mardi 4 décembre 2012

Huile de palme : aspects nutritionnels, sociaux et environnementaux


L'huile de palme est présente dans de nombreux produits alimentaires que nous consommons tous les jours : certains biscuits et pâtisseries, pâtes à tartiner, margarines, huiles de friture... Elle fait l'objet de controverses, est accusée d'être néfaste à la santé, de ne pas être étiquetée clairement sur les emballages des produits, d'être à l'origine de la déforestation de l'Indonésie et de porter atteinte à la biodiversité. Qu'en est-il réellement ?

Le Fonds français pour l'alimentation et la santé rend public le 21 novembre 2012, son « Etat des lieux » sur les aspects nutritionnels, sociaux et environnementaux de l'utilisation de l'huile de palme. Ce travail scientifique initié en juin 2012 est sans rapport avec les développements médiatiques récents relatifs à l'huile de palme.
Le Fonds a souhaité que l'existence de controverses sur un sujet donné ne le conduise pas à s'abstenir de toute expression mais plutôt à faire en sorte que la population reçoive une information scientifique aussi objective que possible, répondant ainsi à sa mission d'intérêt général.
Il s'est ainsi donné pour objectifs de choisir des sujets, de dresser un état des lieux des connaissances, d'examiner les données et niveaux de preuve qui étayent les hypothèses ou affirmations en présence et de répertorier les travaux de recherche en cours dans les champs disciplinaires relevant de son domaine de compétences.
En ce qui concerne l'huile de palme, le Fonds s'est attaché à examiner les systèmes de production, la consommation et ses effets, sous un angle scientifique multidisciplinaire. Il a pour cela demandé en juin 2012 une contribution écrite initiale à trois experts, demandé ensuite à un comité de lecture de haut niveau d'effectuer une analyse critique du document, et sollicité enfin les différentes parties prenantes autour d'une séance de « regards croisés ».
Cette procédure conduite sous la coordination scientifique du Professeur Bernard Guy-Grand, membre scientifique du Conseil d'administration, a été étroitement suivie par le Conseil scientifique du Fonds afin d'apporter un éclairage aussi objectif que possible, en ayant pris soin de vérifier que les différents prismes d'examen du sujet avaient bien été pris en considération.
Définition
L'huile de palme, issue de la pulpe du fruit du palmier à huile, est une graisse concrète, c'est-à-dire solide à température ambiante.
En Europe, l'huile de palme est le plus souvent vendue et consommée raffinée, c'est-à-dire après décoloration et désodorisation. Elle possède de très nombreuses utilisations dans le monde : 80 % pour l'agroalimentaire, 19 % pour l'oléochimie et 1 % pour le biodiesel.
Avec 130 000 tonnes par an, l'huile de palme incorporée dans les produits alimentaires transformés représente 31 % des importations en France.
Composition
Comme toute huile, l'huile de palme contient quasiment 100 % de lipides. La part des acides gras saturés est d'environ 50 %, dont principalement l'acide palmitique.
Composition de l'huile de palme
Caractéristiques et fonctionnalités
Les huiles végétales fluides à température ambiante contiennent au maximum 15 % d'acides gras saturés (AGS) alors que l'huile de palme, du fait de sa richesse en acides gras saturés, est solide à température ambiante. D'autre part, les graisses végétales les plus riches en AGS telles que l'huile de palme, offrent une meilleure résistance à l'oxydation (ne rancissent pas rapidement) et aux traitements thermiques (sont stables en cuisson et friture).
Ces caractéristiques fonctionnelles tout à fait particulières (stabilité, fonction solide), influencent legoût des produits finis dont la texture (onctuosité, croquant ou croustillant) est en grande partie apportée par la matière grasse. De ce fait, l'huile de palme a souvent été une réponse aux problématiques posées au début des années 2000, de recherche de matières grasses contenant peu ou pas d'acides gras trans jugés défavorables (élévation du cholestérol LDL et abaissement du cholestérol HDL). Le recours à l'huile de palme doit se faire au gré des possibilités de substitution des huiles végétales partiellement hydrogénées, notamment en fonction des alternatives technologiques existantes (fractionnement, interestérification, hydrogénation totale), car il n'est pas souhaitable d'augmenter l'apport en acides gras saturés des Français, déjà au-dessus des ANC.
