mardi 21 mai 2013

Grande distribution versus commerces de proximité: quel avenir pour l’emploi?


A l’heure où beaucoup d’hommes politiques se demandent comment faire face au chômage de masse en Europe, le redéploiement du commerce de proximité est peut être une des solutions les moins évoquées. Pourtant, les gains potentiels en terme d’emploi, de cohésion sociale et d’aménagement du territoire sont nombreux et trop souvent sous-estimés. Christian Jacquiau, dans son ouvrage Les coulisses de la grande distribution, s’attarde sur les conséquences néfastes du passage d’un commerce tradionnel centré sur l’économie locale à un commerce dominé par les grands distributeurs.
LE LIVRE NOIR DE LA GRANDE DISTRIBUTION
Les grandes surfaces sont apparues en France dans les années 1960. A l’époque, toutes les communes disposent de leurs commerces de proximité mais celui-ci véhicule une image extrêmement négative pour la plupart des consommateurs : nombre d’intermédiaires élevés entre le producteur et le client (10 à 12), prix gonflés, absence de choix...
Edouard Leclerc, pour remédier à cette situation, ouvre son premier magasin à Landerneau en 1949. En supprimant tous les intermédiaires, le fondateur du groupe Leclerc arrive à vendre des produits deux fois moins chers : le succès est immédiat.
La suite de l’histoire de la grande distribution est moins rose. La taille évolue rapidement, en passant du petit magasin du Finistère de 50m2 aux vastes hypermarchés disposant d’une surface de vente de plus de 2500 m2. Le nombre de grandes surfaces connaît ensuite une augmentation exponentielle – de 284 en 1975 à plus de 1700 aujourd’hui – malgré les tentatives de régulation des pouvoirs publics.
Un castorama à Montpellier
Source: Olivier Razemon
Peu à peu, le rapport de force entre les producteurs (industriels, agriculteurs) et la grande distribution s’inverse dangereusement. Très vite, les grandes surfaces sont incontournables pour n’importe quel industriel agro-alimentaire désirant vivre ou survivre. Aujourd’hui, seules cinq centrales d’achats, représentants les cinq plus grandes enseignes de la distribution ont le pouvoir de vie ou de mort sur les quelques 70 000 entreprises fournisseurs et les 300 000 exploitations agricoles.
Chaque producteur doit passer l’étape du référencement s’il veut continuer à exercer son activité. Les règles édictées par la centrale d’achat sont nombreuses pour qu’un fournisseur puisse obtenir le droit d’apparaitre dans les rayons des grandes surfaces : compression des prix au maximum, incitation à délocaliser la production, peu de regard sur la qualité du produit... Pour autant, c’est la seule façon que détiennent les agriculteurs et les fournisseurs pour avoir accès au marché de 65 millions de consommateurs.
C’est donc une situation de quasi-monopole pour les grands distributeurs. Ces derniers possèdent un pouvoir de pression immense sur les producteurs. Les conséquences en terme d’emplois et d’activités se revèlent désastreuses. Pour preuve, on assiste à un phénomène de création destructrice[1] : les rares emplois crées dans les grandes surfaces ne compensent pas les perte d’emplois massives dans l’économie locale. Ainsi, l’économiste Christian Jacquiau, estime « qu’un emploi crée en grande surface, c’est trois à cinq emplois détruits ailleurs »[2]. Les chiffres officiels parlent d'une disparition de 174 200 entreprises de commerces de proximité entre 1966 et 1998, avec un funeste record pour les épiceries tradionnelles qui passent de 87 600 à 13 800 sur la même période.
Ce système favorise par ailleurs une agriculture intensive et productiviste qui ne se soucie ni de la qualité des produits, ni du capital humain.
