Depuis l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence (ci-après « ADLC ») le 7 décembre 2010 relatif notamment aux contrats d’affiliation de magasins indépendants dans le secteur de la grande distribution alimentaire, les clauses de non-réaffiliation liant les magasins indépendants à leur réseau d’affiliation semblent être dans la ligne de mire non seulement de l’ADLC mais aussi des juges... et du législateur ?
Dans son avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010, l’ADLC précise, dans son introduction :
« En présence d’obstacles importants à la création de nouveaux magasins, l’une des réponses possibles à la concentration excessive des zones de chalandise réside dans la faculté que pourraient avoir des opérateurs concurrents d’attirer dans leurs réseaux des magasins indépendants affiliés à des groupes de distribution concurrents.
(…)
De la même façon, la mobilité des magasins indépendants entre groupes de distribution pourrait supporter l’entrée d’un groupe de distribution étranger, à même d’intensifier la concurrence sur le marché national et d’atténuer la concentration des centrales d’achat.
(…)
Seuls des gains d’efficience suffisamment significatifs, en termes de transfert de savoir-faire ou d’incitation à l’investissement par exemple, pourraient alors contrebalancer ces effets restrictifs de concurrence ».
Le cadre de son analyse est donc clairement annoncé.
Afin d’apprécier « la force du lien entre les têtes de réseau et les commerçants affiliés et le degré réel d’indépendance de ces derniers », l’ADLC s’est notamment intéressée à certains dispositifs mis en place par les groupes de distribution qui ont pour objet et/ou pour effet d’empêcher leurs magasins affiliés de quitter le réseau, en particulier les clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles généralement mises à la charge des affiliés.
- Analyse juridique des clauses de non-réaffiliation par l’ADLC
Elle estime en effet que, dès lors que l’interdiction de réaffiliation rend la poursuite de l’exploitation du fonds de commerce très difficile et sa rentabilité aléatoire, la clause de non-réaffiliation pourrait valablement être assimilée à une clause de non-concurrence.
Or, elle a pu constater que de plus en plus de commerces d’alimentation générale choisissent de s’affilier à une enseigne afin de bénéficier d’une politique commerciale et d’une image de marque attractives, faisant du fait d’être affilié à un grand groupe un élément indispensable à l’exercice de leur activité par les magasins indépendants.
Forte de cette constatation, l’ADLC estime que les clauses de non-réaffiliation doivent, pour être exemptées, tout comme les clauses de non-concurrence post-contractuelles, être nécessaires et proportionnées aux objectifs qu’elles poursuivent, à savoir, selon l’arrêt Pronuptia de la CJCE du 28 janvier 1986, la protection du savoir-faire, d’une part, et la protection de l’identité commune et de la réputation du réseau de distribution,
d’autre part.
S’agissant du savoir-faire, l’ADLC estime que, dans la grande distribution alimentaire, la majeure partie du savoir-faire mis en oeuvre par les têtes de réseau n’a pas à être protégé par des clauses de non-réaffiliation dans la mesure où il est soit observable en magasin (agencement, assortiment, plan d’implantation des produits …), soit commun à toutes les enseignes (gestion financière, implantation des magasins). Une dernière part, minime, serait quant à elle constituée d’éléments spécifiques à l’enseigne et difficilement observables par les concurrents (la politique de promotion notamment) et pourrait éventuellement justifier l’existence d’une clause de non-réaffiliation proportionnée à la seule part de savoir-faire à protéger. ]l
L’ADLC observe toutefois que les magasins indépendants n’étant généralement pas décisionnaires des stratégies susceptibles de s’appuyer sur ce type de savoir-faire, les éventuels transferts de savoir-faire en cas de changement d’enseigne paraissent en tout état de cause limités.
En outre, le fait que les clauses de non-réaffiliation figurant dans les contrats de certaines enseignes ne soient applicables qu’en cas de rupture anticipée de la relation contractuelle, et non dans toutes les hypothèses conduisant à la fin du contrat, tend à indiquer que ces clauses ne sont pas liées à une volonté de protéger le savoir-faire mais davantage à une volonté (non avouée) d’empêcher les affiliés de sortir du réseau.
