mercredi 18 juillet 2012

La Ferme urbaine : le luxe de la cohérence, la nécessité de l'utopie

A Bruxelles, l’association Le Début des Haricots a développé la Ferme urbaine afin de sensibiliser le public de la grande ville à l’obligation vitale de modifier ses choix alimentaires. Afin de donner aussi le goût de la terre à ceux qui ne l’ont jamais connue mais qui pourraient pourtant se rêver un jour maraîchers. Restera alors, au-delà de l’utopie, à trouver la terre à cultiver et la formule improbable qui lui permettra de faire vivre son homme… La qualité alimentaire, effrayant paradoxe, est pourtant à ce prix !

Place Emile Bockstael, je monte dans le bus 53 jusqu’au Wimpelberg, à quelques jets de pierre de l’Hôpital militaire de Neder-Over-Hembeek. La Ferme urbaine est là, juste à côté, sur un terrain agricole cédé par la Ferme Nos Pilifs, dans le bois du Béguinage. Une surface d’un hectare environ appartenant à la Ville de Bruxelles et mise à disposition dans le cadre d’une convention… L’association Le Début des Haricots l’a équipée de deux grands tunnels en plastique et de quelques baraquements. A deux pas de là, de grandes grues tournoient sur elles-mêmes et construisent encore dieu seul sait quoi. De flots de voiture passent inlassablement sur la rue Bruyn sans se soucier le moins du monde du légume qui pousse. Deux logiques se côtoient qui ne peuvent pas se comprendre…

Un chantier ouvert à tous

Aujourd’hui, ce n’est pas là que ça se passe mais sur un autre terrain situé à cinq minutes à pied, au-delà d’un joli lotissement très ‘Belgique de grand-papa’. J’aperçois une grappe de gens qui s’affairent autour d’une kassine, labourant avec ferveur sous le ciel striés d’avions qui vont et viennent autour de Zaventem. Quatre stagiaires et leurs formateurs, entourés d’une poignée de bénévoles, préparent le terrain qui doit accueillir une culture d’oignons. J’engage la conversation avec Bram Taks, un des formateurs du Début des Haricots, sous le bourdonnement souvent assourdissant des grosses bêtes volantes auxquelles malheureusement le Cruiser ne fait rien ! Bram parle bas, mais avec passion.

« C’est notre rôle, dit-il, d’accueillir tout ceux que le maraîchage intéresse et qui cherchent à s’initier ou, tout simplement, à retrouver un contact avec la terre. A défaut de proposer ici un projet économiquement viable, nous devons au moins ouvrir nos portes à tous. Tous ceux qui veulent venir travailler un peu avec nous sont donc les bienvenus… Notre force c’est que, dans un tel contexte, nous pouvons vivre à fond notre utopie ! »

La Ferme urbaine s’inscrit dans un projet d’économie sociale, dans le cadre d’un Programme de Transition Professionnelle, prosaïquement dénommé PTP. Les Wallons, eux, nomment cela Entreprise de Formation par le Travail, et parlent donc d’EFT… Ces projets ont pour but de former des stagiaires et de les remettre à l’emploi. La ferme s’inscrit donc dans un concept d’agriculture à échelle humaine et paysanne, basée sur la production de produits – légumes et fruits – à haute valeur ajoutée, mais également dans l’esprit du Réseau des Acteurs Bruxellois pour l’Alimentation Durable, le RABAD, qui entend promouvoir l’alimentation durable auprès d’un public large et varié en Région bruxelloise, en vue d’encourager une modification des choix et modes alimentaires favorables à un développement durable et de faire connaître les enjeux des modes de consommation sur l’environnement, la santé, le développement…

« Nous avons fait vingt-cinq paniers de légumes l’année dernière, poursuit Bram, distribués via le Rézo des GASAP – www.gasap.be – et notre objectif est d’en faire cinquante cette année. Nous allons reprendre la livraison au mois de mai et nous tenterons de tenir le plus tard possible, sans doute jusqu’en janvier. Nous ne faisons aucune revente ; nos paniers contiennent exclusivement notre propre production, si l’on veut bien excepter quelques topinambours que je vais chercher chez un ami… »

Formez des maraîchers, il en restera toujours quelque chose…

L’utopie qui attire vers elle ces couragers maraîchers est de devenir une pépinière… à maraîchers ! « Les trois problèmes que nous avions identifiés au début du Début des Haricots, explique Bram, sont l’accès à la terre, la vente des légumes que nous produisons et, enfin, la formation professionnelle. La création de Terre en Vue – voir page 30 – va permettre de s’attaquer au premier problème, le Rézo des GASAP s’occupe du second en s’efforçant de changer l’alimentation des gens dans la ville et de les détourner de produits dont les prix sont fixés par le marché mondial. Reste à approvisionner ces GASAP en produits de qualité… Et, si nous voulons des légumes, quoi de plus normal que de former des maraîchers ? »

