Rue89Lyon poursuit sa série de reportages sur les circuits courts. Pour ce sixième et dernier volet, retour sur le développement des marchés alimentaires dans l’agglo lyonnaise. Des marchés où producteurs et revendeurs se côtoient, dans un imbroglio où les consommateurs ont du mal à s’y retrouver.
Serge Biesuz et sa femme font le marché Carnot depuis 12 ans. © JEM/Rue89Lyon
« On assiste actuellement à un retour des marchés qui permettent de retisser du lien social, autour de valeurs fortes comme le développement durable sans manquer de s’adapter à l’évolution des habitudes des consommateurs ».
Le 10 avril dernier, en marge de l’inauguration du cinquième marché lyonnais de fin de journée, bio au demeurant, Marie-Odile Fondeur, adjointe au Commerce de la Ville de Lyon, ne tarit pas d’éloges sur les marchés d’après-midi, pensés pour répondre aux besoin d’une clientèle active. Arpentant le marché Ambroise Courtois (Lyon 8e), elle se félicite de la présence – « est-ce qu’on peut voir ça ailleurs ? » – d’un poissonnier bio et insiste sur celle des « nombreux producteurs ». Moins d’un mois et demi plus tard, elle inaugurait un autre marché d’après-midi, cette fois situé à Gerland.
« Les consommateurs ont du mal à faire la différence entre producteurs et revendeurs »
L’attrait récent pour ces marchés ne semble pas prêt de se démentir et concerne l’ensemble de l’agglomération lyonnaise, comme l’explique Véronique Hartmann, chargée de mission Espaces agricoles au Grand-Lyon :
« Concernant les marchés, l’ensemble du Grand-Lyon est sur la même dynamique que Lyon avec notamment la création du marché fermier de Décines, il y a deux ans. Ils connaissent un regain d’intérêt mais la grande distribution est toujours leader de la vente des produits alimentaires, d’autant plus que dans le même temps, les moyennes surfaces de centre-ville se sont créées ».
Afficher Les marchés de l’agglo lyonnaise sur une carte plus grande
Ces créations de marchés en chaîne concordent avec les résultats de la dernière enquête consommateur de la Chambre du commerce et de l’industrie (CCI) de Lyon, qui s’intéressait pour la première fois, en 2011, aux comportements d’achat en circuits courts des consommateurs du Grand-Lyon. Le constat décrit par Gaëlle Bonnefoy-Cudroz, responsable du service urbanisme commercial à la CCI de Lyon, atteste la suprématie des marchés :
« 53 % des consommateurs réalisent leurs achats sur les marchés et si on ne prend en compte que les habitants de Lyon et de Villeurbanne, la proportion monte à plus de 60 %. (…) Quand on demande aux consommateurs quels types de produits ils privilégient, les produits locaux arrivent en tête des réponses avec 15 %, devant les marques reconnues ou les premiers prix. Et 78 % disent privilégier les produits de saison ».
Mais de préciser :
« Ces réponses sont de l’ordre du déclaratif. Sur les marchés, les consommateurs peuvent avoir du mal à faire la distinction entre les producteurs, les producteurs revendeurs et les simples revendeurs ».
Pas assez de producteurs ?
Il est vrai qu’aujourd’hui, la grande majorité des marchés font se côtoyer agriculteurs et revendeurs, dont le métier n’est pas lié à la terre mais au négoce. La situation a beau être ancienne, elle continue d’être mal vécue par les producteurs qui ont tendance à se sentir lésés. D’où la mise en place au compte-gouttes de marchés exclusivement réservés aux producteurs locaux.
Serge Biesuz, maraîcher à Ampuis (69), devant le logo Bienvenue à la ferme. © JEM/Rue89Lyon
« Au début, ça a été très difficile. Même s’il y avait une réelle attente de la part des consommateurs d’avoir un marché de producteurs, les commerçants du coin n’étaient pas très rassurés, ce qui est logique. Aujourd’hui avec ce marché qui attire des clients qui n’habitent pas le quartier, ils sont bien contents ».
Serge Biesuz, maraîcher à Ampuis (69), fait partie de ceux qui, dès la première heure, ont souhaité la création du désormais incontournable marché de la place Carnot (Lyon 2e). Quand il s’installe en 1988, il décide de ne vendre que des produits issus de son exploitation. Et c’est logiquement qu’il adhère à l’Association des producteurs fermiers du Rhône en 1998. Trois ans plus tard, naît le marché de producteurs de la place Carnot. A Lyon c’est le seul marché dit « fermier ».
L’intérêt des consommateurs pour les circuits courts, relayé par les politiques, plaiderait pour un nombre plus important de ce type de marchés. Pourtant, dans l’agglomération lyonnaise on en recense seulement quatre autres : à Décines, Vaulx-en-Velin, Rillieux-la-Pape et plus récemment à Sainte-Foy-lès-Lyon. Dans d’autres communes, on trouvera surtout des marchés à dominante producteurs. Pour Ariel Ucheda, directrice de l’Association pour le développement et la promotion des marchés (ADPM), la raison est simple :
« Il y a beaucoup de demandes politiques pour installer des marchés bio ou de producteurs mais il n’y a pas tant de producteurs qui sont disponibles. Ils sont déjà insérés dans d’autres circuits ».
