mardi 14 août 2012

Le retour de Malthus


Les indices d'une crise alimentaire mondiale se multiplient. Sécheresses et inondations pèsent sur les récoltes, à l'est comme à l'ouest, au nord comme au sud. Les prix des produits agricoles flambent sur les marchés internationaux, rejetant dans la misère des foules immenses qui avaient réussi à en sortir. José Graziano da Silva, le patron de l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, plus connu sous son acronyme anglais FAO, adjure les Américains ne plus convertir la moitié de leur maïs en carburant pour le laisser aux hommes et au bétail. Le réchauffement climatique, lourd de menaces pour les rendements agricoles, exerce de plus en plus clairement ses effets.
Cette perspective nous renvoie au débat lancé il y a plus de deux siècles par Thomas Malthus. Pour ce pasteur anglais, la crise alimentaire était inéluctable pour une raison simple : la population croît plus vite que les ressources disponibles pour la nourrir. La suite des événements a semblé lui donner tort. En deux siècles, la population mondiale a été multipliée par sept sans être pour autant condamnée à l'assiette vide. Trois révolutions ont repoussé la catastrophe. D'abord une révolution énergétique, avec l'emploi de machines toujours plus performantes pour travailler la terre. Ensuite, une révolution agronomique « verte » reposant à la fois sur la sélection d'espèces plus productives, l'irrigation et le recours aux engrais et pesticides. Enfin, une révolution politique avec l'essor de la démocratie -comme le montre l'économiste Amartya Sen, un pays comme l'Inde ne connaît plus de grandes famines depuis qu'on y vote. Mais les deux premières révolutions s'épuisent. La transition énergétique est inévitable. Les composants des engrais se raréfient (phosphates). Beaucoup de pesticides ont des effets secondaires redoutables. Nombre de nappes phréatiques diminuent. L'essor des organismes génétiquement modifiés (OGM) bute sur de fortes réticences dans l'opinion publique.
Nous risquons donc de revenir au monde de Malthus. Nous ne sommes pour autant pas obligés, pas encore, d'appliquer une politique malthusienne de limitation de la population que seule la Chine a appliquée à grande échelle avec des résultats peu enviables. Il y a encore plein de nouvelles techniques agricoles à appliquer, et d'autres à découvrir. Mais nous devrons faire des arbitrages vitaux. Dans notre façon de vivre : manger ou conduire (c'est l'arbitrage sur l'éthanol réclamé par la FAO), manger ou bétonner les champs pour construire des villes. Et dans notre alimentation : manger un peu de viande ou davantage de légumes. Il n'est pas trop tard pour s'y préparer et repousser ainsi une nouvelle fois la malédiction de Malthus.

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