Pendant la période néolithique, l'Homme a inventé l'agriculture. Si nous sommes si nombreux c'est grâce aux céréales et donc à nos agriculteurs.
Aucune grande nation ne reste dans l'histoire si elle ne dispose pas de l'indépendance et de la sécurité alimentaire. Il suffit de regarder combien les États-Unis d'Amérique sont protectionnistes par rapport à leur agriculture pour le comprendre. La chute de l'Union soviétique s'est enclenchée à partir du moment où les dirigeants soviétiques furent contraints d'importer des céréales américaines.
L'arme alimentaire fut utilisée dans les années vingt par les bolcheviques pour supprimer et réduire les populations. Plus près de nous, les dictateurs dans la corne de l'Afrique, surent employer les famines dans un but politique, tout en détournant à leur seul profit les aides occidentales.
La France à la sortie de la deuxième guerre mondiale ne disposait pas de l'autonomie alimentaire. Aujourd'hui le travail des exploitants et de notre secteur agro-alimentaire, non seulement nous donne cette première des libertés à laquelle tout gouvernant doit être attaché, mais plus encore il apporte des devises par les exportations qu'il génère.
Notre agriculture est confrontée à des modifications profondes face aux fluctuations des marchés mondiaux, dans un contexte général de guerre monétaire et économique. L'évolution de la démographie mondiale nécessite de protéger les terres arables contre l'artificialisation des sols, mais aussi d'augmenter qualités protéiques et rendements dans les pays en développement. Les mouvements récents au sud du bassin méditerranéen sont également liés à l'accès à une nourriture suffisante et à un prix abordable pour tous. La France et ses agriculteurs, par leur excellence ont un rôle majeur à tenir dans l'intérêt politique, stratégique et économique du Pays.
Or, deux dérives idéologiques, exprimées lors des débats à l'Assemblée nationale autour de la nouvelle loi agricole, menacent aujourd'hui le développement de l'agriculture française dans une vision environnementaliste.
Premièrement, le fantasme du retour à un âge d'or, obtenu en conduisant les exploitants à supprimer les intrants, particulièrement les pesticides et les bactéricides. Derrière cette idée, c'est le retour à une période historique qui précéderait l'arrivée des antibiotiques synthétisés par l'homme. Or, cette vision me semble négliger les mécanismes adaptatifs constants du vivant. L'ensemble des bactéries jugées utiles ou nuisibles par l'homme, n'ont jamais cessé d'avoir des mutations génétiques. Certaines de ces mutations ont même, comme dans la médecine humaine, engendré des résistances aux traitements des cultures. Ainsi les micro-organismes ne sont certainement plus exactement les mêmes quant à leur génome aujourd'hui qu'au moment de l'emploi par les agriculteurs des premiers traitements. Un retour au statut antérieur est donc illusoire. Pire, c'est oublier que livrées aux maladies diverses des végétaux les cultures ont des rendements très bas. Il semblerait que l'on soit autour d'une tonne de blé par hectare au lieu des sept tonnes actuellement. Comment répondre aux besoins quantitatifs en protéines végétales pour nourrir les populations mondiales avec de tels rendements en céréales? Comme en stratégie militaire, nous avons dans le domaine de la lutte contre les maladies du végétal, une lutte entre l'épée et le bouclier, comme en médecine humaine, entre les traitements et les résistances. Dès que nous introduisons, nous humains, dans notre univers un nouvel objet, à partir d'un certain seuil, nous modifions définitivement notre univers. Nous sommes condamnés à une adaptation permanente.
Deuxièmement, la panacée serait dans une agriculture localiste. Là encore l'oubli historique est flagrant, il suffit de citer la tomate et la pomme de terre introduites en Europe au XVIème siècle, pour se souvenir qu'il existe toujours par le commerce des hommes des échanges de connaissances et d'objets physiques. Si le respect du rapport au rythme des saisons est certainement trop oublié dans les habitudes alimentaires occidentales récentes; il est certain que tous les climats et tous les sols ne pourront pas produire localement l'ensemble des protéines animales et végétales nécessaires pour une alimentation suffisante, saine et équilibrée. Associée à ce désir de localisme, nous trouvons également la notion d'un parcellaire constitué uniquement d'exploitations de petite taille. Une telle optique, encore une fois, au-delà de l'alimentation de quelques familles à proximité, ne répond pas aux besoins des cités, ni à l'impérieuse nécessité de la fourniture d'aliments toute l'année en rythme continu.
L'agriculture est donc nécessairement appelée à employer deux modèles au moins. D'un côté une production extensive et intensive est inévitable. Elle utilise les apports scientifiques et techniques, dans la pharmacologie, la génétique, l'agronomie ou la mécanique agricole, avec les évolutions du semis direct ou de l'agriculture raisonnée pour respecter les sols et leurs microfaunes, limiter les intrants à la stricte nécessité. Cette agriculture est celle de la suffisance et de la sécurité alimentaires mondiales. De l'autre des exploitations qui répondent à des demandes des marchés pour produire des aliments à très hautes qualités gustatives ou protéiques, destinées aussi à préserver la variété du patrimoine génétique mondial. Ces exploitations de plus petite taille sont aussi celles des cultures vivrières, avec des circuits courts, tant dans les pays en développement que dans nos contrées.
Il est non seulement illusoire, mais plus encore dangereux, de vouloir opposer les deux modèles. Car les conflits d'aujourd'hui et de demain sont autour des matières premières: énergie, métaux, eau, terres arables et donc nourriture. Le développement d'une agriculture moderne au niveau mondial est essentiel pour éviter des flux migratoires incontrôlables, liés à la faim, conduisant à la vision du "Camp des Saints". Ne retournons pas à un projet, post-néolithique en quelque sorte, d'une agriculture d'idéalistes des villes occidentales au ventre plein.
Source: Huffington Post (http://goo.gl/7944KX)
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