jeudi 29 novembre 2012

Logistique : la livraison du dernier kilomètre


Certains centres urbains attirent de plus en plus d’entreprises, de commerces et d’habitants. Ce phénomène provoque une montée en puissance de l’activité de livraison du dernier kilomètre. Laquelle se heurte aux exigences des municipalités en matière de pollution sonore, d’écologie, ainsi qu’aux contraintes inhérentes aux centres-villes bondés : manque de places de stationnement et difficultés de circulation. Pour y faire face, les professionnels de la livraison font émerger une nouvelle génération de véhicules propres et travaillent à leur complémentarité avec le fret ferroviaire et fluvial.
Les commerces de proximité ont de nouveau la cote. Les enseignes de la grande distribution colonisent les centres-villes et axent de plus en plus leur développement sur ces commerces d’un nouveau type. Nouveaux, les Simply Market, Carrefour Market et autres A2Pas ? Pas tant que ça. “Le retour des supérettes, c’est un peu le retour aux fondamentaux d’après-guerre”, analyse Marc Teyssier d’Orfeuil, le délégué général du Club du Dernier Kilomètre de Livraison.
Trop loin, trop chers, peu accessibles du centre-ville, les hypermarchés de périphérie attirent moins les clients, enchantés par la proximité de ces enseignes qui poussent comme des champignons. Mais ce retour vers le centre-ville pose de nombreuses questions en termes de livraison des produits. Parvenir à livrer à temps les magasins situés en centre-ville, tout en tenant compte des restrictions de circulation, des problèmes de stationnement, ou encore en respectant les obligations en termes d’émission de CO2 et de bruit, peut en effet relever du casse-tête. D’autant que cette résurrection des commerces de proximité est concomitante à une très forte demande de livraison de la part des clients-consommateurs eux-mêmes.
“Nous devons réduire notre empreinte écologique, répondre aux contraintes de plus en plus fortes des villes au niveau de la décongestion ou des nuisances sonores, et répondre aux attentes de plus en plus fortes de nos clients, tout en continuant de développer notre activité” confirme Yves Ferrand, le directeur des Opérations de Fedex en Île-de-France. D’autant que nombre de municipalités prennent des mesures draconiennes pour pousser les professionnels du secteur à respecter les normes environnementales.
“La tendance de fond en milieu urbain va vers un durcissement de la réglementation, observe Yves Ferrand, alors autant prendre les devants.” Les professionnels de la livraison ont donc dû inventer de nouvelles façons de travailler pour faire face à ces défis, en lançant de nouvelles générations de véhicules, en cherchant de nouveaux espaces de déchargement, mais aussi en tirant parti des chemins de fer et des voies navigables.
À chaque contrainte sa solution
Livrer des clients en centre-ville relève désormais de la gageure pour les entreprises de transport. Dans certaines agglomérations, surtout des petites et moyennes villes de province, il faut ainsi compter avec des restrictions d’accès selon l’horaire. Par exemple à Montpellier, Toulouse ou Avignon. Le plus souvent, le couperet tombe en fin de matinée, vers 11h. “Par exemple, pour du matériel provenant de l’international qui atterrit vers 6 ou 7h à Marseille, il faut décharger, trier, puis l’acheminer jusqu’à Avignon, le tout avant 11h, explique Brice Devinoy, le directeur des opérations de DHL. C’est pourquoi nous faisons de gros efforts pour rentrer dans les centres-villes plus tôt et plus vite, notamment en rendant le tri plus efficace.”
Mais il existe des solutions pour contourner ces restrictions d’accès au centre-ville. Car le plus souvent, elles sont mises en place sur des considérations écologiques et ne concernent que les véhicules polluants. C’est pourquoi entreprises de livraison et enseignes de la distribution de proximité ont de plus en plus recours à des véhicules propres. C’est ainsi que Monoprix a mis en service deux véhicules électriques pour effectuer les livraisons dans la zone Ecusson de Montpellier. Mais les professionnels doivent aussi faire face à des problèmes de parking ou de stationnement, car s’il existe bien des aires de livraison, celles-ci sont souvent occupées par des véhicules qui n’ont rien à y faire.
