vendredi 21 décembre 2012

La grande distribution tue-t-elle le petit commerce ?


Le moral des commerçants est au plus bas. C’est ce que révèle la dernière étude Ifop pour l’Institut Médicis. Ils sont inquiets pour leur avenir. Certains sont dans une situation critique : les petits commerces alimentaires. Ils ferment l’un après l’autre, écrasés par la concurrence des grandes surfaces. Alors la grande distribution est-elle l’ennemi des petits commerces alimentaires ?
 Les commerçants sont plus déprimés que jamais. C’est ce que révèle la dernière édition de l’Observatoire des commerces IFOP/Médicis parue vendredi. Pour 51% d’entre eux, le moral est au plus bas.  Ils sont « moroses » ou « déprimés », en ont « ras le bol » pour 19%. C’est la « galère » ou tout est « compliqué » pour 10% et la même proportion se dit « craintive ». Enfin 5% se disent « résignés », 5% sont « déçus » et pour 2% c’est la « crise ». Et face à eux, 24% sont plutôt positifs et 12% neutres. Les commerçants ne sont pas seuls à être dans cet état d’esprit. La quasi majorité des sondés est inquiète pour l’économie française et 46% se dit même « très inquiète ».
Un sentiment légitime, puisque les clients ne sont pas au rendez vous. En effet un commerçant sur deux déplore une baisse de la fréquentation au sein de son commerce, impactant d’ailleurs son chiffre d’affaires. Et ce n’est pas le fruit de leur imagination. Surtout concernant le commerce de proximité. Depuis 2008, les habitudes des Français ont considérablement changé. Un tiers des Français déclare avoir modifié sa façon de consommer. Aujourd’hui, 21% fréquentent moins les petits commerces, soit quatre points de plus qu’en février 2012.
Toujours selon l’étude, les Français perçoivent de façon négative la situation des commerces de proximité. Ils sont 70% à considérer que dans leur ville « les commerces de proximité tendent à disparaître ».
Et ce n’est pas qu’un sentiment, c’est un fait. Le petit commerce est en crise. Et la grande distribution joue un rôle capital dans sa disparition progressive. Le domaine de l’alimentaire est particulièrement touché. Et justement, une majorité de Français déclare préférer faire ses courses en grande surface.
État des lieux des grandes surfaces
Hypermarchés, supermarchés, supérettes, épiceries … ces notions se différencient sur un critère : la taille. Moins de 120m2 pour les épiceries, jusqu’à 400 m2 pour les supérettes, jusqu’à 2500 m2 pour les supermarchés et plus de 2500 m2 pour les hypermarchés. Un autre type de commerce s’est implanté en France à partir des années 1980, plus tard que les autres : le hard discount. Lui se définit non pas par sa taille mais par ses prix particulièrement bas. Des prix qui s’expliquent par l’absence de grandes marques de distribution dans les rayons et le peu d’employés.
Depuis vingt ans, le nombre de grandes surfaces augmente considérablement. Les ouvertures de magasins ont connu un pic, en 1994, avec la création de près de 400 nouveaux supermarchés et maxi discount. Dans les années qui suivent, les nouvelles ouvertures annuelles baissent progressivement, pour être moins d’une centaine en 2000. Aujourd’hui, les chiffres sont conséquents. Il y a plus de 17 000 grandes surfaces en France en 2011, dont plus de 1800 hypermarchés, 5595 supermarchés traditionnels et plus de 4800 hard discount (source INSEE-LSA).
L’essor de la grande distribution s’explique par son côté « pratique ». Un large choix pour les produits, des prix attractifs, souvent impactés par les systèmes de fidélisation et par les promotions fréquentes. Et surtout, le fait d’avoir accès à tous les services (charcuterie, boucherie, épicerie, poissonnerie, etc) dans un même magasin. Faire les courses est souvent considéré comme une corvée. Et les faire facilement, c’est l’atout des grandes surfaces.
État des lieux des petits commerces
Les petits commerces pâtit de la popularité des grandes surfaces. Au point qu’ils ferment un à un. De toutes les branches de l’alimentaire, la boulangerie est de loin le commerce le moins touché par cette crise. Entre 1993 et 2003, leur nombre en France est passé de 39 422 à 36 899, ce qui correspond à une baisse de 6,4%.  Un taux moindre, si on le compare à celui des pâtisseries (-33% sur la même période),  des charcuteries artisanales (-43%), du commerce de poissons (-31%) ou encore des commerces d’alimentation générale (-30%), selon un rapport du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Quant au commerce de boissons, il est le seul à être en hausse – alors que la consommation de boisson ne connaît pas de hausse à cette période. Ce, depuis la fin des années 1990 et grâce aux nombreux renseignements fournis dans ces boutiques, que les clients n’obtiendraient pas en grande surface.
Quant aux autres établissements, c’est surtout un changement de comportement des consommateurs qui est à l’origine de la baisse de fréquentation. Dans les années 2000, la réduction de la consommation de viande et de poisson par les ménages est un coup dur pour les boucheries, charcuteries et poissonneries. D’autant qu’ils se tournent plutôt vers les produits substituts, autrement dit les plats préparés à base de viande et de poisson. Ils sont moins chers et sont prêts plus rapidement que les produits frais, ce qui explique leur popularité. Ces plats, on les trouve essentiellement en grande surface. La situation des magasins de fruits et légumes est proche de ce cas de figure. Outre la concurrence faite par les rayons fruits et légumes frais dans la grande distribution, la consommation de conserves est également responsable de leur disparition progressive.
Les habitudes professionnelles ont également un impact sur la fréquentation des petits commerces. L’atout « proximité » n’en est plus un. Les trajets en voiture s’étant généralisés, la distance entre le domicile et le lieu de travail s’allonge de plus en plus. Et faire ses courses à l’hyper en rentrant du boulot s’intègre à cette tendance croissante.
