mercredi 21 août 2013

Alimentation: ces menaces émergentes

Viande, mais aussi poissons, fruits et légumes... les aliments importés sont source de nouveaux risques sanitaires. D'autant plus difficiles à combattre que les contrôles sont insuffisants. Et que rien ne semble arrêter les fraudeurs. Quand ils ne jouent pas carrément les faussaires !

1. Virus, bactéries et métaux lourds...
Attraper une hépatite A en mangeant des fraises? C'est la cruelle mésaventure survenue ces derniers mois à des centaines d'Européens et d'Américains. Leur tort: avoir acheté des fruits rouges surgelés provenant d'Amérique du Sud et de Chine. Des maladies qui se transmettent à l'homme par des végétaux, cela ne vous rappelle rien? Il y a deux ans, déjà, une souche très rare de la bactérie E. coli , détectée dans des graines germées importées d'Egypte, avait semé la panique en Europe, provoquant une trentaine d'intoxications mortelles. "C'est un phénomène nouveau, souligne François Vigneau, directeur général de la division alimentaire du laboratoire Eurofins. Jusqu'à présent, nous traquions peu les risques microbiologiques dans les fruits et légumes." S'ils commencent tout juste à appréhender cette menace inédite, les scientifiques savent tout de même une chose: 1 cas d'hépatite A sur 10 proviendrait d'une contamination alimentaire. 
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A l'origine du phénomène, la mondialisation de l'industrie alimentaire. Grâce à elle, nous pouvons désormais manger des framboises en hiver. Mais ce plaisir entraîne de nouveaux risques, souvent mal estimés. Qui irait imaginer qu'il est susceptible d'attraper une hépatite en mangeant une salade de fruits à la terrasse d'un café? Tout cela parce que le paysan vietnamien ou chilien qui les a cueillis a contracté cette maladie à l'autre bout du monde... 
Et s'il n'y avait que les virus! Un autre fléau, découvert tout aussi récemment, inquiète les autorités sanitaires européennes: les métaux lourds. On savait que certains poissons en contenaient des doses inquiétantes, mais on l'ignorait pour les fruits et les légumes... 
Partout, les alertes se multiplient. Dans une enquête récente, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) révèle qu'elle a trouvé de l'arsenic organique dans six échantillons de riz sur les sept qu'elle avait analysés. Cette substance cancérigène a déjà été détectée aux Etats-Unis dans du jus de pomme. En Chine, c'est le cadmium qui fait scandale: des doses importantes de ce métal, qui a une fâcheuse tendance à se fixer dans les reins et à détruire les protéines, ont été découvertes dans du riz.En cause : les rejets des industries minières dans des cours d'eau servant à l'irrigation des rizières.  

"Nous avons découvert par hasard du chloramphénicol dans du miel importé de Chine "

