jeudi 23 août 2012

Champ planet'terre, passe et impasse - L'agriculture durable dans le champ et l'assiette


Le réchauffement climatique et les déficits hydriques chroniques conditionnent l'évolution des techniques de production et des habitudes alimentaires, nécessaire pour relever le défi de nourrir plus de 9 milliards d'humains en 2050. Illustration en Australie et dans le bassin méditerranéen, où les techniques de production et la généralisation de la diète crétoise contribuent à leur niveau à la sécurité alimentaire mondiale. Un article extrait de Terre-net Magazine n°16.
Faire face aux caprices du climat.
En Australie, les bonnes pratiques culturales sont d'abord celles qui
permettent 
de produire des céréales en quantité de manière rentable.
(© DR)
En Australie
Lachlan et Andrew Barber à Birchip (300 km au nord de Melbourne)
« Produire des céréales relève de l’exploit »
Tenez-vous bien ! Avec 50 kg de semence d’orge et 350 mm d’eau par an, dont 200 mm lors de la moisson, Lachlan et Andrew Barber, installés avec leurs parents, ont obtenu cette année des rendements qui frôlent les 50 q/ha ! Dans le contexte pédoclimatique actuel, ces résultats sont un record en Australie. Ils relèvent même de l’exploit !
En fait, ces bons rendements sur les 6.200 ha de l’exploitation sont, toutes cultures confondues, le fruit du travail d’expert mené par Lachlan et Andrew pour doter leurs terres d’un potentiel de production satisfaisant, même en période de sécheresse. Ainsi, être agriculteur requiert avant tout de réelles compétences agronomiques pour dégager du revenu sans aides publiques. En France, avec les mêmes contraintes climatiques qu’en Australie, les exploitants agricoles seraient vite découragés.

Le parc matériel est réduit au strict minimum.
Impressionnant, ce déchaumeur ! (© DR)
Tout réside en fait dans la capacité des deux agriculteurs, ainsi que dans celle de leurs parents, à faire face aux caprices du climat dont ils ont compris qu’il ne leur est d’aucune aide pour produire des céréales, du canola et des lentilles de qualité mondialement reconnue. La sécheresse sévit depuis dix ans et l’irrigation est interdite. C’est pourquoi les contraintes climatiques sont devenues des sujets de recherche agronomique récurrents en Australie.
 Pour semer leurs céréales ou leur canola, Andrew et Lachlan dressent des microbuttes avec 30 cm d’inter-rang : l’eau de pluie s’écoule vers les rigoles formées, dans lesquelles sont implantées les semences. Cette technique culturale assure une levée optimale des plantes en concentrant toute l’humidité au niveau des graines. Pour enrichir le sol en matière organique (taux de 2,2 %) et en éléments fertilisants, et maintenir son taux d’humidité, les agriculteurs ont choisi d’associer la production de céréales à celle de moutons (3.200 brebis).

Des céréales en quantité

132 €/ha de marge pour les prairies
Le mouton reste rentable en Australie, même s’il l’est moins qu’auparavant, grâce à la production de laine. En 2011, avec un chargement de 1,5 animal par hectare, la marge brute sur les prairies atteint 132 €/ha, ce qui est tout à fait raisonnable car cette production exige très peu de main-d’oeuvre (moins d’un mois de travail). Une tonte, un vermifuge, un vaccin, du glyphosate entre deux saisons de production des prairies et le tour est joué !
Par ailleurs, des surfaces en ray-grass (20 % des terres de l’exploitation) sont intégrées dans la rotation afin de laisser le sol se reposer pendant deux ans et d’alimenter les moutons. Mais depuis quelques années, la production ovine est moins rentable que par le passé, surtout avec l’augmentation du prix des céréales. Les deux éleveurs ont donc diminué la taille de leur troupeau.
Enfin, pour que l’eau de pluie ne profite qu’aux plantes cultivées, les mauvaises herbes sont détruites avec du glyphosate. Comme tous les agriculteurs australiens, Andrew et Lachlan en consomment énormément. Quatre passages sont réalisés pour chaque parcelle : trois avant l’implantation des cultures et un après la récolte.
En Australie, l’utilisation des phytosanitaires n’est soumise à aucun contrôle. Les bonnes pratiques culturales sont d’abord celles qui permettent de produire des céréales en quantité, de manière rentable. Les fourrières ne sont pas traitées, les doses épandues sont approximatives et il est hors de question de laisser du produit dans les fonds de bidons ! Ajouter des contraintes environnementales à celles de production déjà importantes, liées au climat notamment, ne peut que susciter l’incompréhension. En fait, les Australiens n’imaginent pas ce que recouvre la conditionnalité des aides Pac en Europe, aides dont ils ne comprennent du reste ni la pertinence, ni l’intérêt.

