jeudi 24 avril 2014

Gaspillage alimentaire : Faut-il obliger les grandes surfaces à donner leurs invendus ?

Alors que la France s’est donnée comme objectif de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025, nos voisins les belges sont passés à la vitesse supérieure en expérimentant dans la commune d’Herstal, une mesure radicale. Obliger les grandes surfaces à donner leurs invendus sous peine de sanctions. Une fausse bonne idée ?


Selon la FAO, l’organisation de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture, chaque année, pas moins de 1300 milliards de tonnes de produits alimentaires sont gaspillés, soit un tiers de la production mondiale. Le chiffre donne le tournis. C’est pour lutter contre cette gabegie alimentaire tout en donnant un coup de pouce aux associations d’aide alimentaire, que la commune de Herstal, situé dans la province de Liège en Belgique, expérimente depuis deux ans un dispositif innovant. Frédéric Daerden, Bourgmestre de la petite ville de 40 000 habitants, nous explique comment le dispositif s’est mis en place : « On s’est dit, que lors du renouvellement du permis d’environnement, l’équivalent du permis d’exploitation français, on pouvait inclure une nouvelle obligation pour que les supermarchés proposent aux associations d’aide alimentaire leurs invendus avant de les détruire. On a donc modifié le règlement et testé cette nouvelle idée. La première phase s’est faite durant l’été 2012 avec une grande surface qui avait déjà l’habitude de travailler avec des associations d’aide alimentaire. L’expérience s’est très bien passée et nous avons décidé de généraliser à toute la ville, c’est à dire douze établissements».    
De l’aveu même du Bourgmestre, ce système ne peut remplacer une véritable  politique européenne de lutte contre le gaspillage et la montée de la pauvreté mais « il permet de pallier des solutions d’urgence de manière plutôt simple, guidé par le bon sens. On réduit ainsi notre impact sur l’environnement en diminuant le gâchis alimentaire provoqué par la surconsommation et on permet d’aider des associations qui en ont besoin ». 

Une mesure applicable en France ? 

Qu’en pensent les associations qui luttent en France contre le gaspillage alimentaire ? Faudrait-il s’inspirer de l’exemple belge ? Du côté de Lyon, LesGars pilleurs, ce collectif de citoyens qui fait le tour des poubelles des supermarchés de la ville pour glaner tout ce qui est récupérable et le redistribuer ensuite, l’idée semble séduisante : « La démarche de la ville d’Herstal est bonne à notre sens. Quand on voit tout ce que jettent les grandes surfaces, c’est hallucinant ».Lors de l’une de leur tournée, le collectif a retrouvé pas moins de 230 KG de produit alimentaire consommable dans une seule poubelle. Si la démarche de la ville part d’un bon sentiment pour les Lyonnais, la mesure belge et a fortiori les mesures en France restent quand même trop timorées : « Le problème c’est qu’on reste quand même sur une logique très précaire. Mais elle a le mérite d’être concrète. Ce qui n’est pas le cas de la France. Le pacte national contre le gaspillage alimentaire lancé par l’ancien Ministre Guillaume Garot s’arrête clairement aux portes de la communication. Tout au mieux il y a un effort de sensibilisation à ce gâchis mais sinon… ». 

Du côté de l’ANDES, l’association national de développement des épiceries solidaires, c’est un tout autre son de cloche. Pour Guillaume Bapst, son directeur, la méthode n’est pas la bonne : « Je trouve que l’aspect répressif n’est pas bon. Je préfère travailler en bonne intelligence avec le secteur privé pour voir comment on peut améliorer la revalorisation des invendus pour que tout le monde s’y retrouve. Il y a deux problèmes à mon sens. D’une part on reste toujours sur cette image que les pauvres, au final, mangent les restes que les riches laissent mais surtout, cette mesure ne permet de résoudre le problème de la carence alimentaire. Car le vrai souci que nous tentons de résoudre avec l’ANDES, c’est de pouvoir offrir à nos bénéficiaires des repas équilibrés. Or, avec une mesure comme celle prise dans cette ville belge, on reste soumis à l’aléa du don. C’est pourquoi je préfère des initiatives comme Eqosphère, lancé par Xavier Corval, qui est une sorte de bourse au don pour les associations qui leur permet de choisir ce dont elles ont besoin ». 

Dernière réaction, celle de Daniel Boyer, Président de la banque alimentaire de Touraine. Pour le militant associatif il ne serait pas utile de transposer cette mesure en France, puisque le pays s’est déjà doté d’un arsenal législatif : « Il existe déjà en France des mesures qui permettent de limiter le gaspillage alimentaire. Par exemple l’obligation pour organismes qui produisent plus e 40 tonnes/an de déchets organiques, comme les agriculteurs ou les grandes surfaces de les revaloriser. En 2016, tout les entreprises produisant 110 tonnes/ an seront aussi concernées. Donc on va arriver à une forme de systématisme. Et puis, le risque c’est que les grandes surfaces donne tout et n’importe quoi, or on n’est pas une seconde poubelle. Du coup, le dispositif français de défiscalisation à 60 % du don alimentaire et l’obligation de valoriser ses déchets organiques me paraît bien plus efficace que toute autre mesure coercitive ». Le débat reste donc ouvert.

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