout sur 410 000 salariés au total dans le monde) n'en reste pas moins nécessaire : "Plus on augmente le nombre de gens qui réfléchissent, plus on s'éloigne de la simplicité", explique Georges Plassat, en assurant vouloir réveiller des équipes "chloroformées". Mais, contrairement aux craintes, il n'y aura pas d'autre plan de suppression d'emplois pour l'instant. Le patron de Carrefour fait l'éloge du "capital humain" de l'entreprise et de la nécessaire présence du personnel dans les magasins pour répondre aux interrogations des clients. De plus en plus nombreux, les seniors "cherchent des prétextes pour discuter", explique très sérieusement Georges Plassat, en déployant un humour qui plaît visiblement à ses troupes et aux analystes financiers.
Carrefour veut redonner de la liberté à ses directeurs de magasins pour qu'ils puissent s'approvisionner localement, choyer leur personnel trop souvent "humilié" et "démotivé" à cause d'un manque de formation. En creux, il dessine une critique acerbe des dérives qui ont plombé l'entreprise, notamment l'excès de centralisation des décisions.
Mettre des cabines au rayon habillement
Pendant près de deux heures, Georges Plassat décrit les entraves que Carrefour s'est lui-même imposées au fil du temps et les moyens de s'en affranchir. Pas question d'abandonner le non-alimentaire (électroménager, textile), malgré des marges au plus bas et des rayons désertés au profit de la concurrence des enseignes spécialisées. "Qu'est-ce qui se passera si on interrompt la présence de certaines gammes dans nos hypermarchés ? Eh bien, les gens iront d'abord chez les spécialistes et éventuellement chez nos concurrents généralistes, parce qu'ils se demanderont où est ce qu'il peuvent faire leurs achats en une seule fois." Reste à savoir comment rendre le non-alimentaire à nouveau rentable.
Pour cela, il s'agit d'éviter les erreurs qui font "qu'on s'est retrouvé certaines années avec des robes longues à Garges-lès-Gonesse". Autre exemple au rayon habillement : "Il faut mettre des cabines d'essayage (...). Quand il y en a pas, c'est quand même compliqué de vendre le bas. Quand on regarde la proportion entre le haut et le bas, incontestablement, le bas joue son rôle !" Pour mieux se faire comprendre, Georges Plassat va jusqu'à raconter ses visites en magasin : "On a vu des gens se balader avec des produits la main en l'air, cherchant désespérément quelqu'un qui leur indique les cabines (...), il a fallu les emmener à 50 mètres de là pour qu'ils se déshabillent... C'est quand même assez décourageant pour acheter un pantalon !" Derrières ses bons mots, la nouvelle stratégie de Carrefour finit par émerger. Le retour aux sources du métier de la grande distribution.
Et le coeur d'une grande surface, c'est l'alimentaire. "Soyons dans l'excellence pour les produits frais, ne sacrifions pas la qualité et le plaisir au prix." Pour les rayons épicerie, l'idée est de se concentrer sur les grandes marques en leur redonnant une meilleure visibilité, afin d'être mieux à même de négocier avec les fournisseurs des prix attractifs. Au passage, Georges Plassat égratigne la volonté de vendre 40 % des volumes sous la marque Carrefour dont l'image est brouillée par la concurrence de la gamme... "Carrefour Discount !"
Finies aussi les promotions délirantes qui habituent les consommateurs à des prix irréalistes, Carrefour veut pratiquer "des prix bas tous les jours", comme le vante son nouveau slogan publicitaire ("Les prix bas, la confiance en plus"), visiblement directement inspiré par la réflexion du nouveau patron.
Chasse au gaspillage
Pour faire baisser les coûts, point de recette miracle. Il faut faire la chasse au gaspillage, jusqu'à la consommation de stylos ("On a l'impression qu'il y en a qui les mangent"). Une politique que Georges Plassat veut décentraliser pour mieux identifier les sources de dépenses inutiles et surtout mieux gérer les stocks, de plus en plus difficiles à écouler dans le non-alimentaire en cas d'invendus.
Pris à la gorge par une internationalisation à marche forcée, qui a consommé trop de cash au détriment des marchés dits "matures", le numéro un de la grande distribution en Europe veut aussi rationaliser sa présence dans le monde en se concentrant sur ses marchés stratégiques. En témoigne son retrait de Grèce et de Singapour. Pas question en revanche de reculer sur ses marchés européens forts, et ce malgré la violente crise économique dans les pays du Sud. Georges Plassat s'est donné trois ans pour réussir mais pas d'objectifs chiffrés. Les grands actionnaires, Bernard Arnault et Colony Capital, l'attendent au tournant.
Source: Le Point (http://goo.gl/r4fmi)
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