Le remplacement de l'huile de palme par d'autres matières grasses doit être abordé en termes de possibilités, d'impossibilités ou de compromis, selon le degré de dépendance de la formulation du produit fini aux caractéristiques fonctionnelles particulières de l'huile de palme (comportement à la cristallisation, teneur en solide à une température donnée). Les alternatives sont plus ou moins accessibles et pas toujours plus satisfaisantes au plan nutritionnel quand il s'agit de concilier les recommandations nutritionnelles (réduction des teneurs en matière grasse et en AGS) et le maintien de la qualité organo-leptique des produits finis, ce qui a minima peut requérir une adaptation des lignes de fabrication.
Conséquences sur la santé
Chez l'Homme, les acides gras saturés sont globalement hyper-cholestérolémiants. De ce fait, les conséquences cardiovasculaires de la consommation d'huile de palme s'inscrivent dans le problème général du rôle des acides gras saturés (d'origine végétale ou animale) en raison de l'augmentation du cholestérol LDL qu'ils produisent.
L'élévation du cholestérol LDL reste un des facteurs majeurs du risque cardiovasculaire. Les études épidé-miologiques et cliniques anciennes montrent que le risque cardiovascu-laire au niveau des populations augmente avec la consommation d'acides gras saturés. Des études épidémiolo-giques plus récentes suggèrent que cette relation est faible ou nulle. Les études d'intervention réduisant l'apport en AGS, difficiles à interpréter car la diminution des AGS est toujours assortie d'une augmentation des acides gras polyinsaturés, fournissent des résultats négatifs, positifs ou nuls selon les cas.Des études ayant évalué la substitution des acides gras saturés par des acides gras insaturés, montrent une réduction du risque.
Le lien entre maladies cardiovasculaires et consommation d'AGS est soumis à de nombreux facteurs confondants (apports en cholestérol, fiabilité des recueils alimentaires, prise en compte des autres lipides alimentaires, nature des hydrates de carbone des régimes, etc.) expliquant en partie les résultats discordants des études. Au total, un excès d'acides gras saturés n'est pas souhaitable car, outre son effet hypercholestérolémiant, il peut exercer un effet pro-inflammatoire et réduire l'insulino-sensibilité à dose élevée pouvant favoriser le syndrome métabolique.
L'acide palmitique ne représente qu'une faible part de la consommation des acides gras saturés. L'Anses, qui a actualisé en mai 2011 les Apports nutritionnels conseillés (ANC) pour les acides gras, recommande de les limiter à 12 de l'apport énergétique total (soit 27 g par jour pour une ration de 2000 kcalories), dont 8 % pour les acides gras les plus hypercholesté-rolémiants, parmi lesquels l'acide palmitique.
En France, la consommation moyenne d'huile de palme reste faible. Elle peut être estimée à environ 5,5 g/j/personne (2 kg/pers/an), soit environ 6 % de la consommation totale de lipides chez l'adulte. La consommation apparente moyenne d'acide gras saturés provenant de l'huile de palme serait ainsi d'environ 2,7 g/jour/personne (surestimée par rapport à la consommation réelle compte tenu des pertes), soit 10 % des apports conseillés en acides gras saturés pour une ration de 2000 kcal.
Au plan nutritionnel, il importe, pour les corps gras comme pour les autres aliments, que les sources soient aussi diversifiées que possible afin de permettre aux consommateurs d'atteindre un équilibre optimal. Or, en France, cette diversité est une réalité.
