Au même titre que les arts ou la mode, l’alimentation évolue. Alors, quelles sont les tendances à venir dans nos assiettes?
Parmi les observateurs de la scène alimentaire canadienne se trouve Frédéric Blaise, de la société Enzyme. Chaque année, cette agence de marketing réalise une série de prévisions touchant aussi bien les professionnels que les consommateurs. Or, ce qui ressort le plus dans la dernière étude est le rôle de plus en plus important que jouela génération Ydans les choix de consommation. «Alors que la génération des baby-boomers est assez active et celle des X, un peu oubliée, la génération Ycommence à imposer ses valeurs et ses comportements dans le monde agroalimentaire.» Une évolution qui se dénote de plusieurs manières dans les rayons des magasins comme au restaurant.
Au royaume de la diversité
Le métissage culturel de la société québécoise est propice à la découverte dans de multiples sphères, dont l’alimentation. Une alimentation qui est sans doute le reflet le plus fidèle de l’ouverture québécoise, mais aussi des vagues d’immigration dans cette province. On trouve ainsi à Montréal des restaurants de toutes les cultures culinaires, du japonais au caucasien, en passant par le marocain, l’italien et le finlandais. Les restaurants à thème, ainsi que, plus récemment, les restaurants qui cultivent un joyeux mélange de styles ont aussi des adeptes. En témoignent des concepts comme le Mezcla, qui se situe dans la mouvance Nuevo Latino et propose une fusion des cuisines du Pérou, du Chili et de l’Argentine adaptées aux techniques de cuisines française et européennes.
La bistronomie, un succès qui ne se démentira pas en 2014.
Photo : Dolce vita Spinelli
Cette diversité est d’ailleurs très recherchée par les membres dela génération Y, semble-t-il. «Il s’agit moins d’exotisme que de plaisir gustatif. On veut avoir le monde dans son assiette et voyager à chaque bouchée, sans pour autant se prendre au sérieux, en toute convivialité et dans un esprit de partage. Voilà pourquoi ce que nous qualifions de “bistronomie nonchalante” a tant de succès», explique Frédéric Blaise. L’utilisation de produits exotiques avec d’autres locaux est d’ailleurs devenue monnaie courante. On adapte même ici les savoir-faire extérieurs. C’était auparavant valable pour les tomates italiennes, qui sont apparues dans nos marchés dans les années 1940, et c’est aujourd’hui aussi le cas avec le soya, le lama et le bœuf Wagyu, initialement originaire de Kobe, au Japon. Les épices et condiments étrangers se retrouvent aussi naturellement dans les plats. Variété, originalité et créativité sont donc les maîtres mots de nombreuses bonnes tables, mais aussi des compagnies agroalimentaires qui y voient de nouvelles perspectives, car cette cuisine du monde à portée de main et pratico-pratique – loin de l’idée un peu sophistiquée que l’on pouvait se faire avant de la bonne cuisine – est un secteur en pleine croissance. Alors, qu’on la consomme au restaurant, emballée sous vide dans une épicerie fine, sous forme de sandwich devant un camion de bouffe de rue, prête-à-manger dans le rayon des surgelés, ou encore prête à cuisiner (éléments frais déjà coupés ou parés, éléments secs à assembler), on trouvera cette cuisine partout en 2014.
Qualité, proximité, authenticité
Il peut être étonnant au premier abord qu’à la diversité réponde un besoin de proximité. «Pourtant, c’est une revendication importante pour la génération Y. Ils sont conscients d’eux-mêmes, de leur place dans le monde et ils veulent voir des notions d’authenticité et d’éthique dominer sur le plan alimentaire», explique Frédéric Blaise. Ils ne sont cependant pas les seuls à être attirés par une consommation locale, que l’on associe naturellement (et à tort, parfois) à de la qualité. Après une longue domination du marché du détail par de grandes enseignes, on constate en effet depuis une quinzaine d’années un retour progressif de la clientèle vers des commerces à échelle humaine et vers des produits dont on se soucie de plus en plus de la qualité. Épiceries fines, artisans de bouche traditionnels comme des boulangers, pâtissiers, bouchers, charcutiers et fromagers, artisans spécialisés dans la fabrication de pâtes artisanales, dans les salaisons ou dans la cueillette de champignons et d’herbes sauvages… Tous ces commerces ont en commun de favoriser des produits de qualité, souvent locaux et dont la traçabilité est assurée, contrairement à ce qui a cours dans les grandes surfaces, même si elles cherchent de plus en plus à suivre la tendance en proposant des produits plus fins, par exemple en vendant des gammes de plats préparés par de grands chefs comme Jérôme Ferrer ou Laurent Godbout.
