mardi 2 avril 2013

Marques distributeur et marques nationales


Plus proches que jamais du statut de marque à part entière, les MDD ne sauraient pourtant se passer des marques nationales
marketing-grande-distributionEn 2012, la part de marché des marques de distributeur ou MDD représentait quelque 38,7 %. Un véritable plébiscite au regard de l’offre pléthorique des marques nationales. Plus qualitatives mais toujours bon marché, les MDD ne se cachent plus et s’affichent en 4×3 ou font l’objet de spots publicitaires. Traitées comme des marques nationales, ces marques de distributeur peuvent-elles, pour autant, être les seules en rayon ? Non, car elles ont besoin pour exister du pouvoir de séduction que leurs homologues de référence exercent sur le consommateur déambulant dans son magasin. Elles trouveront en revanche un confortable relais de croissance dans les boutiques en ligne et les “drive” des grandes enseignes, où elles représentent souvent la plus grande part des références proposées.
Là, des œufs riches en oméga 3, donc meilleurs pour la santé. Ici, un dentifrice dépourvu de packaging, donc plus écolo. Là encore, une confiture trois fois moins chère, donc plus sympa pour le portefeuille… Prix, tendances, innovations, les marques de distributeur ne se cachent plus. Et pour cause. D’après Frédéric Vallette, directeur du département retail de Kantar Worldpanel : “Il y a 27 millions de ménages en France, et sur un total d’environ 3 000 euros dépensés par an en produits packagés, 800 euros les sont en MDD”. Sans compter que le taux de pénétration de ces marques de distributeur est de 100 %. Moralité, que l’on soit chef d’entreprise, manœuvre, célibataire, ou mère de famille nombreuse, nous avons tous, au moins une fois dans notre vie, passé en caisse un de ces produits estampillés Marque Repère, Saveurs U ou Reflets de France… Du jamais vu pour des produits de consommation courante.
Longtemps considérées comme les produits cheap de nos rayons, les marques de distributeur jouissent aujourd’hui d’autant d’attention qu’une marque nationale. Ainsi, en 2012, les parts de marché des MDD représentaient, en valeur, quelque 38,7 %. “Aujourd’hui, un produit sur deux qui passe en caisse dans nos magasins est une MDD. Dans les années 70, c’était un produit sur dix”, résume Thierry Desouches, responsable des relations extérieures de Système U.
Mais avant d’être plébiscitées par les consommateurs, les marques de distributeur ont dû convaincre, et se défaire de l’étiquette bas de gamme qui leur collait au packaging.
De l’anonymat à la consommation de masse
C’est en 1920 que la première MDD fait son apparition en France sous le nom Unico (ancien Système U). Le concept de marque de distributeur ne date donc pas tout à fait d’hier. À la fin des années 60, la MDD est dépourvue de toute fioriture : pas de marque, pas de packaging, pas de nom propre, mais une simple étiquette blanche. Le but ? Imposer les MDD comme des produits de hard discount et offrir aux consommateurs une alternative plus qu’abordable aux produits traditionnels. Mais le marketing n’étant jamais bien loin, les enseignes de grande distribution décident d’apporter une pointe de sophistication à leurs propres marques.
Le concept le “Me too” est né. En d’autres termes, des contrefaçons à peine voilées des marques nationales, mais à la qualité franchement médiocre. Finalement, il aura fallu près de 70 ans pour que les marques de distributeur accolent au mot “prix” la notion de “qualité”… et que, par ricochets, les consommateurs se laissent convaincre. De fait, les MDD sont désormais partout. Dans l’alimentaire bien sûr, mais aussi dans le textile, les meubles ou encore les cosmétiques. D’après le magazine MDD Infos de mars 2012, “si les MDD ne sont pas leaders au royaume des cosmétiques, elles séduisent de façon croissante les consommateurs et se positionnent plutôt bien dans leurs enseignes respectives : les cosmétiques occupent une part de marché de 15 % en valeur sur les ‘soins beauté’ chez Carrefour, By U 10 % sur le total ‘hygiène-beauté’ chez Système U, Labell 13 % sur le total ‘beauté’ chez Intermarché”. Mieux, plutôt que de se contenter d’une seule MDD, les enseignes jouent sur les gammes. Du produit 1er prix aux produits premium, en passant par du classique, du bio, ou encore du terroir, impossible d’y échapper. Ou quand les marques de distributeur acquièrent un statut de marque à part entière.
Comme toute marque qui se respecte, les MDD surfent désormais sans cesse sur l’innovation. À l’instar d’un Pampers qui dépose pas moins de 200 brevets pour une couche, les marques de distributeur jouent aujourd’hui et plus que jamais, la carte de la R&D. Ainsi, en moyenne, une innovation sur cinq en Europe serait une MDD. Selon XTC, en 2010, 22 % des innovations alimentaires lancées en Europe étaient des marques de distributeur. Des innovations logiquement basées sur les besoins, en permanente évolution, des consommateurs. Car si hier, la MDD rivalisait de prix bas avec le hard discount, ces produits s’orientent aujourd’hui davantage sur la tendance verte et bien-être. Après l’allégé et le bio, les géants de la distribution alimentaire font désormais de leurs marques les hérauts de la naturalité, les garants de notre santé. Des sodas à base de stevia en lieu et place du sucre, des produits sans huile de palme, sans conservateurs, sans colorants ni arômes artificiels, des jambons allégés en sel… Bref, des produits dépassant la simple notion de qualité-prix, pour viser du haut de gamme, voire les marchés jusqu’alors réservés aux seules marques nationales.
