mercredi 29 août 2012

Le hard-discount est durablement installé dans le paysage


Voici le texte d’une interview publié dans le dernier numéro de la revue  Constructif (n° 3, février 2011), qui comporte un dossier consacré au « nouvelles frontières du low cost ».
(pour un accès à l’interview sur le site de Constructifcliquer ici)
Fondé sur un modèle économique très élaboré, le hard discount a pris une place croissante dans la distribution alimentaire en France au cours des années 1990 et 2000. Si aujourd’hui son développement se trouve freiné, voire interrompu, il reste un important acteur dans ce marché qui n’est pas au bout de ses transformations.
Comment définir le « low cost » dans la grande distribution ?
Philippe Moati. Dans la distribution comme ailleurs, le « low cost » est avant tout un modèle économique, c’est-à-dire, la conjugaison d’unfront office (ce que voit le client), qui s’exprime par une proposition de valeur au client, d’un back office (comment on « produit » la proposition de valeur) et, enfin, d’un modèle de rentabilité (comment on gagne de l’argent).
Dans le cas du « low cost » – que l’on appelle plutôt hard discount dans la grande distribution -, le modèle de rentabilité repose sur la rente différentielle associée à la minimisation des coûts, couplée à une rotation rapide du capital. L’idée est de gagner de l’argent avec des marges réduites en engageant le moins de capital possible et en le faisant tourner rapidement.
Le front office est centré sur le prix bas à travers un commerce de proximité facilement accessible, y compris en centre-ville, mais pas situé dans les emplacements les plus onéreux. Le magasin fait l’objet d’aménagements sommaires, autant pour contribuer à en limiter le coût que pour donner à l’enseigne une image de compétitivité et de « prix bas ». Tous les détails sont pensés dans cette optique – y compris un chauffage moins important ou des éclairages moins sophistiqués : il n’y a pas de « petites économies » dans le « low cost » ! Le personnel est moins nombreux et plus polyvalent que dans d’autres types de commerces : souvent rémunéré au SMIC, il doit suivre des procédures prescrites et dispose de peu d’autonomie.
Le back office, d’inspiration taylorienne, repose sur la mobilisation de compétences et d’outils permettant de réduire les coûts et de mettre les flux sous tension. Dans sa forme la plus radicale, le hard discount ne propose qu’une référence « low cost » par catégorie de produits : elle tourne vite et de façon prévisible, ce qui permet d’optimiser la gestion des stocks. Le côté high tech du « low cost » se trouve dans la technologie mise en oeuvre pour avoir la bonne quantité de produit au bon moment et au bon endroit. La logistique est le coeur du métier sur ce marché.
Et le produit dans tout cela ?
P. M. Puisqu’il ne doit y avoir qu’une seule référence par produit, vendue le moins cher possible, le distributeur vend sous sa marque propre. Il cherche donc des partenaires – souvent des PME – pour en assurer la production « juste à temps », c’est-à-dire capables de se plier aux exigences de sa logistique.
Mais un produit vraiment pas cher peut être considéré comme de mauvaise qualité par le consommateur, donc le distributeur s’engage sur un standard : ce n’est ni du bas de gamme, ni de la surqualité, mais de la qualité « standard ». Et cela marche : 75 % des consommateurs pensent que les marques de distributeurs sont de qualité équivalente aux grandes marques.
Comment ce mode de distribution est-il apparu ?
P. M. Les supermarchés américains et les magasins populaires des années 1930 ressemblaient beaucoup au hard discount d’aujourd’hui. Mais de nouvelles formules commerciales se sont développées, qui se sont traduites par une augmentation des prix et une sorte d’embourgeoisement de ces commerces.
Après la guerre, c’est en Allemagne que le hard discount est apparu avec l’ouverture de petites surfaces de proximité proposant des prix très bas. Il a fallu attendre les années 1970 pour que le modèle soit exporté en France – ED, par la suite acheté par Carrefour, en a été l’un des précurseurs en 1974. Mais c’est surtout à partir de 1988, avec l’arrivée des enseignes allemandes comme Lidl, que le concept s’est développé. Ces enseignes ont dû adapter certains de leurs produits au goût français, mais le modèle est fondamentalement le même. Aujourd’hui, 14 % du chiffre d’affaires alimentaire en France est réalisé dans des magasins hard discount, un niveau important, bien que très inférieur à celui observé en Allemagne (45 %).
Cette part continue-t-elle d’augmenter ?
P. M. Quelques années après l’arrivée des distributeurs allemands, la loi Raffarin de 1996 a abaissé le seuil de demande d’autorisation pour l’ouverture de nouvelles surfaces commerciales, ce qui a rendu leur développement plus difficile. Et pourtant, cela ne les a pas empêchés de conquérir le marché alimentaire à un rythme rapide (près de 1 point de part de marché par an…). Ce qui a suscité une certaine panique chez les distributeurs traditionnels, d’autant plus que la loi de modernisation de l’économie (LME) a fait sauter le verrou de la loi Raffarin… Depuis deux ans, toutefois, le hard discount stagne, voire baisse, parfois sensiblement, alors qu’il continue à ouvrir de nouveaux magasins.
Comment expliquez-vous cela ?
P. M. L’écart de prix avec les hyper et les supermarchés s’est réduit (conséquence, là aussi, de la LME). Ces derniers sont devenus plus agressifs et ont développé des marques d’entrée de gamme destinées spécifiquement à concurrencer le hard discount.
Parallèlement, les distributeurs « low cost » ont voulu étendre leur clientèle, oubliant qu’ils constituaient un vrai « commerce de précision » dont la vocation principale est de satisfaire les catégories de clientèle les plus sensibles au prix. Afin de séduire des clients rebutés par certains aspects de la formule, les distributeurs du hard discount ont commencé à vendre des produits de grandes marques, leur offre s’est enrichie, ils se sont mis à proposer des cartes de fidélité et à faire des promotions… En conséquence, ils ont édulcoré leur concept et leur gestion est devenue plus complexe. Ils conservent néanmoins une bonne rentabilité.
Et maintenant ?
P. M. Si l’on continue comme cela, ce type de commerce va se banaliser avec un rapprochement du soft et du hard discount. C’est le scénario le plus probable. L’avenir est sans doute dans l’hybridation : on ira vers un modèle plus qualitatif, avec plus de choix, des produits plus innovants, une meilleure image des magasins… avec un back office qui améliore au maximum la production, un peu sur le modèle d’Ikea.
Le hard discount s’est néanmoins durablement installé dans le paysage et il gardera une part de marché significative. On peut imaginer qu’il se déclinera : alors que certaines enseignes évolueront vers le soft discount, d’autres miseront sur un retour sur les fondamentaux du modèle « low cost ».
Qu’est-ce que le hard discount a fait changer chez les consommateurs ?
P. M. Plus personne n’a peur d’entrer dans un magasin hard discount. Si ceux qui font l’essentiel de leurs courses dans ce type de magasins sont les plus pauvres, les autres y font une partie de leurs achats, pour faire des économies sur des consommations sans enjeu afin de pouvoir dépenser plus ailleurs, voire pour faire un pied de nez à la grande distribution classique. Le hard discount a contribué à révéler que l’on pouvait trouver pratiquement n’importe quel produit moins cher et à semer le doute dans l’esprit des consommateurs sur le « juste prix », suscitant une certaine défiance vis-à-vis des vendeurs et des prix qu’ils proposent.

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