Avec le développement des circuits courts, même un citadin n’ayant jamais vu une ferme de sa vie peut manger local. Ces formes plébiscitées de commercialisation n’ont pas toutes la même cible, elles sont plus ou moins écolos et doivent avant tout être rentables pour les producteurs. Rue89Lyon s’est intéressé aux popositions faites dans l’agglo lyonnaise, et ouvre une série de reportages.
Exploitation à Saint-Martin-en-Haut. (Crédit : JEM/Rue89Lyon)
« J’en ai marre de bouffer de la merde. Avec Carrefour et compagnie on ne sait vraiment plus ce qu’il y a dans ce qu’on achète ».
Des réflexions comme celle de ce Lyonnais, entrant dans un magasin de produits locaux à Solaize, les agriculteurs et éleveurs en entendent souvent ces temps-ci. Crise économique, scandale de la viande de cheval, les consommateurs seraient tentés de se détourner des grandes surfaces pour privilégier les circuits courts.
Fondés sur le lien direct avec un producteur local ou avec un seul intermédiaire, ces modes de commercialisation ont le vent en poupe. Mais ils sont tout sauf nouveaux et la vente à la ferme ou sur les marchés, formes traditionnelles de circuit de proximité, trustent toujours le secteur.
Depuis 10 ans, dans les zones urbaines, elles sont relayées par des formes de commercialisation plus adaptées aux citadins qui rechignent à se rendre directement dans les exploitations agricoles pour faire leurs emplettes. Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), systèmes de distribution de paniers de produits frais, magasins de producteurs locaux ou encore épiceries, l’agglomération lyonnaise fait figure de bon élève des circuits alimentaires de proximité.
Rhône-Alpes, région « branchée »
Avant d’être banchée sur les circuits courts, Rhône-Alpes, avec près de 40 000 exploitations agricoles, est surtout la deuxième région de France, derrière l’Aquitaine, en termes de nombre d’exploitations. Et si l’on affine en ne prenant en compte que les exploitations bios, Rhône-Alpes décroche la première place.
Abritant surtout des exploitations de taille moyenne, et donc une plus grande diversité de produits, la région est en pointe à plusieurs égards, selon Séverine Saleilles, chercheuse qui a participé au projet Liproco sur le lien entre producteurs et consommateurs :
« Rhône-Alpes est l’une des régions les plus avancées mais il faut dire qu’elle est présente depuis longtemps sur le terrain des circuits alternatifs. C’est par exemple la région dans laquelle on trouve le plus de points de vente collectifs de produits locaux ».
C’est à Mornant, au nord du Rhône que s’installe en effet Uniferme, le tout premier point de vente collectif de France, en 1978.
Dans une étude sur les circuits courts en Rhône-Alpes fondée sur les données du dernier recensement agricole (2010), la chambre d’agriculture décrit une région « branchée » production et distribution locale. Le tiers des exploitations y utilise ces circuits courts et dans le Rhône la proportion monte à 44 %.
Ceinture verte et proximité du consommateur
Cette situation particulière du Rhône s’explique aisément par sa géographie. L’agglomération lyonnaise et son importante clientèle potentielle est entourée de bassins de production qui forment une ceinture verte composée en majorité de petites exploitations (que ce soit en termes économique ou de superficie). Petites exploitations qui, quand elles font du circuit court, en tirent une partie importante de leur chiffre d’affaires et sont plus créatrices d’emplois.
Schématiquement, dans le Rhône, on trouve de la viticulture (au Nord), de l’élevage (au Nord-Ouest), de la production laitière (à l’Ouest), de l’arboriculture et du maraîchage (disséminés un peu partout avec une forte présence au Sud-Est).
Carte des types de productions en Rhône-Alpes (Chambre d’agriculture)
En plus de la diversité des cultures autour de son agglomération, Lyon abriterait une clientèle réceptive aux circuits de proximité, selon Marie-Odile Fondeur, adjointe au commerce à la Ville de Lyon :
« Par rapport à la moyenne nationale, le potentiel d’achat est double. Cela vient à la fois des traditions gastronomiques et des habitudes de consommation, tournées vers des produits de bonne qualité ».
Et la tendance bien suivie par les producteurs serait au renforcement du côté des consommateurs selon le rapport de la chambre d’agriculture :
«Les chefs d’exploitation en circuits courts se tournent vers les formes et les pratiques qui leur permettent une meilleure valorisation et une diversification de leur activité. Ainsi leurs produits sont plus souvent signes officiels de qualité, bio compris, qui correspondent à une demande croissante des consommateurs ».
« Tous les élus veulent un maraîcher bio en circuit court »
L’attrait du consommateur pour les circuits de proximité reste difficilement mesurable. Ce qui l’est en revanche c’est l’engouement des élus et des institutions pour ce mode de commercialisation qui, à défaut de détrôner les grandes surfaces, recueille les suffrages des électeurs. Mathieu Novel, animateur territorial agricole à la chambre d’agriculture :
« Tous les types de circuits courts ne sont pas viables pour tous les agriculteurs. Cela dépend du produit, du mode de production, de la concurrence. Mais on ressent bien que le circuit court est à la mode. Tous les élus veulent un maraîcher bio pour fournir une AMAP ou plus récemment des cantines scolaires ».
