vendredi 9 août 2013

"Et si vous embauchiez un «fermier de famille»?"

Dans la série "Le tour de France des alternatives", aujourd'hui : "Et si vous embauchiez un « fermier de famille » ? "

Auteur : Emmanuel Daniel
Cet article est libre de droit. Merci cependant de préciser le nom de l’auteur et un lien vers l’article d’origine, cliquer donc ici ! :o)

Afin de ne pas être esclaves de leur travail et de s'assurer un salaire minimum, des paysans ont opté pour la vente directe. 100% de la production est prépayée par les consommateurs, sur le modèle des fermiers de famille québecois.

Qui dit agriculteur pense souvent vie de sacrifices. Semaines de travail interminables pour une rémunération misérable, une vie sociale réduite à la portion congrue et un endettement colossal menant parfois jusqu’au suicide« 40% des paysans gagnent moins que le smic et c’est la catégorie socio-professionnelle qui travaille le plus », explique Mathieu.

Mais, cet agriculteur de 32 ans installé depuis 2006 a trouvé un système lui permettant de ne pas passer sa vie dans les champs. Il travaille « seulement » une quarantaine d’heures par semaine réparties sur 4 jours et prend 6 semaines de vacances par an. Il gagne un peu plus que le Smic et n’a pas d’emprunt sur le dos. Son secret pour ne pas être « esclave de son travail » ? Le système des « fermiers de famille », venu du Canada. Le principe est simple : plusieurs familles se regroupent et commandent à l’avance la production d’un ou plusieurs paysans.

* 100% Amap
Avec ses deux associés du GAEC La pensé sauvage, ils écoulent 100% de leurs récoltes maraîchères directement auprès du consommateur final grâce à une Amap(Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Les cent adhérents déboursent 1 000 € par an pour leurs paniers de légumes bios distribués 48 semaines dans l’année (soit 21 € par semaine). Grâce à cette rentrée d’argent, les agriculteurs sont assurés de pouvoir se verser deux salaires au Smic horaire et de couvrir l’ensemble de leurs charges (loyer des terrains qu’ils louent, amortissement des machines, semences…). La troisième paie est financée par les ventes de tisanes, de condiments ou de liqueurs fabriquées à partir de plantes séchées qu’ils récoltent dans leurs champs ou en montagne.
Ce système garantit aux producteurs un revenu et des conditions de travail décents et permet aux membres d’économiser entre 1 et 3 € par panier par rapport aux prix pratiqués sur les marchés. « Nous ne sommes pas payés par rapport au contenu du panier mais par rapport à notre temps de travail », explique Mathieu. En effet, si la composition du panier fluctue en fonction des aléas météorologiques, son prix, lui, reste le même.

* Amap : banque et assurance des agriculteurs
Motteuse.Une chance que ne connaissent pas les agriculteurs classiques. « Cette année, nous n’avons pas pu livrer de paniers pendant 3 semaines à cause du mauvais temps. Quelqu’un qui fait les marchés n’aurait pas eu de revenus pendant cette période, nous si », explique Jérôme, un des associés.
« L’Amap est à la fois notre assurance et notre banque », indique Mathieu. Car, en plus de les protéger des intempéries, l’abonnement versé chaque année par les amapiens les prémunit également des problèmes de trésorerie. Quand, au début de l’année, leurs confrères doivent acheter leurs semences à une période où ils n’ont pas de rentrées d’argent, leurs comptes sont souvent dans le rouge. Eux ne connaissent pas ce problème. « Notre banquier nous dit que nous n’avons pas besoin de lui », s’amuse Mathieu, entre deux coups de binette.
Surtout qu’ils n’ont pas d’emprunt sur le dos. Ils sont locataires des terres qu’ils exploitent et leur matériel a été principalement financé par la dotation jeunes agriculteurs (aide à l’installation) et quelques fonds propres. Quant à leurs semences, elles sont en partie autoproduites. Une situation qui leur permet de ne pas recourir aux subventions de la Politique agricole commune (PAC).