Vous voulez de l’authenticité, du terroir, du français ? Les marques de distributeur sont capables de vous en fournir. Avec quelque 11 000 références de marque U, Système U sait où sont ses priorités en matière de MDD : “Notre marque premium Saveurs U, par exemple, se positionne sur une véritable sophistication du produit. Nous avons, sous cette marque, un camembert au lait cru, ce qui n’est même pas le cas sur des marques nationales. L’idée, c’est de retrouver sur ces produits l’authenticité d’une recette et d’une fabrication locale. Et cela va évidemment bien au-delà du simple positionnement prix”, explique Thierry Desouches. Du coup, sur ces produits bien spécifiques venus jouer dans la cour des grands, les prix affichés sont presque équivalents à ceux d’une marque nationale : “Théoriquement, la différence de prix entre une marque de distributeur et une marque nationale est de l’ordre de 20 à 30 % en moyenne. En l’occurrence, sur les marques dites thématiques, les prix peuvent aussi être plus chers !” précise Frédéric Vallette. Une gamme “thématique” qui ne représente pas plus de 3 % de parts de marché. Autant dire un secteur de niche.
Mais Frédéric Vallette d’ajouter : “Ces produits sont évidemment extrêmement ciblés, d’où cette part de marché quasi anecdotique au regard des ventes de MDD au global. Mais ces produits sont néanmoins très importants pour le distributeur, dans la mesure où ils lui permettent de créer de la différenciation”. Car le risque sur une marque de distributeur est de ne parler que du prix, au détriment de la qualité. D’où l’intérêt de se différencier, à l’instar d’un Monoprix qui a, par exemple, su faire du snacking un produit aux accents premium parfaitement adapté à sa cible hyper-urbaine…
Moins cher, moins attachant ?
Et c’est ainsi que plus de 70 % des Français pensent que les MDD sont de qualité équivalente à celles des grandes marques nationales (source MDD Infos, mars 2012). Pas forcément meilleures en goût, non, mais tout au moins d’aussi bon rapport qualité-prix. “Elles sont en revanche moins bien notées sur le registre émotionnel que sur le registre factuel”, relève Frédéric Vallette. En d’autres termes, on ne s’attache pas à un pot de pâte à tartiner anonyme (ou presque) comme on s’attache à un pot de Nutella, même avec de l’huile de palme ! Cette notion d’attachement a beau être un brin subjective, c’est pourtant elle qui explique en partie que l’une des catégories les plus investies par les marques de distributeur soit les surgelés.
L’un des rares rayons dans lequel on accorde plus d’attention à la composition des poêlées de légumes qu’à la marque apposée sur le sachet. CQFD. C’est ainsi que ces dernières années, tandis que les marques nationales et leur aréopage de brevets faisaient monter en puissance la qualité et l’envie d’innovation des marques de distributeur, ces dernières en profitaient pour booster certains segments. Pour le cabinet d’analyses AC Nielsen, en 2012, les MDD représentaient 53 % des ventes de produits traiteur en France, tandis que chez nos voisins européens, 82 % des ventes d’articles de papier en Espagne, 63 % des produits pour animaux domestiques en Allemagne, ou encore 75 % des produits surgelés en Suisse, étaient couverts par des marques de distributeur.
Est-ce à dire qu’à ce rythme, les MDD devraient rapidement coloniser la totalité de nos rayons en hyper au détriment des marques nationales ? “Non ! répond sans hésitation Thierry Desouches. L’absence de certaines marques nationales dans nos rayons peut être extrêmement préjudiciable. Car ces marques créent de l’attractivité pour les consommateurs, comme Coca-Cola ou encore Nutella. Or, point de salut si vous n’en proposez pas en magasin, même si vous êtes en mesure de les remplacer avantageusement par des produits moins chers et équivalents en termes de qualité. Les marques de distributeur ne doivent donc pas être hégémoniques pour éviter de décevoir le consommateur.”
En effet, il en va de même pour le textile et la cosmétique que pour l’alimentaire : l’historique et l’affinité à une marque pèsent lourd dans les décisions d’achat. Ainsi, le profil type des consommateurs de MDD sera une famille, jeune, au pouvoir d’achat peu élevé. “Plus on est âgé, précise Frédéric Vallette, moins on achète de marque de distributeur. Il y a vraiment un aspect générationnel. Généralement, on emporte avec soi les comportements d’achat que l’on avait lorsque l’on était plus jeune. Des habitudes difficiles à effacer. C’est pour cela que les personnes âgées, plus habituées aux marques nationales, ne sont pas de gros consommateurs de MDD.” En cela, difficile pour les marques de distributeur de s’imposer totalement face aux marques nationales. D’où l’impérieuse nécessité de jouer davantage sur la profondeur de gamme, passant, pour le coup, du hard discount le plus sévère au premium le plus assumé. Un grand écart qui, manifestement, ne fait pas peur aux enseignes de grande distribution !