“Pour pallier ce problème, nous mettons en place des zones de livraison sanctuarisées, c’est-à-dire avec des possibilités de réservation physique, révèle Jean-Pierre Devilliers, DG de Samada, la filiale logistique de Monoprix. Mais nous comptons aussi sur les municipalités, qui mènent souvent de vraies actions pour les faire respecter.” D’autres, comme DHL, comptent avant tout sur une stricte politique de branding pour limiter ces problèmes de stationnement. “Plus nous avons des véhicules en propre, à nos couleurs, et plus il est facile de se garer tout en bénéficiant de l’indulgence de la maréchaussée, glisse Brice Devinoy. Les gens savent que quand nous sommes garés c’est pour peu de temps.”
Autre contrainte liée à l’environnement, l’encadrement du niveau sonore des véhicules de livraison. De nombreuses enseignes privilégient en effet la livraison de nuit ou tôt le matin, pour éviter les difficultés de circulation ou de limitation d’accès. Or les municipalités sont de plus en plus attentives à ce que ces livraisons ne troublent pas le sommeil des riverains. Monoprix a par exemple engagé une action avec l’organisme Certibruit et s’est engagé à ce que le bruit engendré par les livraisons ne dépasse pas les 60 décibels. De même, les camions de livraison de produits frais sont désormais équipés de systèmes cryogéniques où le froid est généré par des bouteilles d’azote qui ne font pas de bruit, au lieu d’un système de production de froid par des groupes thermiques, souvent bruyant.
Une nouvelle génération de véhicules
Ces particularités de la livraison du dernier kilomètre poussent les professionnels du secteur à faire confiance à une nouvelle génération de véhicules. Tous sont propres, ou au moins hybrides, ne serait-ce que pour réduire l’empreinte carbone des entreprises ou leur donner accès aux centres-villes soumis à restriction d’accès. Ainsi Monoprix utilise-t-il des camions et camionnettes standards fonctionnant au GNV (Gaz naturel de ville) pour effectuer les livraisons de ses magasins intramuros. Mais l’enseigne de distribution va plus loin, en utilisant des cyclo-porteurs à assistance électrique pour apporter leurs colis aux clients qui ont commandé en magasin ou sur Internet. Trente-trois de ces véhicules d’un genre nouveau ont jusqu’ici été déployés dans des villes comme Paris, Bordeaux ou Toulouse. Des entreprises de livraison comme DHL en font elles aussi un usage intensif.
“Les triporteurs sont des véhicules moins volumineux que des camionnettes classiques et ils permettent de se faufiler, de circuler plus facilement, explique Brice Devinoy. Ainsi, nous pouvons réduire le temps d’attente pour les clients.” Le groupe Fedex teste quant à lui des modèles électriques différents à Paris, Londres, Berlin et Milan. Le but étant à terme de se doter d’une flotte de véhicules uniforme et adaptée à la majorité de ses trafics partout dans le monde.
Mais l’évolution des véhicules de livraison a son revers : la capacité de transport de ces triporteurs, cyclo-porteurs et autres vélos électriques est réduite. “Ces véhicules ont une contenance moindre, car ils sont plus petits, explique Claire Wecxsteen, la responsable des livraisons à domicile chez Monoprix. Ils ne peuvent accueillir qu’une dizaine de bacs.” Qui plus est, la contenance réduite de ces véhicules propres va de pair avec une augmentation du volume des colis : “Les colis livrés, notamment via Internet, sont de plus en plus volumineux, car les expéditeurs mettent beaucoup d’emballage et de papier pour les protéger, révèle Brice Devinoy. Du coup, on peut en mettre moins dans un triporteur”.
Ce facteur constitue un vrai frein à l’utilisation des triporteurs et cyclo-porteurs. Lesquels devraient continuer de croître parmi les flottes des entreprises de livraison, mais rester une solution d’appoint au fur et à mesure qu’elles se dotent de véhicules standards électriques. “Nous sommes très intéressés par les nouveaux véhicules électriques, notamment le Kangoo ZE de Renault, confirme Claire Wecxsteen. Le premier a été mis en service sur le magasin de Montparnasse.” La Renault Kangoo a d’ailleurs déjà été adoptée par des groupes comme La Poste ou Fedex. Mais trouver le véhicule adéquat n’est pas le seul défi auquel doivent faire face les professionnels de la livraison du dernier kilomètre. Ils doivent également trouver des espaces pour accueillir les marchandises avant de les dispatcher dans leurs magasins, ou chez les clients.