Dernier exemple en date, à la fin de juillet, du plomb trouvé aux Etats-Unis dans des sauces piquantes importées du Mexique. "Le problème des métaux lourds, c'est que nous ignorons leurs effets sur le corps humain, notamment si l'on en ingère plusieurs à la fois, ce que l'on appelle l'effet cocktail", explique Laurent Vernhet , chercheur à la faculté de pharmacie de Rennes. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne s'éliminent pas dans l'organisme, et qu'ils s'accumulent dans les tissus.Pas très rassurant, tout ça. Manger cinq fruits et légumes par jour , d'accord, mais la chère risque de devenir triste s'il faut transformer sa cuisine en laboratoire d'analyse... 
Comment les professionnels de l'industrie agroalimentaire réagissent-ils face à ces nouvelles menaces? Une phrase revient souvent dans les discussions: "Jusqu'à maintenant, ça n'a jamais tué personne." Mais une ancienne responsable de la sécurité alimentaire d'un grand groupe, qui réclame l'anonymat - comme beaucoup d'autres, dans ce monde très feutré -, s'insurge contre cet état d'esprit: "Personne ne tombera foudroyé après avoir avalé quelques particules de cadmium, certes. Mais qui peut en prédire les effets à long terme sur l'organisme?
Pour les laboratoires d'analyse chargés de contrôler l'innocuité de nos aliments, ces risques émergents sont un vrai défi. Ils ne peuvent plus se contenter de prévenir des menaces clairement identifiées, mais doivent chercher dans toutes les directions. En aveugle. "Nous faisons de plus en plus de recherche appliquée, poursuit François Vigneau. Nous prenons un aliment au hasard et nous cherchons toutes les molécules possibles, y compris celles que l'on ne s'attend pas à trouver." Parfois, le hasard fait bien les choses, précise Paul Schweitzer , directeur du Centre d'études techniques apicoles de Moselle: "Il y a quelques années, nous avons découvert du chloramphénicol dans du miel importé de Chine. Les apiculteurs chinois utilisaient cet antibiotique, interdit en Europe, pour doper leurs abeilles.
Cette pratique est largement répandue dans l'empire du Milieu, mais qu'en est-il de l'Union européenne? En principe, Bruxelles n'autorise plus l'utilisation d'additifs pour animaux contenant des antibiotiques depuis 2006, afin d'éviter l'apparition de souches résistantes. "Certains éleveurs industriels de cochons et de poulets ont du coup recours de façon systématique à de vrais antibiotiques, met en garde Eric Poudelet , directeur sécurité de la chaîne alimentaire à la Commission européenne. Il faut cesser au plus vite ces traitements." Car il y a un risque : l'apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques. Un sujet de préoccupation majeur, abordé largement lors du dernier sommet du G8, les 17 et 18 juin . "Autrefois, ce problème était marginal, car l'industrie pharmaceutique inventait sans cesse de nouvelles molécules, analyse Eric Poudelet. Ce n'est plus le cas : les laboratoires investissent de moins en moins dans la recherche d'antibiotiques, devenue trop coûteuse." Conséquence? Cet hiver, un foyer de salmonelle Kentucky, hautement résistante aux antibiotiques, a été détecté dans deux élevages de dindes dans le Morbihan. Plus grave, des staphylocoques dorés antibiorésistants ont été prélevés sur des travailleurs agricoles employés dans des fermes industrielles aux Etats-Unis, selon une étude de la Johns Hopkins University. Enfin, une enquête publiée en février 2013 par la FDA (Food and Drug Administration) portant sur des poulets analysés dans 11 Etats américains a montré que le Campylobacter, une bactérie que l'on trouve dans les intestins des volailles, était désormais résistant aux antibiotiques (tétracyclines) dans un cas sur deux. Inquiétant, car cet agent pathogène est susceptible de provoquer des maladies diarrhéiques, dangereuses pour les enfants et les personnes âgées. En France, cette bactérie constitue la deuxième source de toxi-infection alimentaire. Une bonne nouvelle, malgré tout, nous vient de l'université de Washington: le Campylobacter met en échec les antibiotiques les plus puissants, mais il ne peut résister au sulfure d'allyle, terme savant pour désigner la gousse d'ail. Rien de tel que les recettes de grand-mère... 

