mercredi 19 mars 2014

Voici comment Serge Papin a mis Système U sur orbite

Grâce à une grande cohérence entre discours et pratiques commerciales et la multiplication des services aux clients, le groupement de coopératives grignote des parts de marché.

Serge Papin, Président de Systeme U dans un magasin U de Vaucresson. Il a été récompensé par les Trophées de l'excellence bio 2012. Sous son impulsion, les produits U cherchent à devenir de plus en plus éco-compatibles. (PRM/SIPA)
Serge Papin, Président de Systeme U dans un magasin U de Vaucresson. Il a été récompensé par les Trophées de l'excellence bio 2012. Sous son impulsion, les produits U cherchent à devenir de plus en plus éco-compatibles. (PRM/SIPA)
"C'est ça, le commerce ! C'est joyeux, le com­merce !" clame la voix off. Sur une ritournelle de fanfare et des images un rien psychédéliques, façon collage animé, le spot de publicité de Système U prend à revers toute la communication de la distribution. Ses concurrents martèlent leurs messages sur les prix bas à force de comparateurs et de coupons de réduction? La sixième enseigne française emprunte un chemin de traverse, et vante même son autre voie sur des écrans publicitaires au cinéma.
En une minute, mettant en scène clients, commerçants et producteurs, elle montre les liens qui les unissent, met en exergue le partage. Une utopie? "Un système, répond Rodolphe Bonnasse, PDG de CA com, spécialisé dans les services marketing à la distribution. Leur marque exprime parfaitement ce qu'elle est, un sys­tème avec des valeurs, un mode de fonctionnement propre, une mise en œuvre coopérative."

Plus de 10% de parts de marché

Ce groupement d'indépendants a vu sa part de marché progresser de 40% en une décennie, pour dépasser 10% en France, l'an dernier. Et alors que les grands distributeurs intégrés, comme Carrefour, Auchan et Casino, patinent, lui, gagne du terrain, comme les centres Leclerc. Parce qu'il continue de creuser son originalité publicitaire, qu'il veille à une bonne adéquation entre son discours et ses pratiques commerciales, et qu'il multiplie les services aux consommateurs, sans oublier, bien sûr, de réduire ses coûts pour offrir des prix serrés.
Michel-Edouard Leclerc, le patron des centres du même nom, avait vu juste : "Maintenant, Système U va pouvoir entrer dans la cour des grands", confiait-il fin 2006. Le 1er janvier suivant, en effet, la publicité télévisée s'ouvrait à la distribution. Le groupe Système U, né en Loire-Atlantique, est le premier en lice.
Lui qui a d'abord une clientèle rurale, et surtout des supermarchés – il exploite seulement 70 hypermarchés sur 1.500 points de vente –, ne veut pas manquer l'occasion de se faire connaître auprès des urbains. Fond blanc, esprit minimaliste, un énorme U rouge, une jeune femme. En off, l'acteur Daniel Prévost, la voix de l'enseigne en radio depuis vingt ans, parle d'un distributeur qui prend soin de ses clients.

"Billard à trois bandes"

Le ton est donné : "Le consomma­teur est plus important que ce qu'il y a dans le chariot, explique Guillaume Pannaud, président de TBWA France et publicitaire de la coopérative. Depuis cinquante ans que les hypermarchés existent, la valeur ajoutée a toujours semblé provenir des industriels et de leurs marques. Il fallait commencer à inverser cette idée, et la dernière campagne est l'aboutissement de ce processus." 
La signature "U, le commerce qui profite à tous" ne se substitue pas à celle des "nouveaux commerçants" instituée en 1994, mais l'accompagne pour instiller l'idée d'une entreprise qui fait du business autrement. "On fait du billard à trois bandes", sourit Serge Papin, PDG du groupement Système U, qui, depuis cinq ans, fait entendre sa voix dans les médias. La publicité lui permet à la fois de parler aux consommateurs, de faire de la communication interne et de séduire des commerçants indépendants. Ainsi, depuis cinq ans, Système U a rallié Coop Normandie, le groupe Le Mistral dans le Sud et Coop de Bretagne, soit plus de 500 surfaces de vente en plus, dont quelques hypers et des magasins de ville.

