vendredi 13 septembre 2013

A l’Indépendante, l’épicerie dont vous êtes le héros

De la mise en rayon à la caisse, en passant par le choix des achats, les clients de cette épicerie autogérée, à Paris, font tout eux-mêmes.


Hervé, à l’Indépendante, fin juin 2013 (Emmanuel Daniel)
Jusqu’en 2008, Hervé était un doux rêveur qui pensait qu’en « jouant du rock’n’roll on était en action contre le système. Mais je me suis trompé », reconnaît-il. La crise l’a poussé à « changer radicalement [son] existence » et à se lancer « dans l’action concrète ».
C’est par l’assiette que ce musicien de profession est entré dans la sphère militante.
MAKING OF
Emmanuel Daniel, journaliste, réalise depuis juin un Tour de France des alternatives, pour « observer des alternatives concrètes dans des domaines aussi variés que l’économie, l’écologie, l’éducation, la politique ou la culture ». Nous reproduisons certains de ses articles sur Rue89, avec son autorisation. Rue89
« Il m’a semblé que l’alimentation était un point central de l’action possible. On peut vivre sans musique, on ne peut pas vivre sans manger. »
Alors, avec quelques amis, ils décident de « faire quelque chose ensemble ». Très vite émerge l’idée d’une épicerie coopérative inspirée duGroupement d’achat service épicerie de Rochefort-en-Terre. Une réunion publique est donc organisée en septembre 2011 et plus de cinquante personnes répondent à l’appel.
« On a senti que l’on touchait à une aspiration réelle d’un certain nombre de personnes », raconte Hervé. En quelques semaines, ils engrangent une trentaine d’adhésions et deux mois plus tard, L’indépendante voit le jour. La coopérative est basée dans le XVIIIe arrondissement de Paris.

Eviter le supermarché

« L’idée était de sortir du supermarché, de ne plus approvisionner les comptes de multinationales qui détruisent la planète », rappelle Hervé.
« Beaucoup d’entre nous étaient déjà dans une Amap [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne] mais il n’existait rien pour les produits secs. Nous cherchions une option pour satisfaire 100% de nos besoins. »
A L’indépendante, inutile de chercher les salariés, les membres sont eux-mêmes devenus leur propres épiciers. Pour débuter, ils ont tous mis sur la table une cinquantaine d’euros afin d’acheter les premiers produits qu’ils stockent dans des placards mis à disposition par une maison de quartier. Ici, pas de chef, l’épicerie est totalement autogérée.
Ensemble, les membres décident des produits commandés. Les critères de sélection sont simples :
« Pas d’empoisonnement des produits ni de la terre et le plus de vrac possible pour limiter les emballages. »

« Si tu voles, tu te voles toi-même ! »

Les 57 adhérents se fournissent auprès de centrales d’achats responsables comme Terra libra et passent par des producteurs locaux qu’ils ont tous rencontré. Le but n’est pas de faire du profit, seulement d’accéder à des produits sains à prix coûtant.
Une fois par semaine, ils vont « faire leur marché » dans les placards. Sur MoneyCoop, un site réservé aux adhérents, ils mentionnent les produits achetés qui sont décomptés de leur solde. Une fois leur crédit épuisé, ils remettent de l’argent et de nouveaux produits sont commandés afin de remplir à nouveau les placards. Le système est basé sur la confiance entre les membres.

Les placards de l’Indépendante (Emmanuel Daniel)
« Mais personne ne triche ? » Ma question fait rire Hervé :
« C’est un truc qui appartient à tous, donc si tu voles, tu te voles toi-même ! »
D’ailleurs c’est l’inverse qui se passe. Il y a bien des erreurs, mais il ne manque pas d’argent : lors du dernier inventaire, les coopérateurs ont comptabilisé un surplus de 200 euros.

La richesse de l’intelligence collective

Pour mener à bien le projet, les adhérents auraient pu constituer un simple groupement d’achat tel que le propose La Ruche qui dit oui – une plateforme internet qui permet à ses membres d’acheter des produits en circuits courts. « Mais ce n’est pas très rigolo », fait remarquer Hervé.
Au-delà de l’alimentation, c’est l’aspect humain qui l’intéressait dans ce projet. Loin d’être un problème, l’autogestion est, selon lui, une vraie opportunité. L’indépendante fonctionne de manière totalement horizontale, au consensus et sans avoir recours au vote. Hervé argumente :
« Quand tu écoutes l’opinion de trente personnes, la tienne n’est pas radicalement transformée, mais elle évolue. C’est une grande richesse de travailler comme ça car ton point de vue est forcement limité [PDF]. Les décisions prises reflètent l’intérêt de tout le monde. On est la preuve vivante que la démocratie ce n’est pas forcement une pyramide et du vote, qu’on peut fonctionner d’une autre façon. »
Il n’a pas de mot assez élogieux pour louer l’intelligence collective qui tourne à plein régime pendant leurs réunions hebdomadaires.

Un système de solidarité inédit

Une mutualisation de matière grise qui a permis d’inventer un système de solidarité permettant aux adhérents les plus démunis de pouvoir effectuer leurs achats gratuitement.
Chaque coopérateur peut alimenter anonymement le compte de M. L’indépendant, un profil fictif que les membres peuvent utiliser pour régler leurs achats en cas de disette. Le compte de M. L’indépendant est également abondé par une partie des adhésions (à prix libre entre 2 et 10 euros par mois).
Malgré ce succès, l’Indépendante « ne veut pas grossir mais plutôt favoriser l’émergence de nouvelles coopératives un peu partout », assure Hervé qui est persuadé que ce modèle est tout à fait transposable autre part.
Plusieurs collectifs, dans différentes régions sont déjà venus à la rencontre de L’indépendante dans le but de s’en inspirer.

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