2. Des industriels qui ne peuvent pas tout contrôler 

Il porte un nom barbare - HACCP - mais les professionnels de l'agroalimentaire ne jurent que par lui. Mis au point par les ingénieurs de la Nasa afin d'éviter la contamination des astronautes durant leur séjour dans l'espace, cet outil méthodologique permet aux industriels de maîtriser les risques sanitaires, à toutes les étapes clefs de la production. Seul problème : il est très complexe. "Une vraie usine à gaz", lâche un distributeur. "Il consiste surtout à remplir des formulaires truffés de termes génériques pour être tranquille en cas de contrôle", renchérit un ancien directeur de la sécurité alimentaire. Les faits semblent lui donner raison. En avril dernier, les autorités suédoises révèlent que 100 tonnes de saumon pêché en mer Baltique, avec des taux élevés de dioxine, étaient entrées illégalement en France en 2011 et 2012, et avaient été écoulées dans des supermarchés et des restaurants. Montré du doigt, l'importateur a aussitôt plaidé la bonne foi et brandi son plan de maîtrise des risques... 
Ouvrir le parapluie est un réflexe fréquent dans ce milieu qui vit dans la terreur d'une crise médiatique. Les consommateurs l'ont d'ailleurs compris depuis longtemps : "L'autre jour, un client a retrouvé un bout d'allumette dans une baguette de pain, raconte le responsable qualité d'une grande enseigne. Il nous a réclamé un iPad en dédommagement. C'était ça ou il appelait RTL !
Avantage: ce souci de préserver leur image a incité les industriels à mieux prendre en compte ces risques sanitaires. De fait, des progrès ont été accomplis, que ce soit dans la maîtrise d'une chaîne de production toujours plus complexe ou dans la gestion de crise. Mais les entreprises vont-elles assez loin? Protègent-elles suffisamment les consommateurs? Pas facile de répondre à ces questions, tant l'omerta règne dans la profession. "J'ai voulu visiter une fabrique de farines animales, afin de savoir ce qu'ils mettaient dans leurs produits, raconte Michèle Rivasi , députée européenne membre d'Europe Ecologie. Mais les dirigeants n'ont jamais voulu me recevoir. C'est le règne de l'opacité !" Si l'affaire des "lasagnes à la viande de cheval" a éclaté, c'est uniquement parce que les dirigeants de Findus, après des tests ADN inopinés, ont décidé d'alerter les autorités sanitaires. Dans ce vaste trafic de viande qui durait depuis deux ans, combien d'autres industriels ont découvert la fraude et préféré détruire discrètement les barquettes de lasagnes, de peur de se retrouver au coeur d'une tempête médiatique? Au sein des grands groupes, en particulier, la tentation est forte de glisser les problèmes sous le tapis afin d'éviter les sanctions. "Chaque fois que je croisais des patrons d'usine dans les couloirs, ils me confiaient les difficultés qu'ils rencontraient sur le plan sanitaire, notamment avec leurs fournisseurs, raconte un ex-patron de la sécurité alimentaire. Je les encourageais à évoquer ces sujets lors des réunions de management, mais ils craignaient de se faire mal voir. Le pire, pour eux, c'était de devoir rappeler un produit. Dans ce cas, leur prime annuelle était révisée à la baisse...
Manque de transparence, management qui décourage la franchise, partage d'expérience inexistant... Les témoignages recueillis dans cette enquête montrent un système qui manque de maturité. Cet hiver, l'Office alimentaire et vétérinaire de l'Union européenne a envoyé ses fins limiers en France afin de vérifier la rigueur des entreprises en matière de contrôles alimentaires. Leur verdict est sans appel : les professionnels du secteur peinent à évaluer les risques. Les contrôleurs de Bruxelles ont ainsi découvert qu'un fabricant de plats préparés et d'aliments pour bébé ne traquait pas les mycotoxines dans certains de ses produits, alors qu'elles ont un fort pouvoir cancérigène, en particulier sur le foie. Du reste, les autorités de contrôle françaises n'y avaient vu que du feu, lors de leurs dernières inspections, en 2010. "Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, le niveau de sécurité des aliments ne s'améliore pas", confirme Albert Amgar , ancien consultant en microbiologie et auteur d'un blog sur le sujet. 

30% des lots contrôlés dans les usines chinoises sont rejetés 

Ce constat est inquiétant, surtout pour les sociétés qui s'approvisionnent à l'autre bout du monde. Importer des poissons low cost de Chine permet sans doute de réaliser de confortables marges, mais qui surveille les pisciculteurs chinois? "Nous commandons un audit lorsque nous les référençons, puis nous les contrôlons une ou deux fois par an", nous ont répondu les industriels sollicités sur ce sujet. Pas très dissuasif. Etranglés par les coûts, soumis à un véritable diktat économique par leurs clients, les producteurs chinois sont au bord de la faillite, comme le montre notre reportage dans les fermes piscicoles du Guangdong. Comment parler de démarche qualité et de plan HACCP à ces malheureux qui jouent parfois leur survie et n'ont souvent d'autre choix que de frauder?  
Car la réalité, sur place, est bien celle-là. Pour mieux le comprendre, prenons quelques exemples concrets. Un éleveur chinois trouve un cadavre d'oiseau au milieu de ses crevettes. S'il n'asperge pas les crustacés d'antibiotiques dans les heures qui suivent, ils mourront. Et le fermier se retrouvera sur la paille. Va-t-il vraiment s'inquiéter du fait que la seule molécule qu'il peut se procurer - souvent du chloramphénicol - est interdite en Europe à cause de sa dangerosité?Et ce producteur dont les fruits sont couverts de mycotoxines à cause de pluies trop abondantes? Pour sauver sa récolte, il n'a d'autre solution que de les asperger de fongicides. C'est interdit, mais peut-il se permettre des états d'âme?Et de toute façon, qui le saura? 
Peu contrôlés en amont, les poissons et autres produits d'exportation ne le sont pas davantage en aval de la chaîne. "Seuls 2 à 3% des marchandises sont inspectées", révèle Sébastien Breteau , dirigeant d'AsiaInspection, groupe spécialisé dans l'audit d'usines en Asie. Et ces dernières sont loin d'être aux normes : "30% des lots sont rejetés par nos agents, poursuit-il. En réalité, personne n'a jamais imposé de normes sérieuses aux usines alimentaires chinoises. Je pense que les importateurs occidentaux contrôlent de plus près la qualité des vêtements que l'état des poissons...
Conscients de cette situation, certains groupes ont cessé tout business avec la Chine. "Nous n'importons presque plus de fruits et de légumes de Chine, raconte un cadre chargé du ''grand import'' chez un gros distributeur. Sauf, bien sûr, lorsque nous n'avons pas d'autre possibilité. Nous avons par exemple cessé de nous fournir en concentré de tomate italien à cause d'un problème de travail illégal. Du coup, nous avons dû chercher un fournisseur chinois." Entre une infraction au droit du travail et un éventuel risque sanitaire, le choix est vite fait. Et tant pis pour le plan HACCP... 