Trouver des espaces logistiques
Au prix actuel du foncier, trouver des espaces où consolider les marchandises avant de les dispatcher dans le centre-ville peut relever du casse-tête. C’est pourquoi une réflexion est menée pour mettre en place des espaces de quais de déchargement à proximité des villes, ou même dans la ville elle-même, d’où pourraient partir des petits véhicules électriques. “Si on utilise des camions de 5 tonnes, on a besoin de quais de déchargement et donc de grands espaces, 1 500 à 3 000 m2 au sol, explique Marc Teyssier d’Orfeuil. Mais si on utilise de petits véhicules électriques (de 500 kg à 1 tonne), il suffit de trouver des espaces de 200 à 300 m2 au sol.”
L’objectif est donc aujourd’hui de rapprocher du centre-ville les grosses plateformes logistiques, historiquement créées en périphérie. À Paris, Fedex a par exemple ouvert un premier espace logistique urbain dans le Ier arrondissement le 30 octobre dernier “Nous y massifions notre fret avant de le redistribuer dans le centre grâce à des véhicules électriques”, explique Yves Ferrand. Une autre solution consiste à optimiser les mutualisations des parkings existants à l’entrée des villes. Par exemple ceux des grandes surfaces ou des entreprises, qui ne sont utilisés qu’à partir et 10h du matin et qui restent vides et inutilisés la nuit.
“Ces espaces pourraient se transformer en quai de livraison entre 6h et 9h du matin” analyse Marc Teyssier d’Orfeuil. Et lorsque les contraintes de déchargement, de circulation et de stationnement semblent insurmontables, il reste toujours la solution des points relais. Dans cette configuration c’est le client final qui se déplace. En livrant plusieurs colis à un point relais (épiceries, pressing…), facilement accessible aux habitants du quartier, l’entreprise de livraison gagne en effet énormément de temps.
“Ces solutions fonctionnent extrêmement bien et ne cessent de se développer, se félicite Marc Teyssier d’Orfeuil, notamment à travers les points de ‘reverse logistic’, qui donnent au client la possibilité d’aller chercher un colis, et de laisser ses déchets.” C’est par exemple la solution mise en place par Nespresso/Mondial relais : le client rapporte ses capsules usagées et repart avec des capsules neuves. Une preuve de plus que logistique et écologie peuvent faire bon ménage.
Vers d’avantage d’intermodalité
Autres façons de contourner les problèmes de circulation et d’accès routier dans les centres-villes : l’eau et le rail. De plus en plus d’enseignes utilisent les voies ferrées ou fluviales pour acheminer leurs marchandises aux alentours proches des centres urbains. “Le fluvial bouge beaucoup en ce moment, observe Marc Teyssier d’Orfeuil. D’une part, les entreprises ont besoin de diminuer leur empreinte carbone, et d’autre part, passer par des barges fluviales ou des quais de déchargement permet de réduire le coût foncier des opérations.”
La plupart du temps cependant, les voies navigables servent à acheminer les marchandises dans la périphérie des villes, et non dans leur centre. C’est par exemple le cas pour Monoprix, qui achemine ses marchandises, venues de l’export du Havre jusqu’aux ports franciliens de Bonneuil-sur-Marne et d’Evry, sur de grandes péniches. Mais certaines enseignes vont encore plus loin. Comme Franprix, qui a fait le choix de la voie fluviale pour faire entrer ses marchandises au centre de la capitale. Les marchandises sont ainsi transportées par camions de l’entrepôt de Chennevières-sur-Marne vers le port de Bonneuil-sur-Marne. Là, les camions sont délestés de leurs conteneurs, qui sont transbordés dans des barges naviguant sur la Seine.
Vingt kilomètres plus loin, les marchandises arrivent à Paris par voie fluviale puis sont débarquées quai du Bourdonnais dans le VIIe arrondissement. Les conteneurs sont alors de nouveau placés sur des camions, qui s’en iront livrer quelque 80 magasins. Un exemple d’intermodalité, où la voie fluviale permet d’accéder au cœur même d’une ville et d’en ravitailler les magasins. Le tout en contournant les bouchons qui se forment traditionnellement aux abords de la capitale.
Le rail est lui aussi une solution de plus en plus prisée des enseignes de la distribution. Ainsi Monoprix affrète-t-il tous les jours un train de 16 à 22 wagons entre ses entrepôts de Sénart et la plateforme ferroviaire de Paris-Bercy. Les marchandises sont ensuite déchargées, triées par magasin, puis réexpédiées au matin dans des camions au GNV vers les magasins de Paris et de la proche périphérie. S’ils sont en avance en matière d’utilisation de véhicules électriques, les professionnels de la livraison, comme DHL ou Fedex, sont quant à eux beaucoup plus frileux sur l’utilisation des voies fluviales et ferrées.