Proximité rurale

De la même façon que Leclerc s'affirme le défenseur du pouvoir d'achat, Système U s'attache à être un modèle de proximité rurale. "Quoi que l'on fasse, Leclerc sera toujours un centime moins cher que nous sur les marques natio­nales, affirme Yann Hily, patron d'un supermarché à Plobannalec, dans le Finistère. A 6 kilomètres de mon magasin, j'ai le deuxième Le­clerc le plus agressif de France sur les prix, deux Carrefour Market et deux Intermarché. Mais j'ai d'au­tres arguments : je suis très bien placé sur les fruits et légumes, sur la boucherie, et j'achète directement à la criée 70% de mon poisson. C'est plus efficace que d'être moins cher sur le Nutella. D'autant qu'avec le prix de l'essence gagner 4 euros sur son panier de 100 euros n'est pas nécessairement intéres­sant si l'on roule des kilomètres pour faire ses courses."
Pour séduire les consommateurs, cet adhérent multiplie en rayon les produits de son environnement immédiat : il vend toute la gamme de la conserverie Gonidec de Concarneau, ses trois fournisseurs de crêpes sont de la commune, tout comme pour sa charcuterie. Plus de 20% de l'assortiment du magasin est local.
"Système U est le premier à mettre mon lait en tête de gondole sans que j'aie à payer en plus, confirme le président d'un groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec), qui fournit au même prix trois enseignes différentes et une soixantaine de magasins. Il le vend avec 25% de marge, et il prend en charge les promotions, quand Intermarché a décidé de marger à plus de 30% sans prévenir."
En décidant, début 2012, de faire la transparence sur le prix des pommes et des kiwis dans une publicité détaillant clairement ce qui revient au producteur et au magasin ainsi que le poids de la TVA, Système U brisait un tabou et une idée reçue. "Il a rendu service à la grande distribution en montrant que les marges n'étaient pas ahurissantes", sourit Rodolphe Bonnasse. Et s'est érigé en chantre du commerce responsable pour séduire les clients comme les PME. Mais la publicité ne suffit pas.
En plus des contrats établis par chaque directeur de magasin afin d'augmenter ses achats de produits locaux, le groupement coopératif a développé, à partir de 2009, les labels régionaux ("U de Normandie", "U de Corse", "U de Bretagne"…) sous l'impulsion des adhérents alsaciens. "Je fais vivre le bassin d'emploi qui me fait vivre : c'est un positionnement malin, assure Yves Marin, consultant chez Kurt Salmon. Ils ont été les premiers à le tenter et ils n'y dérogent pas."

Philosophie de l'échange

Si certains représentants de Système U deviennent trop brutaux lors des négociations commerciales, d'autres associés sont là pour veiller au grain. "Cette année, en Bretagne, nous avons dû mettre le holà, raconte Yann Hily. Certaines PME se plaignaient que nous étions plus durs que Leclerc ! Nous avons dû rappeler aux acheteurs régionaux que nos valeurs – la justesse de l'échange – devaient primer. C'est cela qui fait notre force." Cette philosophie n'empêche pas les ventes de croître. "Nos clients sont très sensibles à tout cela dans les régions fortement marquées par le chômage, assure Dominique Schelcher, PDG de Système U Est. Et pour nos fournisseurs, c'est un plus : quand on s'engage sur les volumes de salades avec un maraîcher, par exemple, on lui donne de la visibilité. Il peut investir."
Depuis juin 2011 et la signature avec Biolait, l'organisme collecteur du lait bio en France, et la Laiterie Saint-Denis-de-l'Hôtel, Système U a passé une quinzaine d'accords tripartites de plusieurs années avec transformateurs et producteurs. "C'est une particularité qui est propre à l'enseigne, souligne Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (Feef). Et là-dessus, elle est exemplaire."
Le groupement coopératif essaie aussi d'être un modèle en termes de consommation durable. Sous l'impulsion de Serge Papin, le distributeur s'est lancé avant tout le monde dans la chasse aux produits dangereux. "Nous avons été les premiers à enlever le bisphénol de nos tickets de caisse, à vendre des cosmétiques sans ce paraben réputé dangereux, assure-t-il. Avant même L'Oréal." Ce qui revient parfois à proposer des produits à marque propre à des prix plus élevés que les marques nationales : la brioche au beurre et sans huile de palme est ainsi plus chère que son équivalent Pasquier avec huile de palme. "Nous ne cherchons pas à être les moins-disants mais les meilleurs", poursuit le patron.

Système de drive

Pour développer le drive, qui permet d'aller chercher en magasin ses courses faites sur le Net, Système U n'avait pas les moyens de construire de grands entrepôts comme Leclerc. C'est donc dans ses magasins que se préparent les commandes. La productivité est faible, mais le déploie-ment rapide. Le groupement en possède plus de 500, loin devant Casino et Carrefour.
Grâce aux groupes d'échanges et de propositions (GEP) auxquels participent mensuellement les adhérents, les initiatives locales à succès sont vite repérées et proposées au niveau national. C'est ainsi que, depuis 2002, l'enseigne s'est lancée dans la location de véhicules utilitaires pour devenir leader dans le secteur. En test la livraison de produits frais. "Nous sommes très attentifs à ce que fait Amazon, assure Dominique Schelcher. Nous regardons comment le contrer."

Chasse aux surcoûts

Cette volonté d'être un acteur responsable de la distribution n'empêche pas la chasse aux surcoûts. Elle s'est accélérée depuis 2008. "Nos gains de productivité sont réinjectés dans les prix pour les maintenir le plus bas possible, expliqueSerge Papin. Nous avons optimisé la logistique, achetons désormais le gaz, l'électricité, les assurances ou même le carrelage en commun avec tous les adhérents." Autant d'économies évidentes pour des groupes intégrés comme Auchan et Carrefour, mais qui ont demandé des trésors de persuasion pour convaincre des commerçants indépendants.
Le plus compliqué ? Mettre en place un même système informatique pour tous. Là se trouvent toutes les informations sur les achats des magasins, les ventes quotidiennes… "La décision a été prise au congrès de 2009, raconte Dominique Schelcher, également responsable informatique. C'était un an après la crise, et on ne pouvait plus se payer le luxe d'avoir des systèmes différents. En 2015, tout sera terminé, et nous parlerons enfin le même langage. Nous pourrons compiler les données, être encore plus efficaces." Tout en affirmant sa différence.

Source: Challenges (http://goo.gl/ikWfgp)

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