Aucune machine neuve

2011, année à inscrire
dans les annales
L’an passé, les rendements ont atteint des sommets. Du jamais vu ! Andrew et Lachlan ont réussi à récolter le canola et l’orge dans de bonnes conditions. Mais, les forts orages ont ralenti les récoltes de blé. La qualité des grains a chuté.
Les conditions de travail et l’équipement matériel sont aussi conditionnés par l’environnement agro-pédo-climatique de la ferme. Le parc est réduit au strict nécessaire. Aucune machine neuve sur l’exploitation. Comme les itinéraires culturaux sont simplifiés (certaines parcelles sont à 180 km du siège de l’exploitation), deux tracteurs Case articulés de 450 ch et deux semoirs de 15 m suffisent, aidés par plusieurs machines de 150 ch pour les traitements (il faut tirer des tonnes de 8.000 l !).
Pour la récolte, Andrew et Lachlan possèdent deux moissonneuses de 12 et 15 m de coupe. Enfin, les deux camions de l’exploitation sont employés pour transporter les céréales, dès leur récolte, jusqu’à la coopérative de Birchip. Les deux agriculteurs n’ont aucun bâtiment de stockage, seulement quelques silos permettant d’entreposer les grains de mauvaise qualité.
Compte tenu de l’inversion des saisons, la récolte australienne se déroule lorsque c’est l’hiver dans l’hémisphère nord. Les livraisons de grains s’effectuent dès la moisson car les prix sont souvent plus élevés durant les secondes parties de campagne céréalière de l’autre moitié du globe. Inutile alors d’investir dans des stockages coûteux. Et si les prix sont trop bas, une simple bâche pour protéger les récoltes fera l’affaire !

En France
D'après l'édition 2012 de Mediterra du Ciheam, intitulée "La diète méditerranéenne pour un développement régional durable"
Pas d'agriculture durable sans régime alimentaire durable
Outre le réchauffement climatique, la croissance démographique renforce le défi planétaire de nourrir plus de 9 milliards d’humains sur la planète d’ici 2050. Or, si l’ensemble de l’humanité adopte le régime alimentaire européen, avec une proportion importante de produits carnés, il faudra deux "Terre" pour subvenir aux besoins de l’ensemble de la population, défend Michel Griffon.
Il est ainsi impossible d’imaginer l’essor d’une agriculture durable sans l’adoption d’un régime alimentaire durable. L’augmentation de la production agricole mondiale de 70 % d’ici 2050, pour relever le défi planétaire de la faim, doit s’inscrire dans cette logique. C’est la voie que propose le Ciheam (1) dans l’édition 2012 de Mediterra intitulée "La diète méditerranéenne pour un développement régional durable" (disponible gratuitement sur www.ciheam.org).
Selon ses auteurs, la consommation "responsable" d’aliments durables « peut contribuer à une solution humaine sur la question agraire, à la survie des petites exploitations et aux bénéfices sociaux, culturels, économiques et environnementaux qui leur sont généralement associés ». Autrement dit, au maintien d’une production agricole productive et respectueuse de l’environnement sur l’ensemble des 
terres qu’il sera nécessaire de mobiliser d’ici 2050.

Moins de viande

La Fao entend par régime "durable", celui qui « garantit une alimentation aux générations futures tout en ayant une incidence minimale sur l’environnement ». Les habitudes alimentaires crétoises s’inscrivent totalement dans ces objectifs, selon le Ciheam. Elles limitent les risques de décès dus aux maladies cardiovasculaires et aux cancers et sont aussi respectueuses de l’environnement.
Mais surtout, « en ayant moins recours à la viande et aux produits d’origine animale, les régimes méditerranéens permettent de réduire l’impact du bétail sur la biodiversité. Les régimes à base de viande comme ceux des pays du nord ont une influence plus forte sur l’environnement que l’alimentation à base de plantes méditerranéennes ».
Mais quels que soient les régimes alimentaires retenus, crétois, européen ou autres, ils ne seront pas durables s’ils s'appuient sur l’importation de produits agricoles ; ceci, en raison de l’empreinte carbone et des prix élevés des aliments qui rendent leur consommation onéreuse. L’ouvrage du Ciheam met un point d’honneur à associer le régime alimentaire durable au développement des agricultures locales peu intensives. Une alimentation durable repose sur une agriculture de proximité, avec des aliments produits localement afin d’assurer des revenus aux agriculteurs et aux autres travailleurs. Quant aux techniques agricoles, l’avenir est au retour à l’agronomie. 
Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°16.
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Source : Terre-net Média
Auteur : Pierre-Antoine Foreau, ingénieur européen de l'Esa d'Angers et du Cah de Dronten aux Pays-Bas, avec Frédéric Hénin
N.B : 1) organisme intergouvernemental qui rassemble 13 Etats méditerranéens et qui célèbre en 2012 son 50ème anniversaire
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