Le caractère local des matières premières et des produits consommés au Québec est d’ailleurs le premier qualificatif évoqué lorsqu’il est question de qualité. Les artisans et restaurateurs s’approvisionnent majoritairement au Québec (71% selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) et font de ce choix une valeur ajoutée de leur offre auprès du public, en l’indiquant sur leur menu, voire en invitant les producteurs à rencontrer le public lors d’une activité spéciale. On peut même avancer que cette cuisine, qui met en vedette les produits du terroir et leurs artisans, est aujourd’hui aussi importante que la signature du chef elle-même, même si ce dernier est reconnu. Des visionnaires comme Normand Laprise chez les restaurateurs et Société-Orignal chez les concepteurs-diffuseurs ont en outre compris que ce terroir était évolutif, qu’on pouvait y concevoir des produits misant à la fois sur la tradition et sur la création. L’essentiel étant de demeurer le plus authentique possible et d’avoir une approche misant sur la transparence. «Les gens veulent savoir ce qu’ils mangent et ils ont aussi envie d’apprendre en mangeant. Ils vont donc à la rencontre des producteurs, éliminent les intermédiaires s’ils le peuvent (par exemple, pendant l’été, on compte à présent une cinquantaine de marchés publics dans le Grand Montréal, contre une dizaine seulement en 2007), poussent les restaurants à détailler au maximum ce qu’ils servent.» Cette tendance, qui continuera à s’accentuer en 2014, favorise déjà de nouvelles approches de marketing à petite ou à grande échelle. On peut par exemple penser à la dernière saison des homards de Gaspésie, au cours de laquelle la bague que portait chaque homard vendu permettait, sur Internet, de connaître exactement le pêcheur qui l’avait capturé, vidéo sur cette personne en prime. Attention, toutefois, il y a encore de grands écarts entre les prix pratiqués d’un endroit à un autre. Aussi, même si de nombreux foodies n’hésitent pas à mettre un peu plus de budget pour des produits de qualité, il faut se montrer vigilant. Ou miser sur ce facteur intelligemment, pense Frédéric Blaise, qui croit que les magasins attireront très bientôt autant leur clientèle avec une offre spéciale sur des carottes biologiques que sur du savon à vaisselle. «Et pourquoi les restaurants n’embarqueraient-ils pas dans le mouvement en faisant une promotion sur leur foie gras?» Un bon moyen d’attirer de nouveaux clients et de fidéliser les autres.
La bague que porte ce homard de Gaspésie permet de découvrir le pêcheur qui l'a capturé. Une traçabilité exemplaire.
Un futur en santé?
La société québécoise est, tout comme ses voisines nord-américaines, aux prises avec un paradoxe alimentaire. D’une part, l’inactivité et la malbouffe ont conduit à une tendance au surpoids qui touchait déjà, en 2004, plus de 57% de la population adulte et 15% des enfants. Poutines, pogos, chips, frites, boissons gazeuses, sucreries et aliments transformés sont les premiers facteurs de ce problème, même s’ils sont très appréciés. D’autre part, une prise de conscience de plus en plus manifeste de la composition de notre nourriture et des besoins de notre organisme a émergé, popularisant des produits plus sains et des superaliments. Parmi les pionniers de ce mouvement, des entreprises comme Danone, qui ont parfaitement anticipé ces nouvelles attentes en lançant des produits laitiers santé tels qu’Activia, le tout premier yogourt contenant des probiotiques, ou bien Danino, des yogourts pour enfants additionnés de purées de vrais fruits. «C’est une tendance de plus en plus forte. Les consommateurs s’attardent à trois facteurs: la densité nutritionnelle (on s’assure que chaque bouchée a une valeur nutritionnelle, par exemple en choisissant des lentilles pour les protéines et le fer qu’elles contiennent), la fonctionnalité (55% des Canadiens priorisent la santé cardiaque, osseuse et la perte de poids), et enfin l’intégrité des aliments.» Ce dernier axe pousse les entreprises agroalimentaires à changer leurs pratiques. En 2014, il sera donc de mise de remplacer l’huile de palme et le fructose par des éléments sains et naturels, de mentionner les produits qui contiennent des OGM ou des hormones, de proposer des superaliments, d’avoir plus de légumes dans nos assiettes, etc. Cette approche santé s’observe déjà sur les étals des grandes surfaces: pain aux grains entiers, charcuterie sans nitrates, poulets de grain élevés en plein air, crème glacée allégée, compotes sans sucre ajouté, jus de légumes sans sel, boissons de soya ou de riz, etc. Mais elle s’accentuera encore sur place ainsi que dans les commerces alimentaires et les restaurants, qui offrent déjà des pains et pâtisseries sans gluten, des plats sans allergènes, ou bien des mets végétariens et végétaliens.
Les légumes, des superaliments naturels qui seront de plus en plus présents dans nos assiettes en 2014.
Photo : mindsetsante.fr
Ce qui nous amène directement à évoquer une dernière tendance importante en 2014 et quela société Enzymenomme le «plein-être». «C’est une prise de conscience collective, une manière d’atteindre son plein potentiel santé tout en suivant des convictions d’éthique et de développement durable, commente Frédéric Blaise. Les baby-boomers se repentissent ainsi de leurs abus, les membres de la génération Xse disent “pourquoi pas?”, et ceux de la génération Ysont très revendicateurs. On ne veut plus entretenir de malaise vis-à-vis de certains produits, de certaines manières de faire.» On s’intéresse donc à l’agriculture et à l’élevage biologiques, aux valeurs morales et durables des entreprises, ainsi qu’à la multiplicité de labels qui fleurissent sur les produits (Québec Vrai, Ecocert, Demeter, etc.). À la base de la popularisation de cette tendance, on trouve notamment l’organisation Slow Food, qui propose une «alterconsommation» basée sur le plaisir de manger des aliments sains, locaux, respectueux de l’environnement, et avec une conscience citoyenne. Car c’est bien de cela dont il est de plus en plus question. Je suis ce que je mange, donc ma conscience me guide dans mes choix. Alors, suivrez-vous la tendance et serez-vous un consommateur responsable en 2014?
Source: Voir.ca (http://goo.gl/CEuc9Q)
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