lundi 10 mars 2014

Ce que Carrefour veut faire de ses 129 magasins Coop

Carrefour a commencé à rencontrer les responsables des magasins Coop que le groupe de distribution a acheté. Objectif : transformer ces enseignes en Carrefour City ou Market, voire même Shopi, et transformer des salariés en gérants, propriétaires de leurs fonds de commerce. Problème : beaucoup ont dépassé la cinquantaine et vont devoir tout apprendre de la gestion d’une entreprise.

Depuis quelques semaines, dans une salle du centre de formation de la CCI avenue de Colmar à Strasbourg, des recruteurs de gérants de Carrefour Proximitérencontrent les actuels responsables des magasins de Coop Alsace. Objectif : faire connaissance et présenter aux salariés de Coop Alsace leur nouvel employeur. C’est le choc des cultures. D’une entreprise paternaliste, volontiers sociale et proche, les responsables de magasins et les autres salariés de Coop Alsace vont rejoindre un groupe de distribution basé à Lunéville, au management acéré et aux process affûtés.

Machine de guerre en marche

C’est peu dire qu’ils sont inquiets, les gérants des magasins Coop. Mais ont-ils vraiment le choix ? Ils n’ont pas été les derniers à souffrir de l’immobilisme du groupe de distribution alsacien et ont été en première ligne pour constater l’érosion de la clientèle. Du coup, leurs sentiments sont partagés face à la reprise de leur magasin par Carrefour et leurs visages passent par toutes les couleurs au fur et à mesure des diapositives affichées par les recruteurs de Carrefour proximité.
Carrefour affiche 225 enseignes de proximité dans l’est de la France. Le groupe en achète 129 nouvelles à Coop Alsace, soit une extension de leur parc régional de 57% ! Outre le rachat des murs et des fonds de commerce des magasins pour un montant non dévoilé, et 17 M€ d’investissement en modernisation, Carrefour a mis en place une machine de guerre pour digérer cette absorption stratégique.

Carrefour Proximité, le paradis de la distribution

Les recruteurs de Carrefour proximité commencent d’abord par présenter leur réseau aux responsables Coop. Dans leur monde, ils vivent au paradis de la distribution. Dans de beaux magasins, où le chiffre progresse, où leur patron Gérard Dorey est une inspiration pour tous, venu de la base et jouant volontiers le client mystère dans les magasins sous sa responsabilité, partageant les informations, etc. :
« Gérard Dorey ne nous laisse pas nous endormir ! Il y a sans cesse une communication dans les deux sens entre la direction et les magasins. On déploie en ce moment la deuxième version des Carrefour Contact, où un des changements est le déplacement de la panière, d’en bas vers le haut du présentoir, à la suite des remarques des magasins. On s’adapte en permanence pour être plus performant. »
Le réseau de Carrefour Proximité est composé de plusieurs types de magasins, « Contact » en zone rurale, « City » en zone urbaine et « Express » pour les plus petits. A ceux-là s’ajoutent des « 8 à Huit », des Proxi ou des Shopi…
Carrefour prévoit d’intégrer dès le printemps 48 magasins Coop dans ce réseau, avec un léger co-branding. Le logo vert et blanc Coop sera apposé dans le coin droit de l’enseigne murale de 7 Carrefour Contact, 8 Carrefour City, 22 Carrefour Express et 12 « 8 à Huit ». 81 magasins resteront entièrement sous la marque Coop pour être intégrés dans la ligne Carrefour plus tard.
Les représentants du groupe de distribution mettent en avant la réussite des formules Carrefour : +40% de chiffre d’affaires à Forschwihr, grâce notamment à une fermeture retardée d’une heure (20h), +50% à Neuf-Brisach…

« Et maintenant, à vous d’acheter votre magasin »