3. Des services de contrôle débordés 

Mais que fait la police? Ce qu'elle peut... Débordés, les agents des fraudes (DGCCRF) ont vu leurs effectifs fondre de 16 % en cinq ans. Quant aux vétérinaires chargés d'inspecter les élevages et les abattoirs, ils croulent sous les procédures administratives : "Nous sommes devenus des inspecteurs de papier, se plaint l'un d'eux. Lors du contrôle d'un site industriel, nous remplissons des grilles d'évaluation sans prendre le temps de discuter avec les salariés. Pourtant, les techniques de fabrication sont de plus en plus complexes, et nous comprenons de moins en moins leur métier. Comment, dans ces conditions, pourrions-nous détecter des dysfonctionnements?" Et de raconter l'histoire 
de son confrère qui inspectait récemment une fabrique de porcs à Laval: "Il était tellement occupé à cocher des cases qu'il n'a même pas remarqué la présence de sacs de toile, au fond d'un couloir. C'était un produit interdit, importé de Chine, non homologué par l'Union européenne, qui sert à fixer l'eau dans la viande, de manière à en augmenter le poids. Encore faut-il le voir..." 

Des copeaux de métal dans du thym bio 

Afin d'améliorer l'efficacité du système, l'Etat a regroupé, il y a trois ans, les services vétérinaires et les agents des fraudes sous l'égide des directions départementales de la protection des populations, mais cette réorganisation n'a fait qu'ajouter de la confusion. "L'idée était séduisante, reconnaît Déborah Infante-Lavergne, vice-présidente du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire. Dans la pratique, toutefois, les agents ne travaillent pas ensemble." En fait, les équipes ont été regroupées sur le terrain, mais leurs directions respectives n'ont pas fusionné. Un corps pour deux têtes, c'est compliqué... Du coup, les promesses de synergie sont restées lettre morte. En 2012, le nombre des contrôles réalisés par les services de la répression des fraudes a chuté de 13%, et la réactivité des équipes laisse à désirer. Le 11 juillet dernier, la Belgique a alerté ses voisins européens sur la présence de copeaux métalliques dans des lots de thym bio fabriqués en France, mais les consommateurs ont dû attendre le 15 juillet avant que la DGCCRF lance un rappel du produit contaminé. 
Si l'Etat n'a plus les moyens de garantir la sécurité de la filière alimentaire, qui le fera? A Bruxelles, certains envisagent de réformer le système: les producteurs s'acquitteraient du coût des inspections et les plus vertueux seraient moins contrôlés. Un tel système de "bonus-malus" permettrait de réparer une double injustice: le consommateur voit sa santé menacée par les négligences des industriels, qui alourdissent ensuite sa feuille d'impôt en mobilisant les services de l'Etat. 