* Briser les idées reçues
Mais si ce système permet de réduire le temps de travail et l’incertitude financière, principaux freins à l’installation des agriculteurs, il implique également des contreparties. Les associés doivent rendre des comptes à ces particuliers qui les financent. « Nous sommes 100% dépendants de nos adhérents. C’est un peu comme si nous étions salariés de l’Amap », reconnaît Mathieu. Ils sont toujours maîtres sur leur exploitation, mais  justifient néanmoins leurs choix devant l’assemblée générale de l’association. Et pour cause, « chacune de nos actions aura une conséquence sur leurs paniers », explique Jérôme.
Alors, pour éviter qu’ils ne les laissent tomber, les 3 paysans jouent la carte de la transparence. Quand le temps n’est pas à la fête et que les paniers ne sont pas aussi pleins qu’à l’accoutumée, les agriculteurs envoient des photos et invitent les membres à passer pour constater les dégâts. Des soirées-débats sont également organisées tous les trois mois afin que les adhérents comprennent mieux le quotidien des paysans. Un travail pédagogique qui permet, selon Gwen, le 3ème associé, de « briser quelques idées reçues » :
« On les met face à notre réalité et on leur explique pourquoi il n’y a pas de légumes. L’Amap met en contact deux milieux, les consommateurs comprennent les problématiques des producteurs et inversement. Ça permet de leur faire prendre conscience que ce n’est pas au producteur d’assumer tous les risques », insiste Gwen. Une responsabilisation bien vécue par les adhérents de l’Amap : « ça leur fait plaisir de savoir qu’ils permettent à des paysans du coin de vivre décemment de leur travail », assure Jérôme.
La prise de conscience des contraintes agricoles a également permis de changer les habitudes alimentaires des adhérents. « Nous avons introduits la saisonnalité dans leur consommation. Certains membres aiment tellement nos tomates qu’ils ont arrêté d’en acheter ailleurs pendant l’hiver », se réjouit Mathieu.

* Agriculture participative
IMG_9910Et ce travail pédagogique ne se résume pas à des paroles. Plusieurs fois par an, les Amapiens sont invités à venir donner un coup de main à la ferme, notamment lors de la récolte de pommes de terre. Au delà de l’économie de main d’œuvre réalisée, ces journées favorisent la rencontre entre les membres. « Les gens viennent pour le panier mais aussi pour le lien », pense Mathieu.
Et les échanges se poursuivent pendant les distributions qui sont totalement autogérées. Les paysans déposent dans des caisses le contenu de leur récolte du jour et inscrivent sur un tableau la composition de chaque panier. Ensuite, c’est aux membres de se servir. « Ils pèsent eux-mêmes les légumes, ça leur permet de discuter et d’échanger des recettes », raconte Mathieu.
En hiver, lorsque la quantité de légumes est trop importante et pas assez variée pour permettre aux adhérents de consommer toute leur part, les paysans proposent des ateliers de mise en conserve. Grâce à ces temps d’échange, les membres ne sont plus seulement des consommateurs, ils deviennent des acteurs de leur alimentation.
Convaincus de la viabilité de leur mode de fonctionnement, les 3 paysans comprennent néanmoins qu’il ne séduise pas tout le monde. « Certains agriculteurs ne veulent pas avoir de comptes à rendre », estime Mathieu. En outre, si les associés sont assurés de toucher le Smic, ce système ne leur permet pas de gagner plus. Un détail qui peut freiner les paysans soucieux de réaliser des « gros coups » pendant les années fastes.
Pour autant, pas question pour eux de recommencer à vendre sur les marchés comme ils le faisaient au début de leur activité :

« Quand tu fais les marchés tu grilles tes week-end et ça te prend deux fois plus de temps que pour une distribution en Amap. En plus, s’il pleut, tu ne vois personne et tu es obligé de jeter. Les maraîchers jettent en moyenne 30 à 40% de leur production. Nous on ne jette rien. S’il n’y avait pas l’Amap, j’arrêterai », tranche Mathieu.

Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Au contraire, les 3 associés pensent déjà au moyen de perfectionner leur système, notamment en permettant aux adhérents de payer une partie de leur panier en temps de travail. En attendant, Gwen se satisfait d’avoir réussi à « proposer une alternative au système de consommation actuel » tout en « produisant de la bonne bouffe vendue localement ».

* La mutualisation, exemple du bon sens paysan

Afin de réduire leurs coûts, les agriculteurs de La pensée sauvage ont décidé de jouer la carte du collectif. Avec d’autres paysans de la région, ils mettent en commun machines, astuces et même leurs terres. Ainsi, ils cultivent leur patates dans le champ de leurs confrères et, en échange, ils en produisent pour eux et leur mettent à disposition un tracteur et un chauffeur lors de la récolte. Les 3 associés prêtent également un de leurs terrains à un éleveur qui leur fournit du fumier en retour. Enfin, pour la préparation de leurs plants, ils travaillent en bonne intelligence avec d’autres exploitants afin de limiter les investissements superflus. L’un d’eux a acheté la serre, un autre la machine à planter et le troisième le véhicule pour les transporter. Mathieu qualifie cet échange de bons procédés de « mutualisation souterraine » car aucun contrat ni échange monétaire ne vient graver dans le marbre cette manifestation du bon sens paysan.


Emmanuel Daniel
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