Durant le discours des recruteurs de Carrefour, les gérants de magasins Coop apprécient l’idée de rejoindre une entreprise qui dispose d’un moteur en état de fonctionner et d’un réseau cohérent. Ils n’en sont plus à un changement de concept près, ils avaient déjà dû intégrer les produits Casino en quelques semaines et vu leur chiffre d’affaires baisser pour nombre d’entre eux. Alors Carrefour, pourquoi pas ?
Certains haussent les sourcils en découvrant les amplitudes horaires, de 7h à 22h pour un « City » par exemple voir en 24/7 dans la région parisienne. Mais leur enthousiasme est douché lorsqu’est abordée la question du statut des responsables de magasins chez Carrefour :
« Chez nous, pas de posture du directeur-salarié. Les gérants ont vocation en trois ans, quatre maximum, à devenir propriétaires de leur fonds de commerce. Le capital de l’entreprise du magasin doit être détenu à 100% par le franchisé. On accompagne l’évolution vers ce statut par une location-gérance. Carrefour Proximité, ce sont de belles histoires. Quand on est jeune et qu’on veut avoir sa boite, on peut le faire ! »
« Oui mais chez nous, on a plus de 50 ans », rétorquent les salariés de Coop, pour qui l’idée de s’endetter sur 5 à 7 ans pour racheter leur fonds de commerce parait surréaliste. Les questions fusent : « Et si on ne peut pas ? Et si on ne veut pas ? Et si on n’en a pas les moyens ? » Les recruteurs restent inflexibles : « Si un responsable de magasin ne peut pas racheter son fonds de commerce, on lui proposera un autre magasin… » Tous les responsables de magasins subissent un entretien individuel avec les recruteurs de Carrefour afin d’élaborer leur « projet professionnel ». Actuellement, Coop Alsace a 60 gérants-mandataires, salariés mais intéressés au chiffre d’affaire et 84 chefs de magasins, complètement salariés.

Gérants endettés, Carrefour remboursé

Au final, Carrefour aura récupéré en quatre ans la majeure partie de son prix d’achat, grâce aux futurs gérants qui eux seront endettés. Pour les 52 magasins où les murs ont été acquis par Carrefour, les actifs seront transférés à la filiale foncière, Soval. Directeur d’un magasin Coop du nord de l’Alsace, Roger (le prénom a été changé) fait ses comptes :
« Si j’en crois leurs explications, mon magasin passerait en “Contact”. Mais je fais un million d’euros de chiffre d’affaires pour environ 500 m², soit environ 2 000€ du m². Je suis loin de leurs standards ! Bon, moi je me vois bien reprendre mon magasin et je préfère ça d’ailleurs. A la Coop, le directeur est constamment entre le marteau et l’enclume. On n’a aucun soutien d’en haut lorsqu’on a des problèmes avec des salariés complètement démotivés… Ma principale difficulté dans le système Carrefour sera d’ailleurs d’être le patron direct des employés que je gère actuellement. Je ne sais pas s’ils vont comprendre ce que ça va impliquer… »

« Un plan social déguisé »

La Coop a toujours eu une politique de ressources humaines souple, l’entreprise a accueilli nombre d’employés sans aucune formation, honorant les valeurs du mouvement coopératif et de l’économie sociale et solidaire. L’ennui, c’est que la Coop ne s’est pas préoccupée de ces salariés, les laissant sans formation ni progression. Du coup, nombre d’entre eux arrivent aujourd’hui autour de la cinquantaine et vont devoir passer de la Coop à Carrefour en quelques mois !
Pour Toni Milano, délégué Force Ouvrière de la Coop, le changement sera trop brutal :
« Le rachat des magasins par Carrefour cache un plan social. Nombre de gérants ne pourront pas reprendre leur magasin, soit parce qu’ils sont trop âgés, soit parce qu’ils n’ont aucune envie d’être chef d’entreprise et du coup, ils seront sortis des effectifs. Quant aux autres salariés, il se passera la même chose que lorsque les supermarchés de Saint-Louis et de Sélestat ont été transférés à Leclerc : plus de la moitié ont été poussés à quitter l’entreprise en moins d’un an. »
La cession formelle des magasins Coop à Carrefour doit intervenir le 6 mars, avec une signature du Comité interministériel du redressement industriel (Ciri).

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