4. Les fraudes explosent, pas les sanctions 

Du panga, poisson élevé dans les eaux saumâtres du Mékong, au Vietnam, vendu comme du cabillaud pêché dans l'Atlantique Nord? Dévoilée en février dernier aux Etats-Unis, cette fraude de grande ampleur n'a, malheureusement, rien d'exceptionnel dans le monde de la pêche. Environ 1 poisson sur 3 consommé outre-Atlantique appartiendrait à une autre espèce que celle qui est indiquée sur l'étiquette, selon des enquêtes ADN réalisées par l'ONG Oceana, entre 2010 et 2012, dans 21 Etats américains. En France aussi, ces tromperies sont fréquentes : en 2012, 22% des anomalies constatées par la DGCCRF sur les produits de la pêche portaient sur des infractions à l'étiquetage. Cas classique: la "sole tropicale", poisson bon marché, sans rapport avec la "vraie sole" pêchée en mer du Nord, que le poissonnier peu scrupuleux vendra... au même prix que son lointain cousin! "Il y a des dizaines de combines de ce genre, révèle, sous le couvert de l'anonymat, un importateur de produits de la mer. Le seul moyen de savoir ce que l'on achète, c'est de demander au marchand la dénomination scientifique du poisson, c'est-à-dire son nom latin." Acculé, notre poissonnier roublard ne pourrait plus monnayer son cabillaud chinois (Gadus macrocephalus) au prix du cabillaud de l'Atlantique (Gadus morhua, pour les intimes). Pas facile toutefois de faire son marché avec un dictionnaire, d'autant que les professionnels eux-mêmes y perdent parfois leur latin : "J'ai acheté 3 tonnes de saumon à un fournisseur danois, raconte notre importateur. Par la suite, je me suis rendu compte qu'il m'avait trompé : c'était de la truite. Trop tard, mon client avait tout écoulé dans ses restaurants d'entreprise.
Si ces pratiques inacceptables peuvent avoir cours, c'est qu'elles se produisent dans un monde d'une totale opacité : quelle différence y a-t-il entre un industriel de la pêche qui remplace sans vergogne un poisson par un autre et un tradeur néerlandais qui écoule de la viande de cheval au prix du boeuf ? Aucune ! Dans les deux cas, il y a fraude et défaillance de la chaîne de traçabilité."L'industrie de la pêche est moins bien organisée que d'autres filières alimentaires, commente Bernard Vallat , directeur général de l'Organisation mondiale de la santé animale. Sa grande chance est de ne pas avoir encore connu de crise médiatique...
A l'inverse, le business de la viande a souvent été mis en cause dans des scandales sanitaires. Les pratiques ont-elles pour autant changé? Deux grosses affaires, concernant des producteurs de VSM (viande séparée mécaniquement) font, ces jours-ci, l'objet d'enquêtes judiciaires. Un industriel du Finistère est soupçonné d'avoir fourni de faux certificats d'analyse à un client russe - pourtant très à cheval sur les procédures. Plus grave, une importante coopérative de porcs, installée dans les Côtes-d'Armor, aurait vendu à ses clients industriels de la viande "corrompue salmonelle", comme disent les professionnels, n'hésitant pas à falsifier des tests positifs... 
Et que penser de ce margoulin qui démarchait les particuliers pour les convaincre de lui céder leurs vieux chevaux, en leur assurant que les équidés couleraient une retraite paisible dans un pâturage? En réalité, il s'empressait de les faire abattre, empochant au passage de jolis pactoles. Mais l'aigrefin est allé trop loin: "Il a récupéré des chevaux qui appartenaient à un laboratoire pharmaceutique, indique une source policière. Ces bêtes avaient subi des centaines d'injections thérapeutiques. Elles étaient impropres à la consommation. La viande s'est toutefois retrouvée dans des linéaires. Au rayon boeuf!" 
Y aura-t-il sanction? Cette question n'a rien d'anodin : la plupart des scandales alimentaires qui ont défrayé la chronique ces dernières années ont été peu punis, bien qu'ils aient mis en danger la vie d'autrui. L'intoxication provoquée par des steaks contaminés par la bactérie E. coli (2005)? Aucune condamnation.L'affaire des veaux aux hormones (2006)? Quelques mois de prison avec sursis.Les compléments alimentaires made in China bourrés de cadmium, qui ont intoxiqué 300 000 animaux en France (2013)? Plusieurs milliers d'euros : c'est le tarif d'une "tromperie sur la nature et la qualité substantielle d'une marchandise", selon la cour d'appel d'Angers (jugement du 18 avril 2013). "Les sanctions ne sont pas élevées, car les tribunaux ne sont pas compétents pour ce type d'affaires, s'insurge Alexandre Faro, l'avocat qui, dans ce dernier cas, a défendu les éleveurs laitiers. Ce dossier a d'abord été transmis à Dijon, puis à Saint-Brieuc... La procédure a été mal menée, on a perdu deux ans. Franchement, un patron malhonnête n'a aucune hésitation à avoir, car le risque est quasi nul !" Mais tout cela pourrait changer... "Nous voulons renforcer l'arsenal répressif en cas de tromperie", affirme Jean-Louis Gérard , sous-directeur chargé des produits alimentaires à la DGCCRF. Ce 10 juillet, il rentre tout juste de Bruxelles, où il a participé à une table ronde: ébranlée par l'affaire Spanghero, la Commission européenne veut désormais lutter contre les fraudes alimentaires. D'abord en se dotant d'un système qui permette d'alerter les pays membres lorsqu'une tromperie est détectée. Ensuite en renforçant l'arsenal répressif. "Nous aimerions que le montant de la pénalité soit au moins équivalent au bénéfice réalisé par le fraudeur", annonce Eric Poudelet (Commission européenne). Espérons toutefois que cette louable intention ne reste pas lettre morte. Tout comme le projet de loi consommation, adopté en France au début de l'été, qui doit renforcer les sanctions en cas de fraude. Si le texte est un jour appliqué, les amendes pourront atteindre 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise indélicate. S'il faut en arriver là... 