S’agissant de la préservation de l’identité et de la réputation de l’enseigne, l’ADLC estime que, compte tenu de la relative faiblesse de la différenciation qui existe entre les différentes enseignes d’alimentation, des clauses de non-réaffiliation d’une longue durée ne paraissent pas justifiées, en particulier dans le secteur du commerce de proximité]l
Dès lors, la plupart des clauses de non-réaffiliation relevées dans les contrats étudiés par l’ADLC ne paraissent pas remplir les conditions de nécessité et de proportionnalité au regard des objectifs poursuivis, érigés par le droit de la concurrence. L’ADLC a donc préconisé, dans l’avis précité, un encadrement des clauses de non-réaffiliation par une intervention du législateur.
Le projet de loi Lefebvre, voté au Sénat en décembre 2011, prévoyait ainsi l’ajout d’un nouvel article au Code de commerce disposant :
« Toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’une convention d’affiliation, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui a précédemment souscrit cette convention d’affiliation dans les conditions prévues à l’article L. 340-1 est réputée non écrite ».
Ce projet de loi ayant été finalement abandonné, l’encadrement souhaité par l’ADLC pourrait bien venir des juges.
- Evolution de la jurisprudence depuis l’avis de l’ADLC de 2010
S’agissant de la grande distribution alimentaire, la Cour d’appel de Paris a sollicité, en novembre 2011, en application de l’article L. 462-3 du Code de commerce, un avis de l’ADLC sur le caractère de pratique anticoncurrentielle, au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, d’une clause de non-réaffiliation insérée dans deux contrats de franchise mis en oeuvre par Carrefour dans le secteur de la distribution alimentaire générale de proximité.
Il est à noter en effet que dans son premier avis en date du 7 décembre 2010, l’ADLC s’étant auto-saisie, il ne lui appartenait pas de qualifier les comportements incriminés au regard de ces articles, une telle qualification nécessitant une saisine contentieuse et un débat contradictoire.
Dans son nouvel avis n°12-A-15 du 9 juillet 2012, l’ADLC, après une analyse détaillée du marché concerné et du contenu des clauses incriminées (la clause de non-réaffiliation interdisait aux franchisés, outre l’apposition d’une enseigne concurrente, la distribution de produits MDD concurrents), a eu ainsi l’occasion de confirmer sa position en considérant que les clauses de non-réaffiliation incriminées étaient illicites au regard du droit de la concurrence, pour les motifs développés dans son précédent avis.
Suivant la grille d’analyse de l’ADLC, la Cour d’appel de Paris a confirmé, dans un arrêt du 6 mars 2013, la position de cette dernière, considérant que les clauses incriminées n’avaient d’autre objet que de décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau auquel ils étaient affiliés pour en rejoindre un autre et étaient à ce titre restrictives de concurrence par objet.
La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de confirmer sa position dans un autre arrêt, en date du 3 avril 2013, portant sur un contrat similaire (toujours du groupe Carrefour).
De même, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2012 (pourvoi n°11-27.068), a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Rouen par ailleurs cité par l’ADLC dans son avis n°12-A-15 en considérant que la clause de non-réaffiliation incriminée (toujours issue d’un contrat de l’enseigne Carrefour) mettait les franchisés dans l’impossibilité de poursuivre, dans des conditions économiquement rentables, l’exploitation de leur fonds de commerce, qu’elle était à ce titre non-proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur et devait donc être annulée.
Les modalités d’appréciation de la licéité d’une clause de non-réaffiliation semblent donc désormais clairement établies par les juges, en attendant une intervention du législateur qui pourrait avoir lieu dans le cadre des débats sur le projet de loi Hamon sur la consommation. Le sénateur Alain Fauconnier, rapporteur de ce projet de loi, a en effet récemment annoncé, dans une interview donnée au magazine LSA, qu’il n’était pas exclu que la question des « conventions d’affiliation des magasins » revienne en débat dans le cadre des discussions sur le projet de loi susvisé.
Source: http://goo.gl/nQijP
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