Et puisqu’ils s’agit de les former, au sens fort du terme, le formateurs du Début des Haricots prennent le parti de leur faire vivre les choses de manière optimale. « Nous faisons nos plants nous-mêmes, nous nous efforçons vraiment d’être autonomes à tous points de vue, dit Bram… Cette recherche de la pratique idéale fait que nous ne pouvons évidemlment pas être complètement rentables. Moi, je travaille ici à mi-temps et, le reste du temps, je fais du maraîchage à Bouge, près de Namur. Je me rends donc compte à quel point il est difficile de pouvoir en dégager de quoi de vivre ; il est beaucoup plus simple d’acheter des légumes à un grossiste et de les revendre, tout simplement. Ce n’est pas l’esprit que nous défendons ici, mais nous savons que nous ne pouvons faire cela que parce que nous ne sommes pas directement soumis à des contraintes économiques. C’est une richesse, à condition de bien faire comprendre à nos stagiaires que, s’ils veulent avoir une chance de s’en sortir en tant que maraîchers professionnels, ils devront faire tout seuls l’équivalent du travail que nous faisons tous ensemble à la ferme ! Certains y arrivent… Un maraîcher seul, théoriquement, doit pouvoir produire un hectare de cultures… »

Ils le savent pertinemment ! A un moment donné, le stagiaire qui voudra s’installer à son compte devra faire le choix : soit devenir professionnel et productiviste, soit continuer à rêver en produisant juste pour lui-même… « Ici, au sein de l’association, nous devons continuer à cultiver un idéal et à poursuivre notre utopie, affirme fièrement Bram. Nous avons la chance d’avoir une première fournée de stagiaires – rémunérés et envoyés par Actiris, l’équivalent bruxellois du Forem – qui sont très motivés. A nous d’être à la hauteur de leurs espoirs… »

En recherche permanente de terres…

Près de la Ferme Nos Pilifs, la Ferme urbaine dispose d’une trentaine d’ares en cultures hors serres et d’environ cinq ares sous serres. Ces terrains sont cultivés pour la troisième fois déjà et l’enrichissement constant en matières organiques rend la terre toujours plus excellente… Mais Bram pense à autre chose… « La génération d’agriculteurs qui quittent aujourd’hui le métier se font une pension royale car ils vendent leurs terres pour faire des lotissements, s’emporte-t-il, et cela ne fait que compliquer la tâche de ceux qui veulent s’installer, tant les possibilités se réduisent. Nous cherchons donc en permanence des terres à cultiver en ville, nous ouvrons bien grands nos deux yeux, nous prospectons sans relâche, nous prenons des renseignements… Ce terrain-ci a été loué pour quelques dizaines d’euros par an, deux parcelles d’environ vingt ares que nous avons trouvées par l’intermédiaire d’une personne qui y mettait son cheval. Mais la tâche n’est pas simple car c’est un sol qui n’a jamais été travaillé. Nous l’avons labouré avec les gros chevaux ardennais de la Ferme Nos Pilifs et nous faisons le reste avec notre kassine et nos deux ânes… Nous sommes dans une cuvette et le terrain est assez humide…. Mais, à la base, le maraîchage, ce sont des cultures qu’on fait dans les marais, pas vrai ? »

Bien sûr, un professionnel ira chercher une machine, trouvera des solutions efficaces pour remédier rapidement à son problème. Ici, si la kassine ne va pas exactement jusqu’au bout de la parcelle, les stagiaires terminent le boulot à la bêche… »Bien sûr, concède Bram, cela n’a guère de sens si la finalité est de vendre la production pour en vivre. Il faut le savoir et il faut que les stagiaires s’en rendent compte. Le tout est de bien comprendre si on se situe dans une logique de production ou si on recherche un maximum de cohérence par rapport à un idéal, un maximum de plaisir à travailler la terre et à le faire avec les animaux… »

Une demande sans cesse croissante…

Dans le lointain, quelques fermiers s’affairent autour de leurs gros tracteurs… « Là, ce sont des Flamands, sourit Mathieu Dohmen, l’autre formateur. Ils sont sur Vilvorde car la frontière linguistique passe juste au beau milieu de notre terrain. Mais ils viennent de plus loin encore, de Dilbeek, je crois… »

Alors, Mathieu, beaucoup de boulot en perspective ? « La ville est un tissu extrêmement dense, répond-il. Le travail de sensibilisation peut rapidement se faire à très grande échelle et il porte très rapidement ses fruits. Ailleurs, les gens réfléchiraient avant de faire beaucoup de kilomètres pour travailler tous les jours sur une ferme. Alors qu’ici, les bénévoles sont de plus en plus nombreux, la demande est de plus en plus forte. Le public est en recherche de techniques et de savoir-faire, mais aussi d’une activité qui a réellement du sens et d’une immersion crédible dans le monde de la production agricole. Les Bruxellois aspirent naturellement à se mettre au vert… »

Mais sera-t-il possible de répondre à tous ?

Dominique Parizel, Nature & Progrès Belgique
Article publié dans la revue Valériane (n°95, mai-juin 2012) de Nature & Progrès

Source: http://goo.gl/Kr8Em

1 commentaire:

Régis a dit…

RL : ok mais sans plus pour moi

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