Écrivain et consultant indépendant, le Britannique Tristram Stuart conseille aujourd'hui les gouvernements et les chaînes de distribution pour limiter le gaspillage dans toute la chaîne alimentaire. ‣ La version française de son livre Global gâchis paraît le 6 juin aux Éditions Rue de l'Échiquier.
D'après mes recherches, si l'on prend en compte le gaspillage au niveau des exploitations agricoles, des usines agroalimentaires, des supermarchés, des restaurants et enfin à domicile, nous jetons au moins un tiers des denrées alimentaires produites dans le monde. Cette estimation a été officialisée par la FAO. C'est d'autant plus choquant que, parallèlement, 1 milliard de personnes ne mangent pas à leur faim et que des forêts entières sont détruites pour produire de la nourriture dont une large part sera tout simplement jetée !
Y a-t-il une prise de conscience de l'ampleur de ce phénomène ?
T. S. : Absolument. C'est même incroyable de voir à quel point le mouvement contre le gaspillage alimentaire a pris de l'ampleur au niveau mondial. Mais il fallait d'abord révéler un phénomène qui se cachait dans les poubelles. On jette et on oublie ! Il fallait aussi montrer que la solution est relativement simple : il suffit de manger ce que nous jetions auparavant.
Quels sont les principaux facteurs de ce gâchis ?
T. S. : Les poubelles des supermarchés regorgent de produits alimentaires proches de la date de péremption ou dont l'emballage a été abîmé. Mais ce n'est que la partie la plus évidente du gaspillage induit par la grande distribution, l'essentiel se produisant dans les fermes. À cause des critères cosmétiques imposés par les supermarchés – des fruits ni trop grands, ni trop petits, ni trop tordus... –, les agriculteurs jettent de 30 à 40 % de leur récolte.
Même au Kenya – où nous nous trouvions en février –, les agriculteurs qui fournissent les supermarchés européens en haricots verts ou petits légumes en arrivent à jeter 40 % de leur production, uniquement sur des critères esthétiques. Il arrive aussi que les groupes alimentaires annulent purement et simplement leur commande au dernier moment, si la demande chez eux n'est pas au rendezvous.
Personne ne récupère cette nourriture ?
T. S. : Les agriculteurs se débrouillent comme ils peuvent pour distribuer aux pauvres. Mais eux-mêmes ne sont pas riches ! Qui va payer pour transporter les légumes produits à la campagne vers les villes ? Il n'y a aucune raison pour que ce soient les agriculteurs qui prennent cela en charge. Par ailleurs, les Kenyans ne mangent pas la même chose que nous...
Les groupes de distribution sont-ils sensibilisés à cette question ?
T. S. : Nous organisons des rencontres avec les plus grands groupes de distribution européens, qui n'ont pas toujours conscience des dégâts provoqués par leur politique. J'ai montré à un distributeur les photos du gâchis réalisé par l'un de ses fournisseurs au Kenya. Il a été choqué et s'est engagé à changer de politique. Notre but est de démontrer à ces groupes que modifier leurs pratiques est non seulement moralement obligatoire mais commercialement payant.
Avez-vous constaté des progrès en France ?
T. S. : J'ai rencontré à plusieurs reprises le ministre français chargé de l'agroalimentaire, Guillaume Garot, qui doit présenter prochainement un plan national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Les choses sont vraiment prises au sérieux. D'autant que la société civile elle aussi se mobilise. Le succès d'une association comme Disco Soupe, qui organise des distributions de soupes cuisinées à partir de légumes récupérés, est tout à fait réjouissant ! Face à cette mobilisation, les grandes entreprises bougent.
C'est encourageant ?
T. S. : Effectivement. Nous sommes invités à organiser dans 30 villes du monde entier, comme à Paris en octobre dernier, un banquet gratuit pour 5 000 personnes mitonné à partir de fruits, légumes et produits frais voués à la poubelle. La Commission européenne, la FAO se mobilisent ; la grande distribution bouge. Alors oui, nous allons gagner cette bataille contre le gaspillage alimentaire. Mais ce n'est qu'une petite victoire dans la grande guerre des atteintes portées à la nature.
Source: http://goo.gl/OF2aq
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