Mais le consommateur dans tout ça ? N’est-il pas gagnant en ayant accès à des milliers de produits à bas coûts ? En fait non, « la lutte contre la vie chère » se retourne contre le client à moyen terme. Chaque consommateur, en achetant dans les grandes surfaces, scelle le déclin du commerce de proximité et participe à l’augmentation du chômage. Qui dit plus de demandeurs d’emplois dit moins de salaires distribués, donc moins de cotisations salariales et patronales, donc plus d’impôts pour pouvoir financer le système de sécurité sociale. Au final, selon Christian Jacquiau, « les salaires que nous ne payons plus aux salariés pour le travail qu’ils effectuent sont transférés sur la collectivité, via la protection sociale ». Les seuls gagnants sont les grands distributeurs qui arrivent à faire fortune via des marges arrières conséquences.
Source: Renouveau territorial
LE CERCLE VERTUEUX DES COMMERCES DE PROXIMITÉ
Depuis toujours, les grandes surfaces désirent investir dans de nouveaux secteurs : parfumerie, fleuriste, électroménager, culture, librairie, parapharmacie jusqu’à aujourd’hui revendiquer la vente de médicaments sans ordonnance. Malgré le fait que l’impact sur l’emploi soit extrêmement négatif, les politiques – de gauche comme de droite – n’ont jamais su résister aux sirènes de la grande distribution. Longtemps, l’ouverture des hypermarchés et des supermarchés a coincidé avec le financement occulte de plusieurs partis ou élus[3]. Aujourd’hui, la France est le territoire où la densité d’hypermarchés par habitant est la plus forte d’Europe.
Le commerce de proximité, un allié de l'emploi et de la mobilité active
Source: Olivier Razemon
Il est maintenant temps de passer à unautre modèle de développement commercial, qui favorise le commerce de proximité. Les vertus du commerce traditionnel sont nombreuses : tout d’abord, il emploie 3,5 à 4,3 fois plus de personnel[4] que la grande distribution pour une même surface de vente. Ensuite, il a une fonction de lien social, de convivialité et d’animation des centres-villes et des villages.
Après des années de déclin (1966-1998), le nombre de commerces de proximité tend à s’équilibrer sur la période 2000-2008. Néanmoins, la crise économique que nous connaissons a tendance à orienter les consommateurs vers les grands distributeurs.
Il s’agit, une fois pour toutes, de préserver les commerçants et les artisans traditionnels par le biais de mesures efficaces et relativement simples à mettre en place :
  • Mettre en place un prix unique (comme pour les journaux, les livres ou les cigarettes) sur certains produits ;
  • Révéler, via un indice INSEE paraissant chaque année, les marges que s’octroient les grands distributeurs ;
  • Réaliser, avant toute ouverture ou extension d’une grande surface, uneétude d’impact sur les conséquences futures en terme d’emplois dans l’économie locale ;
  • Mettre en place une taxe pour toutes grandes surface supérieure à 1000 mqui reviendrait aux commerces tradionnels de petites surfaces (< 300 m2), leur permettant ainsi de combler l'écart de prix;
  • Réguler la localisation des surfaces commerciales en mettant en place desdocuments d'aménagement commercial (DAC) contraignants.
En attendant que toutes ces solutions se mettent en place, chacun de nous, chaque consommateur peut participer au renouveau du commerce traditionnel. Comment ? En utilisant la méthode infaillible des grands distributeurs. Puisque ceux-ci ont supprimé tous les intermédiaires entre le producteur et le client final hormis la centrale d’achat, chaque consommateur peut décider lui-aussi de passer outre la case « grande surface » en favorisant les circuits-courts. Tout est à gagner et rien n’est à perdre dans le redéveloppement du commerce traditionnel : l’emploi, la convivialité, l’environnement, la proximité, la cohésion d’une société.
Benjamin Taveau
[1] Par opposition à la théorie de destruction créatrice développée par l’économiste Joseph Schumpeter
[2] JACQUIAU Christian, « Comment les hypers détruisent les emplois », Marianne (n°400), décembre 2004.
[3] JACQUIAU Christian : « La démission des responsables politiques » IN Les coulisses de la grande distribution, ed Albin Michel, 2000.
[4] Chambre régionale de commerce et d’industrie du Rhône-Alpes : « Quel avenir pour le commerce de proximité ? », septembre 2008.
Source: Le Monde (http://goo.gl/3JgaM)

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