Une chaîne vertueuse aux marges confortables
Calquée sur la baseline des magasins U “Le commerce qui profite à tous”, les MDD, aux dires des enseignes de grande distribution, présente un intérêt pour l’ensemble de la chaîne, du producteur au consommateur, en passant, évidemment, par le distributeur. “Concrètement, les MDD sont des produits sur lesquels les marges sont plus importantes. Ce sont des produits qui ont beaucoup de qualités. Nous travaillons par exemple pour leur élaboration avec des entreprises de taille moyenne, souvent locales, ce qui nous permet de faire des prix de l’ordre de 20 % inférieurs à ceux d’une marque nationale. Mais ce qui permet aussi aux PME avec lesquelles nous travaillons de faire plus de volume. Au final, le consommateur est gagnant, puisqu’il paye moins cher des produits locaux”, explique Thierry Desouches.
Mieux, la marque de distributeur permet surtout aux enseignes de ne pas totalement dépendre des fournisseurs nationaux. De fait, pas un seul distributeur présent en France n’a en rayon que des marques nationales. “Les distributeurs font plus de marges sur leurs MDD, même si ces produits sont moins chers à la vente. Pourquoi ? Simplement parce que les marques très connues sont très bataillées en termes de prix. Conclusion, les distributeurs se doivent de les avoir en rayon, mais ils ne gagnent pas d’argent sur ces produits”, détaille Frédéric Vallette. A contrario, les MDD sont moins bataillées, elles peuvent être différentes les unes des autres, et souffrir la comparaison entre elles sans que cela ne soit un problème.
Enfin, si l’on s’en tient stricto sensu au côté marketing, la véritable valeur ajoutée d’une marque de distributeur, c’est de créer de la différence, voire si possible de la préférence. C’est le cas notamment des surgelés Picard. Cette enseigne présente la particularité de proposer en rayon 90 % de ses produits estampillés à son nom. Une MDD par excellence, un cas d’école même, puisqu’elle a su créer de la différence – on ne trouve des produits Picard que chez Picard – et de la préférence, puisque même si les produits y sont plus chers qu’ailleurs, le consommateur en redemande. Ainsi les enseignes de distribution adoptent-elles une véritable stratégie marketing digne des grandes marques – et pas seulement alimentaires d’ailleurs.
Si la MDD peut reprendre la marque de l’enseigne ou être créée spécifiquement, la plupart adoptent carrément des stratégies de largeur de gamme, proposant des MDD cœur de gamme, des MDD premier prix et des MDD par famille de produit. Exemple avec E. Leclerc qui propose entre autres : Eco+ pour le hard discount, Marque Repère pour le cœur de gamme, Nos Régions ont du Talent pour les produits traditionnels, ou encore Tissaia pour le prêt-à-porter.
Croissance molle face à la riposte
Une offre pléthorique et pourtant, depuis quelques années, les MDD connaissent une croissance un peu molle face à des marques nationales qui, elles aussi, élargissent leurs gammes et multiplient les promotions. Pour preuve, d’après le cabinet SymphonyIRI, en 2012, la part de marché des MDD dans l’Hexagone n’a crû que de 0,2 point. De fait, depuis ces dernières années, la tendance est au retour des marques. Nostalgie oblige ? Toujours est-il qu’à force de promotions, de dépoussiérage de packaging ou encore d’élargissement de gamme, les marques nationales remplissent toujours les caddies. D’après AC Nielsen, sur 11 produits en moyenne mis en caddy, un consommateur choisira 4 produits de marque de distributeur et 2 produits promotionnés.
On peut donc légitimement penser que 5 à 7 produits sur 11 sont des produits de marques nationales… La faute, notamment, à la Loi de modernisation de l’économie de 2008 qui a imposé une nouvelle concurrence sur les prix en permettant de “discounter” les marques nationales. Résultat : les hard-discounters eux-mêmes remettent en rayon des marques connues. À l’instar du géant allemand Lidl qui, dès 2008, a proposé à ses clients des produits Danone, Coca, Nesquik ou encore Nutella.
Pourtant, devant l’essor du drive (cf. encadré) et la baisse du pouvoir d’achat, les marques de distributeur semblent malgré tout avoir encore un avenir florissant. Sans compter que ce sont les trentenaires qui apprécient le plus les marques de distributeur, parce que cette génération est née et a grandi avec les MDD. Un phénomène générationnel qui, de fait, devrait lui aussi créer de l’attachement, et cette fois plus seulement à une marque connue, mais bel et bien à une marque de distributeur…
Source: Le Nouvel Economiste (http://goo.gl/kPBBa)

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