Elle est belle, elle est verte, ma conserve, vantent les industriels. Ni chaîne du froid pour la maintenir consommable, ni transport aérien pour l’acheminer en urgence vers les rayons des supermarchés… La conserve a, pour elle, le luxe du temps. Certes, parce qu’elle est composée d’aluminium ou d’acier pour les boîtes, de verre pour les bocaux – deux matériaux produits à grand renfort d’énergie – son impact sur l’environnement n’est pas nul, loin s’en faut. Sauf que la conserve a un atout de poids : constitué d’un seul matériau, elle est aisément recyclable. Et souvent recyclée : à hauteur de 71% en Europe pour l’acier, 58% pour l’aluminium selon un document publié par l’Union pour la promotion des industries conserve appertisée (Uppia) et 68% pour le verre.
Elle est pas belle, ma conserve ? Les Français ne la boudent pas puisqu’ils en boulottent 50 kg par habitant chaque année. Au palmarès des produits consommés par les ménages : les légumes (63%), les plats cuisinés (15%), les fruits (13%) et les poissons (7%). Mais voilà, ce jour de février, dans une salle perchée dans les étages du salon de l’agriculture, l’institut TNS-Sofres présente les conclusions de son enquête sur la consommation de conserves. Et elles sont loin d’être réjouissantes. « La perspective pour 2017 est un ralentissement de la croissance », souligne l’une des auteurs de l’étude.
Bisphénol A, mauvais goût, pas de pitié pour la conserve
Il faut dire que la conserve s’est forgée récemment une vilaine réputation. Sur la boîte de métal ou le couvercle du bocal, des résines époxydes sont chargées de créer une barrière étanche entre l’aliment et le métal. Or, celles-ci contiennent du bisphénol A, un perturbateur endocrinien. Des substituts existent mais sont encore cantonnés aux paillasses. Rassurez-vous, le BPA devra être banni dès le 1er janvier 2015 de tout contenant alimentaire.
Mais plus que la préoccupation sanitaire, ce sont « les qualités nutritionnelles et le goût [qui] restent les principaux freins à l’achat de conserves », souligne l’enquête de TNS-Sofres. Pourtant, les industriels l’affirment haut et fort : il est loin le temps des haricots mous que vous repoussiez d’un doigt de fourchette à la cantine. « Aujourd’hui, les conserves n’ont plus rien à voir. On module les températures pour une moindre détérioration gustative, on a des procédés de vapeur puis de refroidissement sous vide. Et puis, il y a plus de diversité dans les recettes », souligne Laurence Silbert, déléguée générale de l’Uppia. Le souci d’une réputation c’est qu’elle est souvent tenace. Et celle-là ne date pas d’hier.
La meilleure alliée des armées
La conserve est née en 1810 dans l’arrière-boutique d’un confiseur champenois, Nicolas Appert. Après plusieurs essais, l’homme arrive à la conclusion – sans en comprendre la raison – qu’il lui faut, d’une part, chauffer les aliments, d’autre part, les placer dans un récipient hermétique. Le principe de l’appertisation ainsi découvert, l’homme en trace les grandes lignes dans L’art de conserver, pendant plusieurs années, toutes les substances animales et végétales numérisé aujourd’hui par Google. Très vite, son invention intéresse la marine impériale.
Mais le succès du procédé viendra surtout au détour de deux autres inventions : la découverte, par Pasteur, des microbes qui en expliquent enfin le fonctionnement, puis le développement de la métallurgie. « La difficulté de Nicolas Appert, c’était de boucher ses bocaux. En bon champenois, il utilisait des bouchons de liège comme pour le champagne mais ce n’était pas parfait. La métallurgie invente la boîte métallique avec un sertissage », précise Agnès Bernardin, directrice d’Unilet, l’interprofession des légumes en conserve et surgelés. Les guerres successives finiront de pousser le succès de la conserve qui devient la meilleure alliée des régiments dans les tranchées. Après l’armée, la conserve gagne le monde civil : « Dans les années 1950, la population urbaine augmente, les activités des femmes se développent. Il faut approvisionner les villes. Alors la conserve se développe partout en Europe », poursuit Agnès Bernardin.
L’outil de la mauvaise mère
Mais de cette époque, la conserve a gardé une encombrante image. « Dans les années 1960-1970, la conserve était vue comme un produit de guerre. Cette image militaire est restée longtemps », souligne Agnès Bernardin. Plus tard, dans les foyers, la boîte est très vite devenue synonyme de flemme : « Ouvrir une boîte, entre les années 1970 et jusqu’en 1995 environ, ça voulait dire “je suis une mauvaise mère”. Même chose pour une femme qui donnait des petits pots – c’est-à-dire des conserves ! – à ses enfants. Mais ça change. La femme a de moins en moins ce rôle de nourrir sa famille, les hommes participent plus, le temps consacré à la cuisine baisse tandis que les loisirs progressent. Et on assume mieux », poursuit la professionnelle. On assume mieux, même si la gène persiste. « Il y a une sur-déclaration des achats de frais, une sous-déclaration des achats de conserve », précise Laurence Silbert, de l’Uppia.
Alors les industriels planchent depuis plusieurs années pour redorer son image. De fraîcheur d’abord pour les poissons ou les légumes. « Depuis dix, quinze ans, on précise que derrière chaque légume, il y a un agriculteur qui travaille, qu’il s’agit d’un bon légume frais, parce qu’on le conserve vite », assure Agnès Bernardin. En effet, la mise en boîte – ou en bocal - doit se faire en moyenne dans les 4 heures suivant la cueillette. Aussi, « les conserves conservent 70% des vitamines, assure Laurence Silbert. Rien ne vaut évidemment un produit frais mais entre le moment où il est récolté et celui où il est stocké en magasin, il peut y avoir une déperdition assez importante. »
Frais mais aussi bon pour l’environnement, assurent encore les industriels. Pour limiter les coûts, pas de serre pour les légumes qui doivent finir en conserve, les produits sont cultivés en saison et en plein champ. Et le bio dans tout ça ? « C’est 2,3%. Ça reste assez confidentiel parce que la demande est moindre », assure Laurence Silbert. Un taux qui pourrait grossir avec la demande de plus en plus importante de la restauration collective – notamment des cantines scolaires – pour le bio.
La conserve sort du placard
Reste l’image de la mauvaise mère. Là aussi les choses progressent selon Laurence Silbert : « On est resté un achat de placard pendant longtemps. Mais on est en train d’en sortir. La conserve devient davantage une alliée pour préparer un plat qu’un produit de dépannage. » Mais le défi n’est pas encore gagné. « On est passé d’un objectif de sécurité alimentaire – il fallait nourrir les gens sans les intoxiquer – à de la qualité. Aujourd’hui pour garder un consommateur, il faut lui donner quelque chose qu’il ait envie de manger », précise Agnès Bernardin. Lors de la conférence, la chercheuse de TNS-Sofres a bien une petite idée : « Il faut créer un lien avec l’authenticité, le fait maison. » Après tout, la conserve fut autrefois ce bocal que nos grands-mères emplissaient de haricots et de petits pois pour s’en nourrir l’hiver venu. Les industriels oseront-ils sauter le pas ?Source: TerraEco (http://goo.gl/J3w4me)
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