Réglementation et étiquetage
A l'heure actuelle, les listes d'ingrédients peuvent utiliser les désignations suivantes : « Huile [ou graisse ou matière grasse (MG)] végétale ». L'indication de l'origine végétale spécifique de (s) huile(s) peut également être spécifiée et l'emploi d'une huile (ou graisse ou MG) transformée par hydrogénation doit être signalé par le qualificatif « hydrogénée ». En outre, l'étiquetage nutritionnel n'est obligatoire qu'en cas d'allégation nutritionnelle ou de santé portant sur l'un des constituants de la denrée alimentaire. Ces dispositions réglementaires font que l'origine végétale des huiles composant une désignation « huile ou graisse ou MG végétale » n'est généralement pas précisée, d'où un manque de clarté pointé par les associations de consommateurs.
Les dispositions réglementaires d'étiquetage sont en cours d'évolution depuis la publication du règlement européen « information des consommateurs sur les denrées alimentaires » dont les dispositions générales seront effectives à partir du 13 décembre 2014. Des éléments de réponse seront ainsi apportés aux préoccupations des consommateurs :
  • en cas de mélanges d'huiles ou graisses végétales raffinées, l'emploi des termes génériques « huiles végétales » ou « graisses végétales » sera suivi de rénumération des origines spécifiques.
  • Même en l'absence d'allégations, à compter de décembre 2016 l'information nutritionnelle sera obligatoire et comportera 7 indications de base parmi lesquelles les matières grasses, dont les AGS, et de manière volontaire, les AGMI et AGPI ;
  • Ne faisant pas partie de la déclaration nutritionnelle réglementaire, l'indication des teneurs en AGT ne sera plus possible (ni obligatoire, ni volontaire) ;
  • L'indication huile (ou graisse) hydrogénée devra préciser « totalement » ou « partiellement ».
Aspects économiques et environnementaux
Le palmier à huile est exclusivement cultivé dans les zones tropicales humides et principalement dans deux pays, l'Indonésie et la Malaisie. La production d'huile de palme devrait augmenter d'ici 2050 en lien avec la consommation mondiale croissante de corps gras. La consommation européenne d'huile de palme pèse pour 12 % dans la balance mondiale.
L'élaeiculture (culture du palmier à huile) est caractérisée par le rendement exceptionnel du palmier à huile (39 % de la production mondiale en huile végétale pour 7 des surfaces agricoles en oléagineux occupées) et le coût de production le moins élevé des huiles végétales (coûts de production de l'huile de palme inférieurs de 20 % à ceux du soja). Elle repose sur des systèmes de culture très diversifiés, allant de l'exploitation familiale de quelques hectares (à l'origine de plus de 50 % de l'huile de palme produite aujourd'hui) au périmètre agroindustriel de plusieurs dizaines de milliers d'ha. Bien gérée, l'élaeiculture est capable de générer des revenus élevés et stables et de porter une classe moyenne rurale sur plusieurs générations, ce que peu de matières premières tropicales sont capables de réaliser.
Comme pour les autres oléagineuses de grande culture, les contraintes biologiques commandent une distribution strictement intertropicale du palmier à huile et donc une cohabitation forcée avec les derniers hots-pots de biodiversité dans le monde. Lextension des plantations peut ainsi conduire, mais pas de manière automatique, à la déforestation (la création de nouvelles palmeraies explique 14 de la déforestation enregistrée entre 1990 et 2005 en Indonésie et 10 % de celle enregistrée en Indonésie et en Malaisie depuis 2005).Elle est, en outre, source de conflits fonciers.
La culture du palmier à huile doit s'orienter vers un mode de production plus durable. Pour les périmètres déjà plantés en palmier, souvent loin de présenter les rendements attendus, il importe ainsi d'optimiser le fonctionnement des palmeraies en impactant au minimum l'environnement, notamment par la mise à disposition de semences sélectionnées, la mise en place d'une fertilisation raisonnée, la réduction de l'utilisation de pesticides.
D'autre part, la mise en place de nouveaux projets de plantation, notamment en Afrique, offre aux gouvernements et à l'ensemble des parties prenantes une opportunité de développer une stratégie partagée, basée sur les normes et standards internationaux, et capable d'orienter l'expansion rapide et le développement durable du secteur.
RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil)
Mise en œuvre depuis 2008, la RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil) est une initiative internationale multi-acteurs dont l'objectif est la certification et la promotion d'une huile de palme durable, sur une base volontaire. Elle apporte notamment de réels bénéfices pour les planteurs. Cette initiative est cependant encore loin d'atteindre tous ses objectifs et est considérée comme peu contraignante et donc insuffisante.
Cette certification propose 8 principes et 39 critères auxquels est conditionnée la certification. La RSPO rassemble aujourd'hui plus de 700 membres, 100 affiliés et 150 associés.
Avec 1,3 Millions d'ha de plantations certifiés RSPO (environ 10 % de la surface mondiale plantée), l'offre en huile CSPO (Certified Sustainable Palm Oil) est supérieure à la demande, ce qui peut s'expliquer notamment par l'actuelle impossibilité d'organiser une filière ségréguée qui garantirait aux acheteurs de dérivés d'huile de palme d'avoir des produits certifiés.
Les consommateurs occidentaux ont la possibilité de tirer la filière vers le haut en exigeant des transformateurs le respect des normes existantes de durabilité, et en encourageant leur amélioration. La stratégie consistant à encourager l'utilisation d'huile certifiée RSPO (et/ou soumise à d'autres standards plus drastiques, si disponibles et vérifiables) présente en effet des avantages sociaux et environnementaux incontestables.
Conclusions
Au final, cette approche multidisciplinaire des enjeux nutritionnels, sociaux et environnementaux de la production et de la consommation d'huile de palme montre que les besoins sont de l'ordre des pratiques raisonnées. Il serait ainsi justifié au plan scientifique :
  • d'encadrer et d'organiser le développement du palmier à huile, en prenant en compte les enjeux agroécologiques, sociaux et environnementaux au Sud,
  • de concevoir des processus de certification reposant sur des bases scientifiques solides et sur des valeurs partagées,
  • de tout mettre en œuvre pour que l'huile de palme certifiée représente une part aussi importante que possible du total de l'huile mise en marché,
  • de faire en sorte que l'incorporation d'huile de palme soit raisonnée au cas par cas par les entreprises du secteur alimentaire et que les substitutions avec d'autres matières grasses répondent à des objectifs d'optimisation nutritionnelle,
  • de faire en sorte que les niveaux de consommation d'huile de palme actuellement observés en France n'augmentent pas significativement,
  • de veiller à ce que les consommateurs du Nord disposent d'une information complète sur les enjeux de la production et de la consommation d'huile de palme, pour éviter qu'à cause d'une connaissance partielle de ces enjeux ils prennent des initiatives mettant en péril les efforts d'organisation de la filière et de limitation de ses impacts.
A propos de l'état des lieux
Pour l'élaboration de cet état des lieux, le Fonds français pour l'alimentation et la santé a demandé en juin 2012 une contribution écrite initiale à des experts, demandé à un comité de lecture de haut niveau d'effectuer une analyse critique du document, et sollicité les différentes parties prenantes autour d'une séance de « regards croisés ». Cette procédure étroitement suivie par les différentes instances du Fonds permet de dresser un état des lieux des connaissances disponibles et de proposer un éclairage scientifique aussi objectif que possible en s'assurant que les différents prismes d'examen du sujet ont été pris en considération et que les arguments développés ne souffrent pas d'insuffisance.
Consulter l'Etat des lieux du Fonds français pour l'alimentation et la santé dans sa version intégrale pour de plus amples précisions.
A propos du Fonds français pour l'alimentation et la santé
Le Fonds français pour l'alimentation et la santé est un fonds de dotation ayant vocation à établir un partenariat durable au service de la santé publique entre le monde scientifique et les acteurs économiques. Il a pour missions de soutenir la recherche sur les relations entre alimentation et santé, de subventionner des actions de terrain visant à promouvoir les comportements alimentaires favorables à la santé et de faciliter le dialogue science/société sur les questions relatives à l'alimentation.

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