À l’échelle nationale, des impacts inégaux
La prospérité des petits commerces est inégale selon la région où ils sont implantés. Le commerce de poisson, par exemple, s’implante mieux sur les côtes Françaises avec de 5 à 50 établissements pour 100 000 habitants sur tout le pourtour nord-ouest, ouest et sud. À l’est du pays, par contre, ce taux est extrêmement faible. Les consommateurs vivant à proximité de la mer on en effet tendance à fréquenter davantage les poissonneries traditionnelles. Concernant les commerces de fruits et légumes, c’est dans la région sud que l’on trouve le plus grand nombre d’établissements. Enfin pour les produits laitiers, c’est dans des régions à forte production laitière, soit dans le centre et l’est de la France.
Le Calvados (14) est assez représentatif de la situation nationale, avec 95 commerces pour 10 000 habitants, contre 90 de moyenne nationale. Boucheries, charcuteries, primeurs ou poissonneries ferment l’un après l’autre. La boulangerie, par contre, échappe à cette crise, avec une augmentation de leur nombre de 1,6% entre 1995 et 2005, selon un rapport de l’INSEE. Dans ce département, près d’un habitant sur cinq n’a pas de commerce dans sa ville en 2004. Pourtant, il n’y a pas pénurie de commerces : c’est la densité commerciale qui est inégale selon les zones. Les zones touristiques et grandes agglomérations sont les mieux loties, avec 574m2 de commerces pour 1000 habitants sur la Côte Fleurie, par exemple. Toutefois le tourisme permet aussi de relancer le petit commerce dans les villages, qui profitent ainsi d’une clientèle plus prodigue les week-end et vacances.
Un déséquilibre dans la structure des villes
Les inégalités d’implantation du petit commerce se retrouvent même au cœur de la structure des villes.
Dans le Calvados, la concentration du commerce dans les pôles urbains est préoccupante : de 60% des commerces de détail du département s’y sont installés, alors que moins de la moitié de la population y habite. Un taux de concentration qui atteint même 80% des commerces d’alimentation dans les agglomérations, selon un rapport de l’INSEE Basse-Normandie.
Mais selon le type de commerce, les zones privilégiées pour s’implanter ne sont pas les mêmes. Début 2000, les boulangeries ouvrent dans les communes périurbaines mais désertent les zones rurales. Si elles sont l’un des commerces qui conservent le plus de clients, moins de 75% des villes du Calvados n’ont plus de boulangerie. Pour la vente au détail de viande, c’est le contraire. Les boutiques disparaissent des pôles urbains, elles subsistent dans les zones rurales, même si elles ne sont présentes que dans une commune sur sept.
Pour la Chambre du commerce et de l’industrie du Rhône Alpes, le phénomène préoccupant est la désertion du centre-ville des communes. Dans cette région, la grande et la moyenne distribution se concentrent massivement en périphérie des villes. Et le centre, lui, stagne. Une tendance qui a de nombreuses conséquences, selon un rapport de la CRCI paru en 2008 :
« engorgement de la circulation routière, uniformisation des centres-villes tant sur le plan urbanistique que sur celui de l’offre commerciale, fragilisation, voire désertion, des centre qui ne jouent plus leur rôle d’animation ».
Les petits commerces sont-ils morts?
Nous pouvons réellement qualifier la situation actuelle de crise du petit commerce. Mais il est probable qu’elle ne soit que temporaire.  Pour s’en assurer, il faut notamment observer quelques évolutions sociétales récentes.
Et la principale évolution est familiale, c’est l’augmentation du nombre de célibataires et de familles monoparentales (qui s’élève à plus de deux millions pour ces dernières). Pour Marc Degrange, vice président de la Commission du Commerce de Lyon, cette évolution a pour conséquence
« une moins grande demande en volume de marchandises. Ajoutez à cela une organisation du travail plus souple qui permet de faire ses courses quand on veut, et il devient du coup moins intéressant de se rendre dans les grandes surfaces »
explique-t-il en 2008 dans le rapport de la CRCI du  Rhône-Alpes. Et faire ses courses dans les grandes surfaces n’est pas un moment de plaisir : le trajet en voiture ou l’attente aux caisses en font une corvée. La nouvelle organisation du temps de travail, qui permet de libérer du temps pour les achats, permet d’ailleurs de redonner aux courses l’étiquette « plaisir », en fréquentant davantage les petits commerces, à proximité de chez soi.
Mais un autre phénomène pourrait bien aider la relance des petits commerces. Ce phénomène, c’est le papy boom. Ces seniors, de plus en plus nombreux, sont une mine d’or pour les industriels. En effet, une fois arrivée à l’âge de la retraite, cette population a tendance à dépenser plus que de coutume. Et selon une enquête Profils Séniors de mars 2011, 60% des achats de légumes frais sont effectués par des séniors et ces derniers consacreront un budget important aux produits frais non préparés, dans les dix prochaines années.
Mais surtout cette catégorie, qui dispose de temps et a souvent une mobilité réduite, recherche en majorité la qualité des produits et de l’accueil. Un désir qu’ils satisferont plus aisément dans un petit commerce que dans une grande surface.
On ne peut pas dire que le petit commerce est mort. Il est en crise, certes, mais le temps est à la critique de la grande distribution et à la revalorisation de l’artisanat local. Par ailleurs de nouveaux groupes de consommateurs se distinguent, soit par leur temps libre, soit par leur pouvoir d’achat. Ce qui laisse entrevoir, sûrement, un retour des Français vers le petit commerce traditionnel.
Source: Vigie Mag (http://goo.gl/MNcHM)

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