Dans ce débat, la grande absente aura été la direction de Delhaize qui a décliné l’invitation de l’émission "Mise au Point". Elle qui évoque pourtant "un handicap de coût important et qui ne cesse de croître".
Le nombre réel des licenciements pourrait cependant être inférieur aux 2500 annoncés, explique Myriam Delmée (Setca) "Les pertes d’emplois se feraient dans le cadre de la loi Renault qui oblige l’entreprise à citer le nombre de licenciements le plus pessimiste." Mais pour la syndicaliste socialiste, il y a dans cette annonce une part de tactique de Delhaize qui tente de faire peser tout le poids sur les licenciements alors que le vrai problème, selon elle, relève de lacunes dans la gestion commerciale : "Que Delhaize nous dise en quoi il paie davantage son personnel que les autres enseignes. Nous n’avons jamais mis de revolver sur la tête de la direction. La vérité est que Delhaize veut des accords sectoriels minimalistes".
Les coûts salariaux sont-ils le vrai problème?
Une étude Mc Kinsey pointait déjà, en 2006, le problème des coûts salariaux face à des marges en dégradation constante dans la distribution. comme si la situation actuelle était, déjà, inscrite dans les astres.
La CNE, Delphine Latawiec réfute l’argument selon lequel les coûts salariaux seraient de 15 à 33% supérieurs à ceux de la concurrence. Selon elle, il faut comparer toutes les conditions des différents acteurs de la grande distribution, et pas uniquement le quart d’heure de repos payé au personnel de Delhaize qui a été fort médiatisé.
Pierre-Alexandre Billiet, professeur à la Solvay business School pose pourtant un postulat chiffré: "Dès que le salaire représente -comme c’est de la cas pour la grande distribution- 70 à 75% des coûts opérationnels, toute variante dans ces coûts a un impact important. D’autant que le personnel est nombreux."
Attaquant les syndicats de front, Dominique Michel (Comeos, représentant la distribution) avance que lors des difficultés de Carrefour en 2011, Myriam Delmée (Setca) avait déclaré qu’il n’y avait aucun problème de coûts salariaux chez Carrefour, ceux de Delhaize étant plus élevés. Une reconnaissance, pour Dominique Michel, de la situation que traverse Delhaize aujourd’hui. Le représentant de la distribution met alors en garde contre un scénario Ford-Genk avec, au final, la fermeture de l’entreprise. Au contraire, il appelle de ses vœux le scénario Volkswagen Bruxelles où des mesures prises à temps font que l’entreprise a réinvesti et fonctionne bien.
30 millions de coûts supplémentaires, dont 19 pour les parachutes dorés
Des faux arguments, rétorque Delphine Latawiec (CNE) qui relève que l’an passé, le coûts en personnel ont augmenté de 4,5%, mais les dividendes de 11%. "Sur 30 millions d’augmentation des coûts, 19 millions ont été donnés aux CEO qui sont partis. Et quand Delhaize évoque les salaires, il faut tenir compte des chèques-repas et des réductions de prix accordées aux caisses. Ce sont donc aussi des rentrées pour le magasins de l’enseigne."
Hard Discount et franchisés : coupables car plus rentables?
Yves Noirfalisse, président de l’Aplsia, (représentant les indépendants de l’alimentation) explique qu’une structure franchisée peut compter sur une plus petite surface et des coûts de personnel moins élevés, mais demande que l’on cesse de fustiger la grande distribution uniquement sur les coûts salariaux. Il pointe au contraire le phénomène des hard discounters qui ont pris 20% du marché. "On parle de 750 points de ventes en hard discount ajoutés au cours des 20 dernières années et cela croît encore. S’additionne le ‘soft discount’ de type Colruyt qui a vu ses parts de marché croître en 20 ans de 8 à 25%."
Pour le professeur Pierre-Alexandre Billiet, le hard discount a trouvé son créneau. Et en voulant jouer sur les deux axes prix/qualité, Delhaize n’a peut-être pas fait le bon choix. Delphine Latawiec (CNE) assure que Delhaize a commis une erreur stratégique en portant à 50% la présence en rayons de ses marques propres. "Cela incite les producteurs à accorder moins de ristourne sur leurs produits."
Trop de magasins en Belgique
La Belgique souffrirait aussi de la pléthore de l’offre. Avec huit grandes enseignes, notre pays serait largement au-dessus de la moyenne européenne. "Dominique Michel (Comeos) y voit une "une richesse pour les consommateurs ", mais une richesse qui a un prix. D’autant que le pouvoir de négociation avec les producteurs est réduit par le nombre de chaînes et la taille du pays. Pour Comeos, "Un commerçant français paie ses produits moins cher à l’achat et le taux de TVA est inférieur chez tous nos voisins".
Pour Myriam Delmée, les salaires ne sont pas responsables de la concurrence étrangère. "Par rapport aux autres pays, nous avons un différentiel de coûts de 10%. Mais dans ces 10%, seuls 2% relèvent du salaire. Et comme la compétence des implantations des magasins est maintenant régionalisée, on risque d’avoir des législations différentes de part et d’autre des frontières linguistiques."
A cela s’ajoute la grande proximité des frontières. Yves Noirfalisse estime que 50% des consommateurs belges habitent à moins de 50 km d’une frontière. Raison pour laquelle 10% des 22 milliards d’euros de la distribution alimentaire partent à l’étranger. "Si Delhaize avait pu conserver 10% de son chiffre en évitant la concurrence étrangère, la question ne se poserait pas."
Le rôle citoyen du consommateur mis en cause
Le consommateurs a-t-il un rôle à jouer dans le modèle de commercialisation des produits?
Pour Pierre-Alexandre Billiet (Solvay), son influence est de taille puisque le budget alimentaire des Belges, représente 5500 euros par an par ménage. " L’acte d’achat permet de donner un pouvoir à un distributeur. Dans le passé, l’impact était lointain, mais aujourd’hui notre consommation a un impact matérialisé tout près de chez nous. Certains distributeurs créent plus d’emploi que d’autres. Si on achète chez les autres, on est partiellement responsable."
Pour le secteur de la grande distribution, Dominique Michel répond "On ne critiquera jamais le consommateur. Il ne doit d’ailleurs même plus aller à l’étranger pour concurrencer nos enseignes, internet permet désormais d’acheter des produits alimentaires à l'étranger. Si on ne fait rien, on va perdre des milliers d’emplois." Aujourd’hui 30% de l’e-commerce est organisé depuis l’étranger. Et cela pourrait atteindre les 70% selon les estimations de Comeos.
Pour la CNE, Delphine Latawiec veut relativiser l’impact du commerce en ligne : "Tout le secteur fait déjà de l’e-commerce, 50% du chiffre d’affaires est réalisé par des magasins affiliés et par l’e-commerce. Le secteur se tire une balle dans le pied.
"Et licencier 2500 salariés, c’est licencier 2500 consommateurs", conclut la syndicaliste Myriam Delmée.
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