lundi 7 janvier 2013

S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent du bio !


Le bio peut-il nourrir la planète ?
La terre est ronde…
L’agriculture bio refuse engrais et pesticides de synthèse… Mais sans avoir pris la précaution élémentaire de poser la question préalable : peut-on nourrir la planète de cette façon ?
Diverses études ont évalué les performances du bio.
- Elles montrent que dans des régions très pauvres qui n’ont pas les moyens de se procurer engrais et pesticides, quelques techniques expérimentées par l’agriculture bio permettent d’améliorer les rendements. Quelques fois, c’est ce seul résultat qui est présenté ; c’est vrai, c’est tronqué, c’est trompeur.
- Les études montrent aussi, sans ambiguïté, que cela est loin de compenser le déficit de rendement du bio dans les régions d’agriculture intensive.
Il en résulte que le bio ne pourrait pas nourrir la planète, pour une raison aussi simple que 1 plus 1 font 2 : avec des rendements moyens inférieurs de 30%, le bio généralisé nécessiterait de nouvelles terres cultivables (il s’agit de rendements moyens, inutile d’y opposer des exemples de quelques rares cas particuliers de rendements exceptionnels). Mais la terre est ronde, on le sait maintenant… elle est donc limitée, quand on en a fait le tour la boucle est bouclée. Alors, où trouver ces nouvelles terres à cultiver ? Il y en a encore quelques-unes par-ci par-là, mais il faut en trouver beaucoup, au minimum doubler nos surfaces agricoles, pour de multiples raisons :
  • Parce que la population mondiale continue de croître. Sept milliards aujourd’hui, neuf milliards bientôt.
  • Parce que le niveau de vie de la multitude des pauvres croît également. Ce qui se traduit par une demande encore plus importante, au-delà du seul accroissement numérique de la population.
  • Parce que nous avons mangé notre pain blanc – ou plutôt nos terres noires, les meilleures, les plus productives ; il faudra donc une plus grande surface pour produire la même quantité de nourriture.
Et ne parlons pas des biocarburants…
« Répondre à la demande alimentaire mondiale croissante impliquera soit une agriculture intensifiée (en utilisant davantage de produits chimiques, d'énergie et d'eau et des cultures et des espèces plus efficaces) ou de cultiver plus de terres. » (Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) - rapport 2007 "Global Environment Outlook" (GEO-4))
Utilisons un bon dictionnaire de la langue du réalisme : "cultiver plus de terres", cela se traduit tout simplement par "abattre des forêts" ; la forêt amazonienne par exemple. C'est déjà commencé.
Le problème est en outre accentué par la croissance inexorable des villes, routes, aéroports, résidences secondaires, etc. Cinq pour cent des surfaces cultivées sont ainsi phagocytés tous les dix ans ; il y quelques siècles, les New-yorkais campaient dans leur tipi au bord de l'Hudson, et les Champs-Élysées furent tracés au milieu des champs et des bois.
De tout cela il résulte une diminution alarmante de la terre arable disponible par habitant. Peut-on se permettre le luxe d'adopter des méthodes de culture qui nécessitent 30% de terres en plus ? Norman Borlaug, agronome, Prix Nobel de la paix en 1970 pour sa participation à la révolution verte, nous met en garde : « Nous n’allons pas nourrir 6 milliards d’êtres humains avec des engrais biologiques. Si nous essayons de le faire, nous abattrons la majorité de nos forêts. » (2002)
Du bio ou rien ! disent-ils. Le risque est que ce soit vraiment rien pour des milliards de terriens…
« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent du bio ! »
Le défi alimentaire qui s’annonce pour les années à venir est gigantesque 1. La FAO ("Food and Agriculture Organization of the United Nations", ou "Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture") a organisé une conférence à Rome, en mai 2007, pour faire le point sur les possibilités de l'agriculture biologique. La position de la FAO est exposée sur son site :
 « Il n’est pas possible de nourrir aujourd’hui six milliards de personnes, et neuf milliards en 2050, sans une utilisation judicieuse d’engrais chimiques 2. »
 La position de la FAO est parfaitement claire et lisible par tous sur son site. Pourtant, quantité de sites ont répercuté exactement l'information contraire ; par exemple le site Rue89 « Selon la FAO, l'agriculture bio peut nourrir la planète. » (http://www.rue89.com/2007/06/30/selon-la-fao-lagriculture-bio-peut-nourrir-la-planete) ; on retrouve également cette rumeur dans le livre de Corinne Lepage et Jean-François Bouvet Sans nucléaire on s'éclairerait à la bougie et autres tartes à la crème du discours techno-scientifique (Seuil, 2010, page 29).
