lundi 5 novembre 2012

Les plus pauvres sont-ils écolos ?


Alors que 57 % des Français s'inquiètent de l'évolution de leur pouvoir d'achat, une étude réalisée par le cabinet Ethicity en partenariat avec le site d'informations YouPhil se penche sur les liens entre précarité et consommation responsable.
En filigrane, plusieurs questions : quelle perception a-t-on des enjeux durables quand on a relativement peu de moyens ? Consomme-t-on "responsable" quand on a de faibles revenus ? Les français vivant sous le seuil de pauvreté ont-ils conscience des économies réalisables avec l'adoption de réflexes plus écologiques ?

Consommer durable, un truc de bobos ?

Cela fait bientôt dix ans qu'Ethicity observe les comportements de consommation responsable (définie par le fait d’acheter, utiliser et jeter mieux et moins) des français : comme l'explique la vidéo suivante, la typologie des consommateurs responsables s'affine d'une année sur l'autre en distinguant les profils plus avancés de consommateurs responsables (les "éclaireurs", les "bio-beaux", les "bonne conduite", les "éco-restreints" ou les "verts bâtisseurs") de ceux qui ont plus de mal à s'y mettre ("les perméables", les "minimiseurs" ou les "consophages"). Au total, 47 % des Français font partie d'un public averti en "recherche de plus de bien-être et d’équilibre, en demande d’autrement", et 20 % seraient très engagés dans ce type de consommation.
Mais "lors de la dernière enquête publiée en septembre 2012, j'ai noté des différences entre les catégories socio-professionnelles et j'ai été frappée par une chose : ceux qui ont besoin de faire des économies sont les moins sensibilisés et font partie de ceux qui agissent le moins", explique Elisabeth Pastore-Reiss, fondatrice d'Ethicity.
De cette enquête annuelle effectuée en février et mars 2012 auprès d’un panel représentatif de la société française de 4 055 individus âgés de 15 ans et plus ont donc été extraits des catégories de Français spécifiques - à savoir les personnes vivant seules jusqu’à celles (en couple ou seules) avec 6 enfants, avec un revenu sous ou très proche du seuil de pauvreté, défini à 60 % du revenu médian, soit 964 euros de revenu "disponible" en 2010 pour une personne seule (après impôts et prestations sociales). Au total, 691 personnes qualifiées de "précaires" ont été interrogées sur leur rapport à la consommation responsable (sachant que 8,6 millions de français vivent dans la précarité).

Méconnaissance des atouts de la consommation responsable

Premier constat : les plus précaires sont naturellement plus préoccupés par le coût de la vie. Si les femmes se soucient plus du bien-être de la famille et des proches, les hommes se préoccupent surtout du coût de la vie. Les jeunes (15-24 ans) vivant sous le seuil de pauvreté se sentent plus concernés, mais ont moins systématisé les éco-gestes que leurs aînés et que la moyenne des jeunes de leur âge (recyclage, économie d’eau et d’énergie, attention portée au gâchis notamment). Des écarts sont aussi observés selon l’habitat : dans les communes rurales, 76,5 % des  personnes interrogées trient systématiquement leurs déchets, contre 57,6 % en agglomération parisienne.
Seconde observation : les personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont moins nombreuses à considérer le développement durable comme une nécessité (61,8 % contre 68 % pour la moyenne française), avec un pourcentage important de non-répondants sur les questions plus précises relatives au développement durable. Pour 12,70 % des personnes interrogées, "on s’inquiète trop au sujet de l’environnement", contre 6,40 % pour la moyenne des Français.
Mais bien plus encore : parmi les personnes qui n’ont pas changé leur comportement en faveur du développement durable dans les 12 derniers mois, 28,9 % (contre 18,6 % en moyenne) disent ne pas avoir changé parce que leur pouvoir d’achat ne le permet pas. Certains éco-gestes (comme le fait de jeter systématiquement les produits qui ont dépassé la date de péremption, le fait d’éviter les produits sur-emballés ou la maîtrise de la consommation d’énergie) sont moins bien intégrés alors qu’ils pourraient permettre des économies. Une observation à relativiser car "certaines études quantitatives tendent à suggérer que les foyers à faibles revenus pourraient produire des impacts sur l'environnement plus faibles que d'autres catégories sociales. Les faibles revenus conduisent ces ménages à consommer moins de viande, à privilégier les achats en grande quantité (formats économiques donc avec moins d'emballage), à utiliser les transports en commun", remarque la sociologue Sophie Dubuisson-Quellier.

Comment éviter cette "double peine" ?

Pour les plus pauvres, la consommation responsable ne passe pas par l’achat de produits plus respectueux de l’environnement, mais par une évolution des modes de vie. Et c'est là que l'éducation et la sensibilisation jouent leur rôle : "Il faut montrer en quoi la consommation durable a des bénéfices économiques et sert la qualité de vie" conclut Elisabeth Pastore-Reiss. Il faut des messages clairs et concrets. Comme cette population est plus méfiante, nous devons apporter des preuves de ce qui est affirmé".
D'autant que cette population exprime le besoin d’être accompagnée : 22 % sont persuadés que les hypermarchés ont un rôle d’information sur les produits en magasin, contre 19,8 % pour la moyenne des Français. D’une manière générale d'ailleurs, en dehors des produits alimentaires, 48,5 % des personnes sous le seuil de pauvreté pensent qu’il y a trop de choix de produits durables, responsables ou verts ; contre 37,9 % pour la moyenne des Français. "Il y a un risque de saturation du discours (trop de messages et trop de produits) d’où une nécessaire pédagogie sur les avantages "personnels" liés à la consommation durable", résume l'étude. Pour Angela de Santiago, fondatrice de Youphil, "cette population est comme la majorité des français, elle ne sait plus où donner de la tête mais l’exprime de manière plus affirmée, elle est plus honnête." Sophie Dubuisson-Quellier estime pour sa part que "ces consommateurs peuvent disqualifier le discours environnemental lorsqu'ils jugent que celui-ci prend insuffisamment en compte leurs propres difficultés économiques et sociales".

Il est donc utile de valoriser le "système D" et mettre en œuvre des "incitations innovantes" et des approches collectives, préconise Ethicity. Le tout reposant, on le sait, sur le phénomène de mimétisme social qu’il est nécessaire d’amorcer avec les bons outils afin de valoriser des modes de consommation plus économiques et durables. Mais certains gestes effectués au nom de la précarité économique sont fortement compatibles avec les prescriptions environnementales, précisément parce qu'ils visent l'économie de ressources : "chez ces foyers on fait attention à ne pas gaspiller l'eau ou l'électricité, on gère différemment la nourriture en apprenant à congeler, conserver, réutiliser, on tend aussi à privilégier les réseaux d'entre-aide qui mutualisent les moyens", rappelle la chercheuse.

En attendant, la crise est une bonne occasion pour insuffler de nouvelles habitudes: "on consomme moins mais mieux on arbitre, on fait des choix et on réduit les dépenses superflues", analyse Elisabeth Pastore Reiss. La consommation des plus précaires pourrait donc être plus "pragmatique" sans porter détriment à la qualité et tout en redonnant de la valeur au lien social.

Convaincus ?

Source: Le Monde (http://goo.gl/8tluO)

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