mercredi 11 juillet 2012

Grande distribution, grand gaspillage

En France, chaque année, la grande distribution jette 600 000 tonnes de denrées alimentaires périssables comme l’attestent ce reportage dans un centre Leclerc et le secrétaire national de l’INDECOSA CGT. La LME (loi de modernisation de l’économie) y est pour beaucoup dans cette pratique.
ENTRETIEN:
La Terre : Quelle est la tendance actuelle concernant la grande distribution et les associations caritatives ?

Arnaud Faucon, secrétaire de l’INDECOSA CGT :



Auparavant, les produits encore consommables étaient facilement redistribué vers les associations caritatives. Or, aujourd’hui, cette règle devient de plus en plus facultative, en fonction du bon vouloir du gérant du supermarché ou de l’hypermarché. Il faut savoir que des enseignes comme Leclerc sont franchisées, affiliées à une maison mère. Vous avez désormais un chef d’entreprise qui gère son magasin, et qui agit comme bon lui semble. Alors beaucoup s’appuient sur les normes sanitaires et sécuritaires. Les fruits et légumes qui atteignent la limite de conservation sont imbibés de produits vaisselle plutôt que d’être redistribués. Mais, derrière cette sécurité sanitaire, se cachent des intérêts économiques.

De quels intérêts économiques parlez-vous ?

Tout le système français et européen est basé sur la concurrence. La solidarité, y compris par rapport à des produits carnés, n’entre pas dans ce créneau. Les produits qui arrivent en fin de course sont jetés, ce qui évite de les vendre à prix coûtant, et par conséquent, de maintenir le prix avec des marges conséquentes. Le plus flagrant dans ce gaspillage opéré par les grandes surfaces, c’est les prix des fruits et légumes. On maintient une marge extrêmement élevée, aux alentours de 51%. Et d’un autre côté, les primeurs sont achetées une bouchée de pain aux producteurs. Peu importes les cataclysmes économiques liés par exemple aux aléas climatiques. Dans la même logique, l’Europe voulait réduire l’allocation au programme d’aide alimentaire. Un sursis de deux ans a finalement été accordé, grâce à la montée au créneau des associations humanitaires. Aujourd’hui, c’est clair : le social est systématiquement apparenté à de l’assistanat.

Vous pensez que si la grande distribution n’opérait pas ces marges si importantes sur les prix, le gaspillage serait en partie évité ?

Oui. Actuellement, nous assistons à une surproduction de pommes. Comment pouvez-vous justifier le fait que les enseignes achètent ces pommes à des prix extrêmement bas et que ces mêmes produits se retrouvent dans les grandes surfaces à plus de deux euros le kilo ? Nous vivons une véritable dictature des centrales d’achat. On nous dit qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Bien. Mais quand vous êtes surendettée, que vous devez élever seule vos enfants, ce n’est pas votre achat prioritaire ! Les grandes surfaces, elles, préfèrent bazarder des tonnes de produits plutôt que d’instaurer des prix qui permettraient à tous d’acheter. Résultats : 600 000 tonnes de denrées alimentaires dites périssables sont ainsi jetées tous les ans.

Cette tendance ne fait qu’augmenter...

Bien sûr. Les centrales d’achats telles que nous les connaissons aujourd’hui sont nées il y a une cinquantaine d’années en Bretagne, avec le groupe Leclerc. Et la première de leurs actions a été de casser tout le système de marché de gros qui existait alors. Désormais, à part Rungis, tous ces marchés ont disparu. Leurs avantages étaient pourtant indéniables : vous aviez des productions locales, régionales qui arrivaient et étaient ensuite dispatchées avec des prix raisonnables. Aujourd’hui, 85% des ventes se font par les grandes surfaces qui font la pluie et le beau temps. Une hégémonie tellement puissante que dans les centrales d’achat, les enseignes rechignent ou refusent de donner des informations à l’Observatoire des prix et des marges. Les prix des fruits et légumes de l’Observatoire ne concernent alors que ceux des marchés de gros et comme il n’en existe que très peu...

Vous parlez également de revenir à la saisonnalité des produits, à la qualité. Selon vous, cela permettrait également d’éviter le gaspillage. Pourquoi ?