« Se démarquer des revendeurs »
Les agriculteurs présents sur ces marchés et adhérant à l’asso se sont engagés à respecter la contraignante Charte des producteurs fermiers du Rhône. Elle leur impose de ne vendre que des produits issus de leur exploitation, sauf cas de circonstances exceptionnelles, une dérogation pouvant alors être accordée de manière temporaire. En cela, la charte est bien moins contraignante que la loi, qui permet au producteur de vendre des denrées qu’il ne produit pas, sous réserve que les revenus qu’il en tire n’excède pas 30 % de son chiffre d’affaires annuel (ou 50 000 euros). Au-delà, il doit s’acquitter des charges correspondant à son activité de commerçant.
Arborant le t-shirt orange à l’effigie du marché, Serge Biesuz admet tout sourire que l’association est peut être un peu puriste. En 2012, une mauvaise saison l’empêche de pouvoir cultiver des tomates. Plutôt que de demander une dérogation à l’association pour pouvoir proposer cette denrée de base, il préfère « compenser » avec d’autres produits. « Quand on commence à faire de la revente, on ne sait plus quand s’arrêter », théorise-t-il.
Cette rigueur serait un mal nécessaire selon Hervé Joannon, l’actuel président de l’association, également éleveur de poulets à Sainte-Catherine (69) :
« Tout le monde se dit producteur, et même si pas mal le sont, il y en a beaucoup qui font aussi de l’achat-revente. Ils ne vont pas faire des agrumes parce que ça se voit. Mais ils vont compléter leur gamme en s’approvisionnant au marché de gros. La création de l’association répondait à la volonté de se démarquer par rapport à ces revendeurs ».
Sur le marché de la Place Carnot, nul besoin de se démarquer. Mais quand il se rendent sur leurs autres marchés, Serge Biesuz ou Hervé Joannon n’ont pas de mal à être identifiés en tant que producteurs. Le mérite en revient aux deux logos « Bienvenue à la ferme » et « Producteurs fermiers du Rhône ». Un menu argument face à la concurrence des revendeurs qui peuvent proposer des prix plus avantageux. En effet, mis à part une redevance payée en qualité de négociants, ils n’ont à supporter aucun frais lié à l’exploitation et s’économisent un temps de travail non négligeable.
« Trop de logos, tue le logo »
En mars 2013, l’association a rejoint Bienvenue à la ferme, un réseau national dont la charte est un peu moins contraignante. Elle autorise les agriculteurs à proposer des produits en provenance d’autres exploitations, de manière « accessoire ».
Une adhésion qui devrait apporter des retombées en termes d’image, espère Hervé Joannon :
« L’adhésion à ce réseau permet d’harmoniser les contrôles des producteurs présents sur les marchés de producteurs du Rhône mais dont les exploitations sont situées en dehors. Et puis, trop de logos, tue le logo, quand même. Le logo Producteurs du Rhône, n’est pas très connu, en tout cas bien moins que celui de Bienvenue à la ferme ».
Hervé Joannon, éleveur et président de l’Association des producteurs fermiers du Rhône. © JEM/Rue89Lyon
D’ailleurs, ces logos ne sont pas toujours prisés par les intéressés. L’Association des producteurs fermiers du Rhône compte 55 adhérents, loin de représenter tous les agriculteurs présents sur les marchés, qui parfois s’identifient en inscrivant simplement « Producteur » sur un morceau de carton. Une façon pour eux de rester libres de pratiquer un peu d’achat-revente avec moins de contraintes, souvent sur des produits d’appel et sans en faire secret. Si on le leur demande. Surtout, nombreux sont ceux qui reprennent des exploitations ayant déjà une clientèle.
Le circuit court plébiscité par les agriculteurs
Les formes innovantes de circuits courts, à l’instar des Drive fermier ou des systèmes d’achats groupés sur Internet, bien que médiatisées, ne font pas encore le poids face à l’institution qu’est le marché. Selon le dernier recensement agricole (2010), les exploitants privilégient toujours les « modes de vente traditionnels ». En Rhône-Alpes, le recours à la vente à la ferme par les agriculteurs devance de loin celui aux autres modes de commercialisation. C’est le cas dans tous les départements de la région, excepté le Rhône.
Pour les producteurs rhodaniens, vente sur les marchés et vente à la ferme arrivent au coude à coude. Cela s’explique notamment par le fait que leurs exploitations sont situées à proximité de l’agglomération lyonnaise, responsable du gros de la demande en produits locaux.
Mais faire les marchés n’est pas de tout repos : en plus de la production, il faut compter le temps de l’aller-retour, de la vente sur place, celui du nettoyage ainsi que les pertes éventuelles. Mais pas de quoi dissuader les producteurs qui assurent que les autres circuits – AMAP, systèmes de paniers ou encore points de vente collectifs – sont peut être moins coûteux en temps mais présentent chacun leurs contraintes. Serge Biesuz, dont les enfants n’ont pourtant pas prévu de prendre la suite, se veut positif :
« C’est vrai que c’est un métier dur. Mais au moins quand tu fais de la vente directe, tu sais ce que tu fais, ce que tu peux dépenser, tu connais les périodes où tu vas le plus travailler ou celles qui sont creuses. En s’organisant un peu on peut se dégager du temps, même l’été quand il y a pas mal de boulot ».
Il explique même s’autoriser des excursions à vélo pour se changer les idées. Reste qu’il travaille au moins 55 heures par semaine.
Source: Rue89 (http://goo.gl/NksMNf)
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