mardi 1 janvier 2013

La revanche du terroir

A travers la France, trois jeunes producteurs passionnés par leurs produits.Alexandre Polmard, boucher, éleveur d'un troupeau de blondes d'Aquitaine à Saint-Mihiel, en Lorraine ; Denis Petit, spécialiste des escargots à Bernon, pas loin de Chablis ; Carine Bars, qui sait tout sur les pommes de terre et les légumes oubliés, et vend les meilleures espèces sur les marchés parisiens.

Le début du siècle avait marqué un timide retour du terroir. Dix ans plus tard, on assiste à sa revanche, son triomphe.

Notre série d'été sur les marchés à travers la France en vacances l'a démontré, notre tour de France des villes gourmandes l'a confirmé: les produits issus directement de la terre, ceux fabriqués maison sont plébiscités. Que ce soit au Touquet, à Saint-Jean-de-Luz, au Croisic, à Arcachon, on traverse le marché à la recherche des petits producteurs. On se méfie de ce qui arrive directement de Rungis, calibré, aseptisé. Les petites pommes biscornues du cultivateur normand se révèlent des souvenirs délectables. Les grosses pommes brillantes, astiquées, en provenance de pays lointains, n'ont ni saveur ni jus.
Pourquoi, sur le marché de l'avenue du Président-Wilson, à Paris, les clients se pressent-ils devant l'étal de Joël Thiébault, le maraîcher de Carrières-sur-Seine devenu la star des légumes oubliés, champion des salades romaines sorties du champ à la fin de la nuit pour être vendues face à la tour Eiffel dès 8 heures?
Une majorité de Français a compris que la malbouffe abrège l'existence et assombrit la vie. Une prise de conscience qui a fait baisser le chiffre d'affaires des rayons alimentation des supermarchés. Dans les villages, boulangers et bouchers ont retrouvé le moral en revenant à la qualité, un moment abandonnée. Ces petits commerçants relèvent la tête. David a remonté la pente face à Goliath.
Autour de Paris, face aux grandes surfaces, la charcuterie de campagne de la famille Gouel, à Breuilpont, dans l'Eure, a conservé et élargi sa clientèle face à l'Intermarché et au Casino de Pacy-sur-Eure. Tout près, à Villiers-en-Désoeuvre, la boucherie Leblond tient tête à la grande surface voisine en fidélisant clientèle locale et résidents secondaires: ses gigots et côtes de boeuf font la loi. Les carcasses sont bien choisies et la qualité fait venir la clientèle. Un temps, le boudin servi à la table du 2 étoiles La Vieille Fontaine de François Clerc, à Maisons-Laffitte, était fabriqué chez Leblond.
A l'hôtel Meurice, à Paris, le chef 3 étoiles Yannick Alléno, créateur des cartes du Cheval Blanc à Courchevel et du Royal Mansour à Marrakech, est devenu le défenseur passionné du terroir parisien. Il a évité la disparition de modestes maraîchers installés à la périphérie de la capitale en achetant, parfois, toute leur production.
A Neuville-sur-Oise, la famille Berrurier, trois générations, cultive toujours l'asperge d'Argenteuil à pointe rosée et le chou couleur violine ; à Méréville, le long de la RN 20, Serge Barberon, 60 ans, est l'un des derniers producteurs du cresson de fontaine, culture imposée par Napoléon Ier pour endiguer le scorbut ; à Orgeval, 30 km à l'ouest de Paris, Philippe Nantois cultive ses fraisiers à l'ancienne, de plein champ. Il demeure l'un des derniers survivants des 160 maraîchers franciliens spécialisés dans la fraise en 1960.

Les petits producteurs plébiscités 

Sur la table du Meurice, l'agneau d'Ile-de-France de Vincent Morisseau anoblit le fameux navarin d'agneau printanier.
Au marché provençal d'Antibes, près de la mairie, les habitués ignorent les étals de l'extérieur pour filer vers l'allée centrale où sont regroupés les petits producteurs. On retrouve Olivier, qui propose ses cannelous parfumés à la fleur d'oranger ; les confitures de Jacqueline et Gilbert Piffero, confectionnées avec les fruits de leur verger ; le miel de Pascal Thierry, apiculteur près de Valberg, station de sports d'hiver au-dessus de Nice. Deux cents ruches, un miel toutes fleurs et une spécialité, le miel de ronces. Et le plus beau stand de légumes du marché, celui de Marielle et de sa maman, en provenance de leurs terrains et serres de Biot. Et l'huile d'olive vraiment locale concoctée par Francis Jourdan, dans ses modestes oliveraies de Puget-Théniers et de Gattières.
La revanche du terroir, puis sa victoire, est venue aussi des chefs de cuisine les plus célèbres. Face aux denrées affligeantes et sans goût venues des marchés de gros, ils se sont peu à peu tournés vers les petits producteurs aux alentours de leur établissement. Je me souviens d'Alain Chapel, il y a vingt-cinq ans. Il m'avait emmené faire une tournée de ses fournisseurs, autour de son restaurant 3 étoiles de Mionnay. Nous avions atterri dans la fermette d'un ancien facteur devenu éleveur de chèvres et fabricant d'un fromage exceptionnel. Une trentaine de bêtes, mais quel produit! Les fromages se sont vite retrouvés sur les grandes tables: Troisgros, Bocuse, la Mère Brasier... L'ancien employé des postes, qui avait offert une première chèvre à son gamin plutôt qu'un chien, trop coûteux pour la nourriture, avait trouvé sa voie. Une modeste victoire du terroir sur la production à la chaîne d'ersatz aseptisés. Et Thierry Marx, alors chef 2 étoiles du Château Cordeillan-Bages, dans le Médoc, roi de la cuisine moléculaire mais protecteur d'un des derniers éleveurs des fameux agneaux de Pauillac paissant à quelques mètres des eaux de la Gironde.
Quoi de plus simple, de plus démocratique, qu'une soupe de potiron, châtaignes et boudin noir? Ce potage est l'oeuvre d'un des plus grands chefs actuels, Guy Savoy. Plus chic, plus cher mais vraiment terroir, le hachis parmentier à la truffe noire de Jean-Pierre Vigato servi dans l'hôtel particulier d'Apicius, rue d'Artois, à Paris. Et que dire du chou farci, rustique et goûteux, du plus grand cuisinier du monde, Joël Robuchon, servi dans son Atelier de la rue de Montalembert, à Paris VIIe.
Pour la revanche du terroir, les super-étoilés sont aux avant-postes, comme Michel Rostang, 2 macarons, «inventeur» du sandwich à la truffe noire. Cher, bien sûr, mais tellement démocratique! Le goût du vrai a déferlé vers la plupart des restaurants de France. Les gesticulations des apprentis sorciers mélangeant des produits contradictoires, agitant l'«extincteur» d'azote, inventant sauces baveuses et émulsions cache-misère, se sont écroulées dans un grand flop, victimes de leur médiocrité.
Le retour du terroir a chassé les manipulateurs, les sans talent. La vérité, c'est la terrine fabriquée en Aveyron, la carotte sortie de sa terre natale dans le Val de Loire, le camembert au lait cru fabriqué à Camembert, la truffe déterrée dans le Périgord, la côte de boeuf rassie venue d'une blonde d'Aquitaine. Certains supermarchés, inquiets de cette concurrence inattendue, ont ouvert un rayon terroir. La vigilance s'impose. Se méfier des imitations. Le terroir n'est pas l'agroalimentaire. Rien n'égale les oeufs du jour ramassés à l'aube, le tendre gigot d'un agneau de pré-salé du Mont-Saint-Michel, la fleur de courgette cueillie avant l'ouverture du marché. Le terroir, c'est le coeur de la France.

Alain Ducasse: «Les terroirs, c'est notre gastronomie»
«C'est la diversité qui m'intéresse et me passionne, s'enflamme Alain Ducasse. Il n'y a pas un mais des terroirs en France. A l'Est, dans le Sud-Ouest, en Méditerranée, en Bretagne, en Aquitaine, dans le Nord.... les produits et la cuisine sont tous différents. Et il faut préserver jalousement chaque identité. Evidemment, vu de l'étranger, ça paraît compliqué mais c'est cette diversité qui fait toute notre richesse, notre force. Les terroirs, c'est notre gastronomie. Au-dessus de 20? avec une viande braisée, on est déjà dans la gastronomie de terroir. Une cuisine de terroir, c'est un sentiment populaire, accessible au plus grand nombre.»

Source: Le Figaro (http://goo.gl/kfJfG)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire