mardi 4 février 2014

Les monnaies locales font de la résistance et de plus en plus d’adeptes

Vous ne verrez jamais leurs cours affichés en Bourse et pour cause : celles qu’on appelle les monnaies locales voient petit. La commune leur suffit comme territoire ce qui n’empêche pas leurs promoteurs d’en faire notamment un outil de lutte contre la crise économique. Eusko, Sol-violette, Euroblochon, la Mesure, la Muse, peu importe leur appellation, pourvu qu’on ait l’alternative.
En France, la première monnaie locale à voir le jour a été l’Abeille. C’était en janvier 2010, à Villeneuve-sur-Lot, une ville du sud-ouest, dont le maire s’appelait à l’époque Jérôme Cahuzac… Le spécialiste de la question, Philippe Derudder parle de « monnaies locales complémentaires », une façon de souligner que ces monnaies n’ont pas pour but de se substituer à l’euro par exemple.
Pas une fin en soi, mais un moyen
Une soixantaine de villes françaises ont ou sont sur le point d’adopter une monnaie de ce type : la Pêche à Montreuil, l’Eusko au Pays basque, l’Héol à Brest, l’Euroblochon dans le Val d’Arly, la Mesure à Romans et Bourg-de-Péage… Mais à quoi peuvent bien servir ces micro-monnaies mises en circulation sous forme de coupons ou de jetons ? Pour les promoteurs de ces monnaies complémentaires, il s’agit d’une façon de se réapproprier l’outil monétaire qui a été de fait confisqué à partir du moment où sa création est désormais confiée aux banques privées et aux banques centrales, dorénavant indépendantes.
Constitués en association, partenaires commerciaux et utilisateurs s’engagent à respecter une charte. Les euros s’échangent via une banque coopérative locale, évidemment. La plupart du temps, un euro = une unité de monnaie locale, mais certaines associations donnent un petit bonus, comme à Toulouse où 20 euros valent 21 Sols-violettes. A l’inverse une taxe de 5 % est prélevée si on fait l’échange dans l’autre sens, Sol-violette transformé en euro. Le volume des échanges ainsi réalisés demeure modeste bien que significatif compte tenu du volontarisme que suppose la démarche. Mais libres aux commerçants de faire une fleur à ces clients particuliers : à Bayonne par exemple, l’apéro sera offert, ailleurs en payant 3 steaks hachés, vous en aurez un 4e gratuit et l’esthéticienne fait une remise de 15 % sur les soins bio…
Locales elles sont, locales elles restent. Leur ancrage lié à un territoire restreint a pour objectif de promouvoir les filières de proximité. Ainsi, petits commerces de proximité, producteurs et  services touristiques locaux (à condition qu’ils soient adhérents au réseau de la monnaie locale), sont privilégiés, le but étant de tendre à redonner une autonomie alimentaire à un territoire, aussi restreint soit-il. Ces monnaies ne sont pas une fin en soi, dit Philippe Derudder, mais un moyen.
On ne joue pas à la marchande
L’Eusko qui est diffusé depuis à peine un an au Pays basque nord, brasse déjà un peu plus que l’équivalent de 200 000 euros entre près de 500 commerces et entreprises et plus de 2 500 utilisateurs qui constituent une sorte de cercle économique vertueux. Un fonds d’investissement Herrikoa a d’ailleurs été créé dans cet esprit par l’association Euskal Moneta qui gère l’Eusko et deux entreprises de la région ont ainsi pu bénéficier d’un soutien financier pour développer leur projet, forcément local.
La plupart de ces monnaies appliquent par ailleurs le principe de « fonte » ce qui leur fait perdre leur valeur dans le temps. Pas question donc de thésauriser, Héol, Eusko et autres Abeilles sont conçues pour circuler. Justifiant ainsi le slogan « Pour que la monnaie serve au lieu de nous asservir » comme le revendique l’Association internationale pour le soutien aux économies sociétales (Aises).
Pour ne pas que ces monnaies se réduisent à de « simples joujoux pour jouer à la marchande », elles s’adossent à un univers de valeurs lequel est intimement lié à l’économie sociale et solidaire. Autrement dit, l’économie réelle, celle qui concerne les échanges marchands, un bien contre de la monnaie, par rapport à la virtuelle, celle de la finance et de la Bourse pour simplifier. Une nuance qui a son importance quand on sait que 97 % des transactions en monnaies dites officielles (euro, dollar…) circulent dans les sphères spéculatives et seulement 3 % dans l’économie réelle.
Ailleurs aussi
Les monnaies alternatives sont arrivées assez tardivement en France, en 2010, alors que dans le monde on en compte déjà plusieurs milliers. Des expériences particulièrement intéressantes prospèrent notamment au Brésil avec la Banco Palmas qui a permis depuis 1998 à des habitants d’une favela de lutter pour améliorer leurs conditions de vie en s’appuyant sur une organisation originale qui allie micro-crédit et monnaie locale. Dès 2005, la Banco Palmas devient partenaire de la Banque du Brésil après avoir établi une coopération avec le Secrétariat National à l’Economie Solidaire. Cette action sociale de proximité concerne aujourd’hui 2 millions de bénéficiaires actifs au Brésil.
En Afrique, la mobilisation des citoyens pour qu’ils s’approprient les outils économiques est aussi en marche. Philippe Derudder en veut pour preuve l’expérience menée au Kenya qui a failli tourner court en 2013. La création du Bangla-Pesa lancé dans le bidonville de Bangladesh (20 000 habitants) près de Monbasa, a permis à de nombreux habitants, en majorité des femmes, de monter des commerces et de faire reculer la pauvreté sous la forme d’un système de crédit mutuel. Plus de 200 micro-entreprises ont été ainsi créées.
Mais le succès a été tel que la Banque centrale kényane en a pris ombrage. Les instigateurs du système se sont donc retrouvés en prison accusés de contrefaçon et de faire circuler de la fausse monnaie. Heureusement, tous ont finalement été relaxés par la justice en novembre 2013. Depuis, autorités et promoteurs de monnaies communautaires ont pu s’expliquer et une nouvelle expérience est en cours avec cette fois le soutien du gouvernement qui recommande même l’extension de l’expérience à travers le pays.

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