Comment est-il possible de diffuser une information dont tout le monde peut vérifier à tout instant qu'elle est fausse ? Est-ce le fait de personnes qui parlent de ce qu'elles ne connaissent pas, ou de militants qui ne reculent pas devant la désinformation, ou autre ?
Cette fausse rumeur s'appuie sur un tour de passe-passe : à l’occasion de la conférence de Rome, la FAO a publié le compte-rendu des débats des participants(ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/meeting/012/J9918F.pdf), ainsi que l'ensemble des contributions présentées (ftp://ftp.fao.org/paia/organicag/ofs/OFS-2007-INF-rev.pdf). Ces contributions ne traduisaient pas la position de la FAO. C'est pourtant ce que firent mine de croire les militants, qui ont collé l'étiquette "parole de FAO" à celles qui leur convenait.
La FAO fut rapidement consciente de cette supercherie. Sur son site, le président Jacques Diouf la dénonce : « En mai de cette année, la FAO a accueilli une Conférence internationale sur l’agriculture biologique. Selon l’un des documents présentés à cette occasion – mais il ne s’agissait pas d’un document de la FAO – l’agriculture biologique devrait pouvoir produire suffisamment d’aliments pour nourrir la population mondiale actuelle. Il n’empêche que, selon la FAO, […] le potentiel de l’agriculture biologique n’est pas suffisant, loin s’en faut, pour nourrir le monde. »
La position de la FAO découle naturellement des nombreuses études, des nombreux rapports, des nombreuses alertes sur l’urgence du problème alimentaire et sa dépendance des intrants chimiques :
« La catastrophe la plus grave à laquelle l’humanité pourrait être confrontée au cours de ce siècle n’est pas le réchauffement de la planète, mais une conversion généralisée à l’agriculture biologique : selon les estimations, 2 milliards de personnes en mourraient 3. »
« […] le défi consistant à alimenter une population croissante figure parmi les nombreux problèmes qui n'ont pas été résolus et qui mettent l'humanité en danger. […]
La sécurité alimentaire des deux tiers de la population mondiale dépend des engrais, en particulier de l'azote. […]
D'ici 2030, les pays en voie de développement auront probablement besoin de 120 millions d'hectares supplémentaires pour se nourrir. » (Rapport du PNUE, Programme des Nations Unies pour l'Environnement, Global Environment Outlook (GEO-4) – Octobre 2007)
« En vue de maintenir les niveaux actuels moyens de production agricole sans épuisement des éléments nutritifs des sols, l'Afrique aura besoin d'environ 11,7 millions de tonnes d'APK [Azote, Phosphore, Potassium] chaque année, environ trois fois plus que ce qu'elle utilise maintenant. » (IFPRI - International Food Policy Research Institute – L'Epuisement Des Elements Nutritifs Dans Les Terres Agricoles De L'Afrique)
La chimie est nécessaire pour nourrir l’ensemble de la planète.Alimentaire mon cher Watson !
Mais les pays développés, qui vivent dans l’abondance alimentaire, n’ont pas conscience du défi alimentaire qu’il faut relever. Ils ne recherchent pas plus de nourriture pour assouvir la faim de toute la planète ; ce qu’ils recherchent, c’est encore plus de raffinement pour leurs petites papilles si délicates, dont le supposé raffinement du bio. Le bio est un sport de riches. Une France toute bio mangerait encore à sa faim, mais elle exporterait moins de produits agricoles, aggravant globalement les difficultés alimentaires dans le monde. Et il ne suffirait pas de dire :
"S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent du bio !"
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 1 Voir ce document de la FAO : Une voie étroite pour la sécurité alimentaire d'ici à 2050... -http://www.fao.org/docrep/003/X3002F/X3002F03.htm
2 Déclaration de Jacques Diouf directeur de la FAO, le 10 décembre 2007 -http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2007/1000726/index.html(page vue en décembre 2012)
3 John Emsley de la Cambridge University. Cité dans l’avis d’annonce de la conférence internationale sur l’agriculture biologique et la sécurité alimentaire, organisée à Rome par la FAO, mai 2007.ftp://ftp.fao.org/paia/organicag/announcement_fr.pdf
Source: Mediapart (http://goo.gl/Q8hWt)

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