“Notre métier c’est l’extrême et l’urgence ; le ferroviaire ou le fluvial reviennent à rajouter une étape dans le circuit de livraison, explique Brice Devinoy, c’est pourquoi nous passons directement par les camions.” Mais tous déclarent réfléchir sérieusement à des solutions pour développer ces types de livraison plus verte. En attendant que le schéma de livraison intermodal et écologique se généralise ainsi : le gros des marchandises arrivera aux portes des villes, voire directement en leur centre par voie fluviale ou ferrée, puis elles seront déchargées, redistribuées et livrées aux clients finaux par des véhicules propres, peu encombrants et peu bruyants.
Julien Bargeton
Conseiller de Paris, adjoint au maire de Paris, chargé des déplacements, des transports et de l’espace public
“D’ici 5 ans, nous souhaitons arriver à 50 % de livraisons du dernier kilomètre par des véhicules propres”
Comment aller vers un mode de livraison du dernier kilomètre plus écologique et plus efficace ?
Le transport de marchandises est le secteur d’activité qui utilise les véhicules les plus polluants. C’est pourquoi nous souhaitons développer des solutions alternatives au fret classique. Les acteurs sont privés, puisque ce sont des privés qui livrent à des privés, mais les pouvoirs publics ne sont pas dénués de moyens d’action. Et il ne s’agit pas ici d’être uniquement dans la réglementation.
Nous libérons du foncier à travers les espaces logistiques urbains et les hôtels logistiques urbains, nous équipons la voirie parisienne à travers des places de livraison et des bornes de rechargement électriques, et nous modernisons les grands équipements de fret ferroviaire. En ce qui concerne le foncier, nous réservons des espaces logistiques de 300 à 1 000 m2 dans les parkings souterrains de la ville à des acteurs sélectionnés sur des critères techniques, environnementaux et sociaux. Et pour ce qui est des places de livraison, nous allons expérimenter des capteurs qui permettent aux professionnels de savoir si la place est disponible, et éventuellement de sanctionner les véhicules qui n’ont rien à y faire.
Qu’en est-il du fret ferroviaire et du fret fluvial ?
Nous voulons faire en sorte qu’un maximum de marchandises entrent dans la ville par la voie ferrée ou la voie navigable, qu’elles soient ensuite déchargées dans des centres de stockage, puis distribuées grâce à des véhicules non polluants. Cela passe notamment par des innovations. Le tram-fret a par exemple été expérimenté à blanc et nous recherchons désormais un partenaire pour lancer des expérimentations à plus grande échelle. Nous pouvons donc imaginer que du fret transitera un jour par les lignes du tramway. Par contre, la solution du RER n’a pas été retenue car trop compliquée techniquement. Nous incitons de plus les professionnels à passer par les voies ferrées grâce à des opérations foncières.
La réhabilitation du site Bercy-Gabriel-Lamé a permis son utilisation par Monoprix. Cela correspond à 12 000 camions en moins, 337 tonnes de CO2 épargnées par an. Dans les prochaines années, nous allons reconstituer des halles de fret aux Batignolles, et d’autres sites comme Pantin-Villette et Bercy-Charenton sont à l’étude. Le fret fluvial est lui aussi en plein développement, avec notamment le port de la Bourdonnais qu’utilise quotidiennement Franprix. Cette solution permet de livrer 80 des 350 magasins parisiens et remplace 3 900 circulations de camion par an, soit 450 km de route parcourues évitées. Sans parler des vélos électriques qui livrent les particuliers à partir de péniches entrepôts qui se déplacent sur la Seine.
Le véhicule électrique va-t-il se généraliser en tant que mode livraison ?
L’enjeu, c’est le dernier kilomètre, la distance entre le distributeur et le client final. Nous voulons éviter le mode de livraison classique, où un gros camion part d’un centre de stockage situé à 30 ou 40 km du centre pour livrer la boutique ou le particulier. C’est pourquoi nous voulons inciter les camions à s’arrêter dans les centres logistiques et passer le relais à des véhicules électriques. D’ici 5 ans, nous souhaitons arriver à 50 % de livraisons du dernier kilomètre par des véhicules propres.
Source: Le Nouvel Economiste (http://goo.gl/fNGiL)

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