Un grand amphi à l’Agro de Paris, la brillante école française d’agriculture. Pour y parvenir, les couloirs sont immenses, les peintures défraîchies et il fait un froid de canard en ce vilain mois de Mai. L’amphithéâtre s’appelle René Dumont, ce qui me rappelle ma jeunesse, avec la première campagne écologiste de Dumont aux Présidentielles de 1974. La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (Fnab) tient dans cet Amphi, où se presse une grosse centaine de personnes, un séminaire « Nouvelle économie Bio : comment changer d’échelle ? » et m’a demandé de venir témoigner.
La démarche me plaît car il s’agit d’une recherche-action. La Fnab mobilise des chercheurs de différentes disciplines, des agriculteurs bio, des distributeurs, des observateurs et témoins. La question de cette recherche consiste à savoir comment faire changer d’échelle l’agriculture Bio, sans la banaliser, sans lui faire perdre son âme, mais en faisant vivre le projet d’une agriculture relocalisée, durable et équitable. Je suis convaincu, comme eux, qu’on ne transforme pas le monde sans penser le monde et comme le dit l’un d’entre eux « rien de plus pratique qu’une bonne théorie ». Ici ce sont les agriculteurs qui pilotent la recherche et non l’inverse, ce qui est remarquable.
L’agriculture Bio a connu une forte progression. Elle représente aujourd’hui en France 24 mille exploitations, soit un peu moins de 5 % du total des exploitants agricoles, 1 million d’hectares, 4 milliards de chiffre d’affaire, soit 2,3 % du marché alimentaire et 57 000 emplois. Elle a connu une belle accélération entre 2007 et 2011, mesurable par un fort niveau de création d’emplois, par ailleurs si nécessaires à nos territoires ruraux.
Question : comment passer de 5 à 20 % sans se faire « bouffer » par la machine compétitivité-prix ? L’un des intervenants donne l’exemple de la Bio californienne, avec des fermes de plus en plus grandes, une transformation industrielle de la filière, une pression sur les prix des producteurs. Ce n’est pas le modèle souhaité dans cette recherche qui veut inventer un nouveau mode d’organisation des producteurs, une nouvelle économie agroalimentaire fondée sur la diversité et les externalités positives.
La recherche s’appuie sur des études de cas. Par exemple celui de Biolait. Ce groupe de producteurs est né en 1994. Ils étaient 6. Ils sont 600 aujourd’hui, font travailler 1500 personnes avec une très forte multiplication des volumes en 5 ans. Comment garder le projet initial ? Je retrouve ici la question de nombreuses coopératives ou entreprises d’économie sociale. Biolait cherche, invente, s’efforce de former les entrants, de leur transmettre ses valeurs, d’organiser des rencontres locales, d’animer des AG. Cela m’évoque… le Crédit Coopératif.
J’interviens alors pour rappeler en effet que dans l’économie sociale il y a eu des changements d’échelle qui se sont traduits par des banalisations, dans la banque ou la coopération agricole. Exemple : Crédit Agricole.Certains s’efforcent aujourd’hui de revenir à leurs fondamentaux. Tant mieux.
L’économie coopérative, comme l’économie bio, est un chemin de crête. D’un côté le risque, dans un système concurrentiel, de faire peu à peu comme les autres : course à la taille, concurrence sur les prix, course aux capitaux, sélectivité des clients et des risques. Il est donc indispensable régulièrement de « reconvoquer le projet sociétal« ! De l’autre côté, privilégier un projet politique de solidarité, mais ne pas savoir s’adapter, et mourir de belle mort économique. Exemple : CAMIF. Garder son âme n’est pas qu’une affaire de taille !
Pour moi, la nouvelle économie Bio, pour changer d’échelle, doit d’abord gagner la bataille des idées. Ce n’est pas fait. Une partie du monde agricole, du monde politique, du monde économique est au mieux non convaincu, au pire hostile. Comme pour l’économie sociale et solidaire (ESS). A ce sujet l’agriculture Bio doit faire le choix de savoir si elle fait partie, ou non, de cette fameuse ESS.
L’agriculture Bio doit ensuite travailler soigneusement plusieurs facteurs d’un changement d’échelle sans perte de son âme. L’accompagnementpour apporter aux producteurs (et aux distributeurs) de la technicité, mais aussi transmettre des valeurs. Des fonds propres et des financementsqui évitent les effets pervers. Dans la coopération agricole ou dans la banque ce sont souvent les créations de filiales capitalistes (Spanghero) ou les entrées en bourse (Natixis) qui ont perverti le modèle.
La Banque publique d’investissement (BPI) et la finance participative (Terre de Liens) sont de vrais sujets pour l’agriculture Bio. LaGouvernance territoriale, reposant sur la coopération entre parties prenantes et en particulier producteurs et consommateurs, ensemble. Le debouché de la bio dans les cantines et la restauration collective, à travers les marchés publics, est un gros sujet du territoire. Les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) sont un bel exemple pour le Bio. Enfin des indicateurs socio-économiques qui rendent compte des impacts économiques, sociaux et environnementaux du Bio sur le territoire, au regard des objectifs d’une économie re-localisée, durable, équitable.
Ils ont du pain (bio) sur la planche, les amis de la Fédération. Mais c’est du bon pain !
Source: La Croix (http://goo.gl/RJFdy)
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