C’est à coup de dizaines de millions de dollars que les compagnies agrochimiques, Monsanto en tête, tentent de faire barrage à une proposition de loi visant à imposer l’étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM en Californie. Malgré des moyens financiers six fois moins élevés, les organisations citoyennes qui défendent cet étiquetage continuent de mobiliser au nom du « droit de savoir ».
Le 6 novembre, les électeurs américains n’éliront pas seulement leur président mais devront également se prononcer sur une série de référendums. En Californie, l’un des plus disputés et commentés est le référendum sur la Proposition 37 [1], qui vise à imposer un étiquetage obligatoire des produits destinés à l’alimentation humaine contenant des OGM. Pour le mouvementRight to Know (« le droit de savoir ») à l’initiative de cette proposition, le but de cette mesure est de « faire respecter le droit fondamental du peuple de Californie à être pleinement informés si les aliments qu’ils achètent et qu’ils consomment sont génétiquement modifiés ». Cette proposition de loi fait suite au recueil de plus d’un million de signatures dans le cadre de la pétition Just Label It (« il suffit de l’étiqueter ») au printemps 2011.
Si la Proposition 37 est adoptée, la Californie – qui produit près de la moitié des fruits et légumes aux États-Unis – deviendrait le premier État à exiger l’étiquetage des aliments génétiquement modifiés. Contrairement à l’Europe où l’étiquetage est obligatoire à partir de 0,9 % d’ingrédients d’origine transgénique dans un produit [2], aucune règle n’a jusque-là été imposée aux États-Unis.Selon le Bureau d’Analyse de la Législation Californienne, 88 % du maïs et 94 % du soja américains étaient issus de semences génétiquement modifiées en 2011. 40 à 70 % des produits alimentaires vendus dans les épiceries de la Californie contiendraient des ingrédients génétiquement modifiés.
44 millions de dollars pour le « non »
La perspective d’un étiquetage n’est donc pas du goût des géants de l’agrochimie et de l’agroalimentaire. Ils tentent de faire barrage au texte à coups de millions de dollars. Les six plus grandes compagnies mondiales de pesticides sont les plus grosses contributrices des opposants à la proposition 37 [3]. Monsanto, BASF, Bayer, Dow Chemical, DuPont et Syngenta ont dépensé plus de 21 millions de dollars depuis août 2012 en campagnes publicitaires et en mailing.
Monsanto a notamment dépensé huit millions de dollars en neuf versements.« On ne peut s’empêcher de mettre ces sommes en rapport avec l’argument que ces mêmes entreprises ne pourraient supporter les coûts des recherches plus poussées sur l’innocuité de leurs produits », relève Christophe Noisette de l’association Inf’Ogm. Par comparaison, l’étude récente de l’équipe du chercheur Séralini sur la toxicité du maïs génétiquement modifié NK603 a coûté 3,2 millions d’euros (lire nos précédents articles). D’autres entreprises, liées à l’agro-alimentaire, ont aussi versé des sommes importantes, comme Coca Cola, PepsiCo, Nestlé, KraftFood, Mars, Unilever ou Mc Cain.
Etiqueter les produits bio oui, mais les produits OGM non
Monsanto affirme sur son blog que la Proposition 37 cherche à stigmatiser la production moderne d’aliments. « Nous respectons le choix de certaines personnes d’éviter les OGM, mais c’est une erreur de tromper et d’effrayer les gens quant à la sécurité de leurs choix alimentaires », explique le fabricant du pesticide Roundup et de semences transgéniques, notamment de soja et de maïs. Pour Monsanto, le fait que des centaines de produits certifiés biologiques ou sans OGM soient disponibles sur le marché est suffisant pour éviter le risque de confusion chez le consommateur.