5. Après la malbouffe, la fausse bouffe 

On connaissait le faux sac Vuitton ou la copie de Viagra, beaucoup moins l'imitation de Bouillon cube. "C'est pourtant une réalité: il y a de plus en plus de contrefaçons dans le domaine alimentaire, s'inquiète Christophe Zimmermann , coordinateur de la lutte contre la contrefaçon et la piraterie à l'Organisation mondiale des douanes, à Bruxelles. Le phénomène touche les denrées les plus chères, comme le caviar ou le champagne, mais aussi les biens de consommation courante, tels le café, l'huile d'olive ou les biscuits à apéritif. Pour gagner de l'argent, les fraudeurs jouent sur les volumes." Si le phénomène reste difficile à chiffrer, plusieurs coups de filet ont récemment mis en évidence un business mondial de la "fausse bouffe". En juin dernier, 30 millions de produits alimentaires contrefaits ont été saisis en Afrique lors d'une vaste opération douanière. Parmi eux, du lait pour bébé et des Spray Candy, sortes de bonbons liquides vendus sous forme de vaporisateur.  

Une liqueur tchèque au méthanol : 45 morts 

Quelques mois plus tôt, 135 tonnes d'aliments contrefaits avaient été saisies dans une trentaine de pays, européens en majorité. "La plupart d'entre eux ne se sentaient pas concernés par le sujet, commente-t-on chez Europol, la ''police européenne'' qui a coordonné le dispositif avec Interpol. Les Danois, en particulier, se croyaient au-dessus de tout soupçon. C'est pourtant par Copenhague que les faux Bouillon cube ont été introduits en Europe!
Tous ces succédanés sont-ils dangereux pour la santé? "S'ils veulent écouler leurs produits, les fraudeurs n'ont aucun intérêt à empoisonner les populations", estime un officier de police d'Interpol. Mais certains truands ne se posent pas de questions, tel ce gang tchèque, l'an dernier, qui a contrefait une liqueur locale avec du méthanol. Bilan: 45 morts. 
Les groupes industriels ont-ils pris la mesure du phénomène? "La plupart n'en ont rien à faire et minimisent son ampleur, à l'instar des labos pharmaceutiques dans les années 2000, déplore Christophe Zimmermann. Les douaniers chinois sont plutôt performants, mais que peuvent-ils faire quand leur pays compte plus de 150 ports d'embarquement? Les trafiquants font transiter leurs conteneurs par plusieurs territoires, dont des zones franches, afin de brouiller les pistes. La marchandise arrive souvent à Istanbul, puis elle est transbordée sur de petits bateaux - appelés des feeders, des ''nourriciers'' - jusqu'au port d'Odessa, en Ukraine." Dans cette zone de non-droit, les conteneurs sont ensuite chargés sur des camions qui gagnent l'Union européenne via la Moldavie ou la Pologne.Aucun risque de se faire prendre : plus de 2 000 poids lourds traversent chaque jour cette frontière, considérée comme l'une des plus poreuses d'Europe. Et deux jours plus tard, les vrais-faux aliments se retrouvent dans nos assiettes...  
Source: L'Express (http://goo.gl/lxxdGY)

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