mercredi 18 décembre 2013

La prospective urbaine dans tous ses états

« Ma ville demain », « Destinations 2030 », « Laval 2021 », « Strasbourg Eurométropole 2028 »… Ces titres de démarches prospectives vous sont peut-être inconnus. Pourtant, elles révolutionnent la façon dont les territoires imaginent leur avenir. Dans la grande famille de la prospective urbaine, deux approches « s’affrontent » : les démarches réglementaires et les démarches participatives. Les premières semblent en déclin tandis que les secondes ont le vent en poupe. Petit voyage dans le monde de la prospective…
PROSPECTIVE RÉGLEMENTAIRE : UN ÉCHEC ?
En France, les principaux outils de prospective règlementaires sont le schéma de cohérence territoriale (SCOT) et le plan local d’urbanisme (PLU). Les deux documents ont été instaurés en 2000 par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain et remplacent d’anciens instruments de prospective et de planification. Le SCOT fixe les grandes orientations d’un territoire pour les quinze années à venir en matière d’habitat, d’urbanisme, de déplacements ou encore d’équipements commerciaux. Le PLU établit « les règles générales d’utilisation du sol sur le territoire considéré »[1]
Souvent, ces documents d’urbanisme sont intéressants, réfléchis mais beaucoup trop technocratiques et donc absolument pas appropriables par les habitants. Plus grave, ils sont très vite dépassés et trop peu souvent respectés par les élus locaux : l’étalement urbain se poursuit, des zones commerciales imprévues voient le jour… Sans que celle-ci soit exhaustive, nous pouvons établir une liste de trois raisons expliquant le relatif échec de cette prospective réglementaire :
  • Une échelle d’intervention complexe pour les SCOT: Ainsi, les attentes d’un élu d’une ville dense seront sans doute éloignées et parfois contraires aux souhaits d’un décideur d’une commune périurbaine ;
  • Une vision prospective d’experts: Très souvent, les documents d’urbanismes reflètent la pensée des experts mais pas celle de la population ;
  • Des documents technocratiques et rébarbatifs: Un exercice de prospective entre spécialistes limite considérablement les idées novatrices pour un territoire.
Face à ces documents peu appropriables par la majorité des habitants, d’autres acteurs locaux ont voulu changer la donne. Ces dernières années ont vu émerger des démarches prospectives concertatives. 
PENSER L’AVENIR DES TERRITOIRES DIFFÉREMMENT, ÇA MARCHE ?
Exposition "Ma ville demain"
Agence d'urbanisme de l'agglomération nantaise
Quatre consultations participatives ont retenu notre attention. La première, intitulée « Ma ville demain, inventons la métropole nantaise de 2030 » s’est déroulée de décembre 2010 à décembre 2012. Les décideurs locaux voulaient écrire une nouvelle page de la ville en réinterrogeant le territoire. Pilotée par l’AURAN – l’agence d’urbanisme locale – la démarche a connu une réussite inattendue en élargissant sensiblement les bases de la participation. L’engouement s’est ainsi traduit par 22 000 contributions et 16 000 visites de l’exposition sur l’île de Nantes. Preuve de l’influence de « Ma ville demain », le projet a été pris en compte dans les travaux du plan local d’urbanisme intercommunal…[2] 
Affiche "Destinations 2030"
ADDRN ©
La seconde consultation est la réflexion prospective « Destinations 2030 » mise en place par l’agglomération nazairienne. Le projet a été lancé par deux dispositifs complémentaires. D’un côté, les animations terrains (animations ludiques, jeux prospectifs, événements, réunions) pour aller à la rencontre des habitants. D’un autre côté, le site internetwww.destinations2030.org, qui permettait aux utilisateurs d’émettre leurs propositions d’avenir pour l’agglomération de Saint-Nazaire. Là aussi, le succès est au rendez-vous. Quantitativement, c’est un succès populaire puisque 12 000 personnes se sont rendues sur le site internet, 3 300 participants sont allés aux événements terrains et la démarche a recueilli 350 souhaits d’avenir. Qualitativement, c’est un succès méthodologique. Le document final, intitulé « Carnet de voyages » garde un esprit décalé tout en restant dans une démarche prospective intéressante et appropriable par tous. On est loin des documents trop technocratiques et, pour autant, les destinations proposées par les habitants sont toutes sauf terre à terre : orienter l’économie nazairienne vers l’eau (désalinisation, biomédecines de la mer, énergies marines), privilégier la proximité commerciale ou encore développer l’urbanisme éphémère pour inciter les citadins à redécouvrir leur propre ville.
Les deux derniers exemples vont encore plus loin dans l’approche prospective concertative. Tous deux s’appuient sur Carticipe ®, « un outil de concertation et d’urbanisme participatif » mis en place par le bureau d’études Repérage urbain. L’agglomération de Laval et l’eurométropole strasbourgeoise sont les deux territoires à s’être lancés dans l’aventure. De cette façon, les lavallois et les strasbourgeois imaginent le futur de leur ville, de leur quartier ou de leur rue à l’aide d’une carte géolocalisée. Dans le cas de la cité de la Mayenne, les habitants doivent se projeter jusqu’en 2021, année du prochain plan local d’urbanisme. Pour ce qui concerne l’agglomération alsacienne, les citadins ont la (lourde) tâche d’imaginer le territoire en 2028. Le résultat est étonnant : des milliers de visites, des centaines de propositions et de votes, des heures de débats et tout cela dans une dynamique constructive. Et pour ceux qui n’auraient pas accès à Internet, de nombreuses ballades urbaines sont prévues.
Les strasbourgeois sont invités à imaginer l'eurométropole d'ici 2028
Carticipe ®/ Reperage Urbain
Qu’est-ce que cela prouve ? Que les consultations classiques comme les réunions publiques sont à bout de souffle. Seules quelques personnes peuvent s’y rendre et toujours les mêmes généralement (les opposants). A contrario,les différentes consultations participatives ouvrent le débat aux timides, aux réservés, à ceux qui n’ont pas le temps de se rendre aux débats publics, à ceux qui n’osent pas prendre la parole… mais qui ont des idées plein la tête.
Cela témoigne du fait que beaucoup d’habitants ont des avis et des attentes sur l’avenir de leur territoire. Et que ces souhaits, ces perspectives, ces espoirs méritent d’être pris en compte parce qu’ils sont imaginatifs, novateurs, inventifs et très souvent réalistes. Les personnes contribuant à ces démarches prospectives ouvrent de nouvelles perspectives, renouvellent le débat,élargissent le champ des idées. Cela permet aussi, dans bien des cas, de désamorcer les conflits et d’anticiper certaines controverses en rapprochant les élus de leurs habitants.
Et si les habitants d’une ville étaient enfin considérés comme des experts en matière d’urbanisme ?
Benjamin Taveau
[1] Ministère de l’Égalité des territoires et du Logement, « Le plan local d’urbanisme », 21/05/13.
[2] Pour retracer toute la démarche de Nantes Métropole: Mavilledemain.fr
Source: Le Monde (http://goo.gl/yPi16j)

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