La multinationale américaine soutient ouvertement la coalition « No on 37 » qui fustige le coût de la mesure. Le contrôle administratif de sa mise en œuvre atteindrait 1 million de dollars par an, tandis que les répercussions sur le prix des aliments coûterait 400 dollars par an aux consommateurs, selon les opposants au texte. Ces derniers s’étonnent aussi que de nombreux aliments aient été exclus de l’obligation d’étiquetage, notamment la viande et les produits laitiers, même si l’animal a été nourri avec des OGM. Ils craignent également une avalanche de procès à l’encontre des agriculteurs, industriels et magasins, la proposition 37 donnant aux consommateurs un droit de poursuite sur l’étiquetage.
Pouvoir de l’argent contre mobilisation citoyenne
Selon les chiffres officiels, les défenseurs du texte avaient levé fin octobre 7 millions de dollars, dont 3,8 millions versés par les fabricants de produits bio. Soit six fois moins que leurs détracteurs, qui ont bénéficié de 44 millions de dollars. Les effets sur les sondages ont été immédiats. Fin septembre, les partisans du oui était largement majoritaires (61 % en faveur du texte, 25 % contre) mais fin octobre, la proposition n’avait plus que 44 % de défenseurs contre 42 % d’opposants, selon un sondage du Los Angeles Time. Depuis une dizaine d’années, une douzaine de propositions de loi similaires ont été rejetées dans différents États comme dans l’Oregon en 2002 ou le Connecticut en avril dernier. Le Vermont avait finalement renoncé à déposer une proposition d’étiquetage sur les produits contenant des OGM, après que la compagnie Monsanto ait menacé de poursuivre l’Etat en justice.
L’argent n’a pas toujours le dernier mot, comme le montre l’exemple du référendum sur la Proposition 23, fin 2010. Cette proposition de loi, à l’initiative des entreprises les plus polluantes du pays, était destinée à abolir la loi de 2006 [4] sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’État de Californie. La mobilisation de la société civile fut massive et permit le rejet de cette proposition par les Californiens. Pour la coalition « Yes on 37 », la bataille pour l’étiquetage des OGM constitue déjà une victoire médiatique, quelle que soit l’issue du référendum. Les partisans de cette proposition ont même utilisé l’étude de l’équipe du Professeur Séralini dans leur clip de campagne.
Les OGM, invités surprise des élections ?
S’il est difficile de connaître l’impact de cette campagne sur l’élection présidentielle, il est certain que Barack Obama a déçu les opposants aux OGM. Durant son mandat, le président américain a autorisé les luzernes génétiquement modifiées, et a nommé un ancien vice-président de Monsanto, Michael Taylor, à l’Agence américaine de l’alimentation et des médicaments (FDA) en 2009. Mitt Romney ne devrait pas pour autant réussir à attirer les déçus d’Obama. Dans un article intitulé « Mitt Romney, Monsanto Man », le journal The Nation relate les liens étroits entre la compagnie Monsanto et le candidat républicain.
Le vainqueur de l’élection devra néanmoins suivre avec attention les résultats de la proposition 37. Si le oui l’emporte le 6 novembre prochain, elle sera mise en application dans les 18 mois et aura un impact considérable sur une vaste partie du marché alimentaire américain. Selon une étude d’opinion, près de 50 % des américains déclarent [5] qu’ils n’achèteront pas les produits étiquetés OGM.
Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter
Photo : Source
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Notes
[2] La mention « sans OGM » pourra désormais être accolée sur les produits qui en contiennent moins de 0,1%. Lire à ce sujet : Peut-on encore manger sans OGM ?
[3] Selon les registres de la campagne disponibles publiquement.
[4] La loi Global Warming Solutions Act, aujourd’hui maintenue, impose à la Californie une réduction de 25% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 et ce afin de revenir au niveau de 1990.
[5] Public Perceptions Of Genetically Modified Foods : A National Study Of American Knowledge And Opinion - William K. Hallman – 2003 : lire l’étude en cliquant ici
Source: Basta (http://www.bastamag.net/article2759.html)
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