L’exemple le plus démonstratif est celui de la banane. Un kilo de banane est beaucoup moins cher que celui de la pomme, alors qu’il faut aller les chercher à des milliers de kilomètres. Ce ne sont pas des bananes des Antilles, mais d’Afrique. Là, on est peu regardant sur les méthodes de production, les pesticides employés. Les produits voyagent dans des conditions extrêmement discutables. Les bananes sont conservées dans des frigos elles ne sont pas mûres lorsqu’elles arrivent en France. On peut constater la même chose avec les nectarines : le fruit est dur lorsque vous l’acheter et lorsqu’il arrive à maturation, il pourrit tout de suite. Ces produits sont achetés dans des quantités considérables. Et les prix sont tellement bas que les grandes surfaces peuvent bien perdre la moitié de la marchandise, de toute façon, elles auront gagné de l’argent. Cette logique accorde très peu de valeur au produit que l’on vend. La nourriture n’est autre qu’une valeur commerciale avec un système concurrentiel, comme si on passait d’un contrat téléphonique à un autre. Alors que si vous agissez sur la qualité, forcément, les produits ne seront plus jetés comme aujourd’hui.

Que proposez-vous ?

Il faut une loi qui encadre réellement les produits et qui permette de ne plus gaspiller. Surtout, elle devrait retrouver un aspect moral. Nous participons au groupe de travail initié par le député André Chassaigne (PCF). Un groupe parlementaire réuni des représentants de la production, des associations de consommateurs. Nous réfléchissons aux moyens à mettre en œuvre afin d’amenuiser cette omniprésence de la grande distribution et la pression qu’elle exerce sur l’ensemble de la filière, du producteur au consommateur. Il faut inverser la tendance. Les enseignes suscitent les besoins du consommateur de manière artificielle. Les gens consomment des fraises en janvier car progressivement, on a fait entrer ce produit dans leur assiette. On conditionne la population. Il y a un aspect culturel indéniable. Il faudrait dès l’école avoir des discussions autour de cette problématique. Le laisser faire des pouvoirs publics sur cette question est extrêmement dangereux. Il engendre tous les gaspillages constatés aujourd’hui.

40% de la nourriture produite gaspillée:
Selon un rapport pour l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Onuaa), 40% de la nourriture produite est gaspillée chaque année dans les pays développés. Des chiffres choquants lorsque l’on sait que 13% de la population mondiale ne mange pas à sa faim.

 La quantité de nourriture produite mais non consommée dans le monde est trois fois plus importante que ce qu’il manque au milliard d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim. Ainsi, 40% de la nourriture produite dans les pays développés n’est jamais mangée par des humains. C’est ce que révèle dans son rapport l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Dans les pays riches, le gaspillage est essentiellement dû au circuit de distribution. Les distributeurs prennent peu de risque avec les dates de préemption, jettent ou refusent les produits qui ne sont pas visuellement parfaits - un poireau tout à fait consommable mais flétri devient un déchet - et imposent aux producteurs d’énormes marges sur les prix. Une politique qui a de lourdes conséquences (lire la rencontre page 5), visible du tout public lors de crises agricoles. Par exemple, pendant la crise du lait d’octobre 2009, des producteurs français et allemands ont déversé des centaines de litres de lait dans le Rhin afin de protester contre les prix fixés par la grande distribution, qui ne permettent pas d’amortir leurs coûts de production. D’énormes quantités de nourriture sont également perdues au cours des processus de transformation des aliments, lors de leur transport. Le gaspillage coûte 530 euros par an aux foyers anglais, 174 euros à ceux de Belgique. En Allemagne, deux millions de tonnes de denrées alimentaires par an sont jetées aux ordures. Pour Jean-Marc Willer, professeur à l’école nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg. « Le problème du gaspillage alimentaire est englobé dans celui des déchets fermentescibles. Et si l’on manque de données, c’est que la question des déchets fermentescibles se pose uniquement en aval, en non en amont. Les politiques publiques et les études réalisées ne cherchent par à savoir d’où proviennent ces déchets, mais plutôt ce qu’on en fait ». En d’autres termes, les pouvoirs publics ne veulent pas trop mettre leur nez dans un secteur orchestré par de puissants lobbyings. Ils préfèrent culpabiliser le consommateur en s’attardant sur le contenu de sa poubelle. Dans les pays les plus pauvres, une très grande quantité de nourriture est perdue avant même d’avoir pu être consommée. En fonction du type de culture, de 15 à 35% des produits alimentaires sont perdus directement dans le champ, 10 à 15% supplémentaires sont perdus au cours de leur transformation, du transport et du stockage. L’alimentation représente l’une des premières sources d’émission de gaz à effet de serre. Depuis la production jusqu’au traitement des déchets, le cycle de vie et la nourriture d’un Français représente en moyenne environ 20% du total de ses émissions quotidiennes.
par Nadège Dubessay.

Source: http://goo.gl/WX66A

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire