vendredi 21 mars 2014

Agriculture urbaine : ce dont elle est capable (et ce qu'elle ne pourra jamais faire)

ALIMENTATION - Qui se souvient encore qu'il y a moins de 150 ans, Paris était encore entourée de fermes, d'élevages, bref d'une ceinture agricole qui nourrissait la ville... Ou encore que deux siècles plus tôt, la capitale était parsemée de champs, et même de pâturages où paissaient vaches et cochons? Plus grand monde.
Depuis, l'invention du chemin de fer et du camion frigorifique ont repoussé l'agriculture loin des villes, et parfois même à l'autre bout du monde. Mais l'agriculture dans la ville appartiendrait-elle nécessairement au passé? Pas forcément. Alors que s'ouvre le Salon de l'Agriculture ce samedi 22 février, porte de Versailles, à Paris, les organisateurs de l'événement ont souhaité, élections municipales obligent, mettre à l'honneur ces cultures d'un nouveau genre.
Potagers sur les toits, fermes verticales high tech, jardins ouvriers du siècle dernier ou encore bunkers agricoles comme à Londres, derrière les belles promesses de ces projets en apparence enthousiasmants, l'agriculture urbaine recoupe donc des réalités diverse. Alors comment la définir?
"L'agriculture urbaine, c'est l'idée d'une agriculture tournée vers la ville, qui utilise des ressources, des déchets et une main d'oeuvre de la ville", résume Jeanne Pourias, doctorante à l'école AgroParisTech. Mais est-elle pour autant capable de nourrir la ville ou sa vocation se trouve-t-elle ailleurs? Tour d'horizon de ce que peut ou au contraire ne peut pas faire l'agriculture urbaine, exemples à l'appui.
Rendre la ville plus durable ?
L'agriculture urbaine peut le faire, c'est d'ailleurs ce qui la définit et ce qui explique sa présence de plus en plus importante dans les programmes politiques ancrés à gauche. Parce qu'ils sont localisés à proximité de ou dans un environnement urbain, les projets d'agriculture urbaine ont pour vocation de réduire les distances de transport des denrées agricoles qui sont produites et consommées sur place. À cet égard, deux modèles de fermes urbaines se distinguent.
Low tech contre high tech, à Paris, le potager sur le toit de l'école AgroParisTechinsiste sur la récupération, le recyclage et les écosystèmes. Les déchets urbains produisent un compost utilisé pour faciliter les cultures tandis que vers, insectes et champignons contribuent à entretenir et nourrir les sols. Même chose à l'AgroCité de Colombes, où des équipements servent à récupérer de l’eau pluviale, traiter biologiquement ces eaux (phytoépuration) mais aussi produire de l'énergie solaire et du biogaz. Bref, un recours au bon sens, à moindre coût.
Autre continent, autre modèle. Outre-atlantique, un nombre croissant de projets d'immenses fermes verticales voient le jour depuis une quinzaine d'années environ.
ferme verticale
Pharaoniques, l'un des plus célèbres d'entre eux est le très ambitieux projet The Vertical Farm, signé Dickson Despommier, un architecte urbaniste et écologiste, professeur à l'Université de Columbia. Si cette ferme verticale fait la part belle aux énergies renouvelables, "il y a encore beaucoup à faire pour que ce soit réalisable techniquement", analyse Jeanne Pourias.
L'objectif visé est un rendement 4 à 6 fois supérieur à celui d'un hectare de culture classique, mais le projet fait face à un obstacle de taille: son coût de production. 60 hectares de cultures verticales nécessiteraient un investissement oscillant entre 80 et 100 millions de dollars soit une fourchette oscillant entre 60 et 75 millions d'euros.
Rendre la ville autosuffisante?
Ce sera difficile. Prenons à nouveau l'exemple des fermes verticales. Comme l'expliquait récemment l'agronome britannique Erik Murchie au Guardian, "faire pousser du riz, du maïs ou du blé requiert une biomasse importante, de 5 à 12 tonnes par hectare de céréale, mais pour ce faire, il faudrait accumuler près de 20 tonnes de matière sèche en altitude dans ces fermes verticales".
Dit autrement, les céréales, une catégorie d'aliments essentiels, échappe à l'agriculture urbaine. Il en va de même pour l'élevage et ses pâturages, eux aussi gourmand en surface (à l'exception des gallinacées, à petite échelle toutefois).
Mais si elle n'est pas capable de subvenir à tous les besoins de la ville, l'agriculture urbaine s'impose comme un complément. En région parisienne, ce serait déjà le cas. "Une exploitation sur quatre est engagée dans au moins une forme de circuit-court", rappelle Jeanne Pourias. Et ça ne serait qu'un début.
Toujours à Paris, intra-muros cette fois-ci, une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) estime que la surface potentiellement végétalisable est de 320 hectares, dont 80 seraient "facilement" végétalisables. "Si l'on prend une hypothèse très simplificatrice et optimiste de 5 kilos de légumes frais par m2 sur 320 hectares, cela ferait 32.000 tonnes de légumes par an, soit quand même de quoi alimenter 230.000 Parisiens en légumes frais", remarque l'ingénieur Nicolas Bel qui a créé un potager sur le toit de l'école AgroParisTech. Pas de quoi nourrir une ville comme Paris donc, mais un potentiel à exploiter pour y contribuer.
Nous faire consommer des produits frais?
C'est le principal intérêt de l'agriculture urbaine, ce qui ne veut pas dire que toutes les espèces ont intérêt à être cultivés en ville. "La ville est surtout avantageuse pour ce qui est des légumes et des végétaux les plus fragiles, ceux qui risquent par exemple de perdre leurs qualités nutritives dans le transport", explique Nicolas Bel. Certains légumes lourds comme les carottes et les pommes de terre se conservent bien et n'ont donc pas forcément intérêt à être cultivés en ville.
À Montréal au Québec, les deux serres des fermes Lufa, installées sur des toits, cultivent plus de 50 types de végétaux parmi lesquels 22 variétés de tomates, 3 variétés d'aubergine, 2 variétés de concombre, 4 variétés de poivrons, 4 variétés de verdures, plusieurs herbes et micropousses. Environ 2 tonnes de légumes sont récoltés chaque jour. "Les semences sont choisies pour leur goût, leur texture, leur qualité nutritionnelle, mais pas pour leur capacité à résister au transport sur de longues distances", précise leur responsable de la communication Laurence Deschamps-Léger.
C'est la raison pour laquelle les projets d'agriculture urbaine les plus imposants se concentrent sur les végétaux les plus fragiles. Pour s'en convaincre, direction Chicago où un hangar abrite une ferme d'un nouveau genre. Son nom:FarmedHere (cultivé ici). Avec près de 8.400 mètres carrés de cultures hydroponiques en intérieur, il s'agit de la plus grande ferme verticale du monde. Ce qu'on y fait pousser? Essentiellement du basilique, de la salade, de la roquette.
Même chose à Singapour où les fermes verticales de SkyGreens servent à cultiver chou chinois, brocoli et salades afin de limiter la dépendance de la Cité-État aux importations de ses pays voisins.
Les fermes verticales de SkyGreens, à Singapour (suite de l'article sous la vidéo):
https://www.youtube.com/watch?v=32To1nfNx18