Et ce n’est pas Marie-Odile Fondeur, « à fond sur le circuit court », qui le contredira :
« Chaque fois qu’on le pourra, on favorisera le circuit court dans les nouveaux marchés et appels d’offres. Il faut aussi favoriser les commerces ambulants comme les food trucks qui circulent dans la ville là où il n’y a pas de commerces sédentaires ».
En substance, le circuit de proximité est tendance et serait « écologiquement responsable » selon l’élue. Sur ce point l’ADEME a rendu un avis tout en nuances en 2012 qui revient sur l’idée que les circuits courts sont nécessairement bons pour l’environnement.
« Si dans le cadre des circuits courts, les produits parcourent une distance plus faible, les consommations d’énergie (…) ne sont pas (…) systématiquement plus faibles. En effet, les émissions par kilomètres parcourus et par tonne transportée sont environ 10 fois plus faibles pour un poids lourd de 32 tonnes et 100 fois plus faibles pour un cargo trans-océanique que pour une camionnette de moins de 3,5 tonnes, car ils permettent de parcourir de plus grandes distances avec un impact gaz à effet de serre équivalent. »
Un constat qui ne tient que si l’on résonne à court terme selon Véronique Hartmann, chargée de mission Espaces agricoles au Grand-Lyon :
« Parfois, du point de vue de l’impact climatique, il vaut mieux manger une pomme venue du Chili que de l’exploitation d’à côté. Mais il faut aussi penser à préserver l’agriculture de proximité, en faisant en sorte de limiter l’empreinte écologique plutôt que d’avoir à la reconstruire dans 15 ans. »
Mieux qualifier la demande pour éviter les subventions inefficaces
Pour l’instant, l’aide au développement des circuits de proximité a surtout pris la forme de subventions.
Le PSADER-PENAP du Rhône, qui organise le soutien à l’agriculture finance en partie des études de faisabilité et des projets. Celui de la reprise de la Halle de la Martinière par le groupe des Producteurs du goût ou encore la meilleure identification des producteurs qui ont du mal à être différenciés des revendeurs sur les marchés du département.
L’Etat également, à travers le Fonds agricole européen pour le développement rural (FAEDER), à octroyé 465 000 euros à la région Rhône-Alpes sur la période 2007-2013. Mais les aides n’ont pas toujours l’effet escompté.
Dans le Rhône, des producteurs de lait ont notamment bénéficié de 33 000 euros d’aides pour acheter des machines permettant la vente directe de lait cruen 11 endroits du département du Rhône. Après 4 ans d’existence le bilan est plus que mitigé et la plupart des producteurs concernés expliquent ne pas écouler suffisamment de lait pour que ce soit rentable.
Un distributeur automatique de lait cru à Sainte-Foy (Crédit : Ugo Moret)
D’ailleurs le PSADER PENAP (2010-2016) souligne un manque de connaissance :
« Les relations entre filières agricoles, aménagement du territoire et politiques publiques sont relativement peu étudiées ».
D’où certainement, cette étude commandée à la Chambre d’agriculture du Rhône pour mieux cerner les formes de circuits courts et leurs débouchés réels. Un document en forme de promesse, comme le suggère Mylène Volle de la direction départementale du Rhône :
« En lien avec le Grand-Lyon, l’Etat accompagne la Chambre dans une étude qui devrait permettre de voir comment mieux s’organiser en qualifiant de manière plus précise l’offre et la demande en circuit de proximité et ainsi adapter les politiques publiques ».
De la vente à la ferme au circuit court 2.0
Les producteurs n’ont pas attendu l’engouement politique pour se lancer dans les circuits de proximité. De la vente à la ferme qui demeure le circuit court le plus rentable pour l’agriculteur, à la livraison à domicile très pratique pour le consommateur mais peu viable, les initiatives sont diverses et rencontrent plus ou moins de succès.
A l’origine portés par des rassemblements de producteurs (Robins des Champs pour le pain, Coteaux du Lyonnais pour le vin, Saveurs du coin ou encore Nos belles récoltes) ces projets sont également développés par des acteurs privés dont l’agriculture n’est pas le domaine. Soit qui ont flairé le bon filon, soit qui militent pour une agriculture relocalisée.
C’est le cas des sociétés qui distribuent des paniers de produits locaux, de certaines épiceries, ou encore du tout nouveau camion burger local qui arpente les rues lyonnaises. Un drive-in fermier, comme ceux créés cette année en Gironde, pourrait également voire le jour. Surtout, le privé a bien compris les potentialités du 2.0. Comme La Ruche qui dit oui, qui propose à des consommateurs de se rassembler pour atteindre un certain volume de produits avant de passer commande. De nombreux systèmes sont encore en cours de rodage.
Rue89Lyon s’est intéressé aux plus représentatifs de ces circuits dans l’agglomération lyonnaise. Où en sont les AMAP ? Sont-elles concurrencées par les entreprises proposant des distributions de paniers ? Quelle est la vitalité des magasins de producteurs situés en zone périurbaine ? Y’a t-il des équivalents sur Lyon même ?
Source: Rue89Lyon (http://goo.gl/Xwt35)
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