L’idée de remplacer le poisson sauvage par du poisson d’élevage se heurte à des réalités incontournables, mettant en péril les écosystèmes marins à grande échelle.
«Il faut une volonté politique claire de développer une aquaculture durable et compétitive, afin de faire face à la concurrence des pays tiers.» Cette remarque répétée d’Alain Cadec, vice-président de la commission de la pêche, révèle le vrai visage de la production en captivité, celui de la conquête des marchés. Dans le secteur de l’agroalimentaire, c’est l’aquaculture qui dynamise le plus les échanges internationaux, avec des taux de croissance annuelle en matière d’exportations dépassant 50% pour certaines espèces. En dépit d’une série d’annonces, le souhait d’une production d’élevage compatible avec la préservation de l’environnement ne se manifeste plus vraiment dans les propositions de la commission pour une réforme de la Politique commune de la pêche (PCP), ni dans l’organisation commune des marchés (OCM) des produits de la pêche et de l’aquaculture. Car l’idée de «remplacer» le poisson sauvage par du poisson d’élevage ne résiste pas à la plus petite analyse écologique.
Il est tout d’abord peu probable que l’aquaculture se substitue un jour à la production naturelle des écosystèmes marins. «Ceux qui la promeuvent oublient de rappeler que les poissons d’élevage sont nourris à partir de poissons sauvages.», alertait déjà en 2001 la revue Nature. Le développement rapide de l’aquaculture de poissons carnivores a accru la pression sur les stocks halieutiques dans des proportions inquiétantes. Il faut en moyenne entre 2,5 et 4 kg de poissons sauvages pour la fabrication d’1 kg de poissons d’élevage. La farine et l’huile destinées à l’alimentation proviennent d’une activité halieutique destructrice mais qui ne fait jamais la «une» des médias : la pêche minotière. Avec 30 millions de tonnes de poissons, elle représente près d’un tiers des captures mondiales, alors qu’elle ne concerne qu’une poignée d’espèces jugées moins nobles sur le marché : le capelan, le hareng, le chinchard, la sardine, la sardinelle, l’anchois du Pérou, etc.
En janvier 2012, une enquête menée par l’International consortium of investigative journalists (ICIJ) attirait l’attention sur la situation critique de l’humble chinchard, victime de l’industrie de la pêche minotière dans le Pacifique sud. Ce poisson pélagique est le signe annonciateur d’un effondrement progressif des ressources halieutiques dans tous les océans.«Quand il aura disparu, tout le reste aura disparu, c’est une frontière qui se fermera», s’inquiétait dans l’article le biologiste français Daniel Pauly.
Qui dit échanges internationaux dit transports. Le bilan carbone des activités minotières et aquacoles combinées est considérable : «l’Union importe du Pérou pour 295 millions d’euros d’huiles et de farines à destination des élevages. [...] La farine de poisson est devenue une denrée spéculative cotée en dollars : entre 1996 et 2000, son cours mondial à la tonne est passé de 300 à 1 200 dollars. 300% de hausse en quatre ans. Qui dit mieux?», ironise M. Beaucher (1) pour la coalition OCEAN 2012.
Un Greenwatching en cage marine
Construite sur le modèle industriel, l’aquaculture n’est autre qu’un élevage en batterie, transposé en milieu marin. Avec toutes ses conséquences : concentration de déjections animales, eutrophisation et contaminations bactériennes des eaux, prolifération d’épidémies, accumulation de pesticides dans la chair des poissons, perte de la biodiversité génétique des spécimens et perte de la valeur nutritive du produit final. En 2004, des chercheurs britanniques ont établi que le volume de déjections non traité généré par la salmoniculture écossaise était équivalent à celui de l’ensemble des eaux usées de la ville d’Edimbourg.
Dans l’élevage intensif, les risques d’épidémie sont particulièrement craints, à tel point que des antibiotiques sont intégrés aux farines alimentaires destinées aux poissons. Les piscicultures européennes comptent ainsi plus de trente souches d’antibiotiques, parmi lesquels le teflubenzuron, la cyperméthrine, l’emamectine benzoate et l’azamethiphos, quatre molécules décrites comme des polluants marins par leurs fabricants dans les notes techniques d’utilisation. Et lorsqu’un poisson parvient à s’échapper de son élevage, il est porteur de bactéries et de parasites et, immunisé, est source de contamination envers les populations sauvages. En Écosse, la truite de mer sauvage, par exemple, serait en voie d’extinction en raison de propagations parasitaires répétées depuis les milieux d’élevage.
Moins-disant dans l’assiette
Enfin, l’impact sur la santé des consommateurs du poisson élevé en captivité n’est pas anodin. En juin 2002, la commission des résidus de pesticides du Royaume-Uni a publié les résultats d’une analyse portant sur dix résidus organochlorés. Sur les soixante-treize échantillons (frais ou en boîte) provenant de fermes d’élevage, soixante et onze présentaient des traces résiduelles d’au moins un pesticide, dont trente-deux les traces de plusieurs molécules (dont DDT, chlordane et hexachlorobenzène).
Dans les élevages, le saumon ne mange pas les petits crustacés responsables de la couleur de sa chair. Alors pour la rougir, on ajoute de la canthaxanthine (E161g), pourtant mise en cause dans la déficience visuelle chez les enfants et pour laquelle la Commission européenne a proposé que le taux admissible soit divisé par quatre. Selon l’American Journal of Clinical Nutrition, on constate aussi des différences flagrantes dans la composition de la chair du saumon d’élevage qui contient trois fois moins d’oméga-3 que son homologue sauvage. Enfin il ne faut pas attendre beaucoup des labels bio, qui ne garantissent nullement l’absence d’huile de palme ou de graisses hydrogénées.
On l’aura compris, affirmer que l’aquaculture peut être à la fois «compétitive» et«durable» n’a pour seul vertu que d’auto-convaincre les hommes d’affaire ayant fait le choix d’investir dans ce secteur.
Source: Les Echos (http://goo.gl/seDRo)
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