Proposer des légumes moins chers?
Pas forcément. Qu'il s'agisse des légumes de la Brooklyn Grange, le plus grand potager sur toit du monde, des salades de la ferme FarmedHere ou des légumes de Fermes Lufa, l'absence de transport n'est pas nécessairement synonyme d'économies. En réalité, tout dépend des projets. Et si certains ont une vocation commerciale, d'autres, à l'instar de nombreuses associations ou encore des anciens jardins ouvriers (environ un tiers de la surface maraîchère à Paris) proposent d'offrir un espace aux citadins afin qu'ils cultivent eux-mêmes leurs légumes.
Pour les avocats de l'agriculture urbaine, créer de nouvelles surfaces cultivables a un but: garantir l'accès à une alimentation de qualité pour tous les citadins: "On sait que lorsque le pouvoir d'achat diminue, les fruits et les légumes sont les premiers aliments à disparaître du régime alimentaire tandis que, d'autre part, les disponibilités alimentaires moyennes à l'échelle d'un pays ne présagent pas de la bonne répartition de ces aliments, ni de la bonne santé de ses habitants", explique Jeanne Pourias.
Dans certains cas, les fermes urbaines remplissent une fonction alimentaire de base. En totale déshérence, la ville de Detroit s'est imposée
Créer du lien social
Là encore, il convient de distinguer les projets à vocation commerciale, et ceux qui s'intègrent dans un véritable projet de société. À Montreuil par exemple, le jardin partagé de l'Association des femmes maliennes permet à ces femmes souvent isolées de se réunir autour d'un projet commun. Au-delà de cette fonction sociale, ces jardins communautaires, plusieurs centaines en France, permettent de partager savoir-faire et connaissance. "S'approprier son alimentation, éduquer les enfants, il y a une véritable fonction pédagogique", remarque Jeanne Pourias.
Jardins pédagogiques... ou encore thérapeutiques. Le plus souvent attachés à des établissements accueillants des personnes âgés, ils permettent de stimuler les patients atteints de la maladie d'Alzheimer. "Le goût et l'odorat sont de puissants moteurs de mémoires", remarque l'ingénieur Nicolas Bel, qui installera dans quelques semaines l'un de ces jardins au Centre Robert Doisneau, à Paris. Hébergeant un EHPAD ainsi qu'un Institut médico-éducatif (IME), le jardin accueillera également des enfants autistes. "Ils n'ont souvent pas de sens du temps qui passe, voir pousser des plantes et des légumes les aide".
Diversité des finalités, diversité des formes, loin d'être uniforme... "Là où l’agriculture urbaine peut aider, analyse Jeanne Pourias, c’est à mon avis dans cette offre de proximité, adaptée aux contextes économiques, culturels, etc, dans lesquelles elles voient le jour… Et la diversité de ces formes est un atout parce qu’il n’y a pas de solution unique, mais plein de petites solutions qui peuvent permettre de résoudre certains problèmes, dans certains contextes", conclut-elle.

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